Chapitre 6 - Zek

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☼ Chapitre 6 ☼

Je lui ai dit. Elle sait. Elle sait que je ne la déteste pas, que mon attitude de connard envers elle n'est qu'une façade, une couverture ridicule que j'ai été obligé d'adopter pour m'empêcher de sombrer.

L'annonce de son départ m'a complètement fait perdre pied. Et pourtant, elle est déjà partie vivre à l'étranger pour ses études il y a quelques années. J'ai toujours serré les dents en silence, mais aujourd'hui, c'était le coup de grâce. L'imaginer faire sa vie loin d'ici, nous oublier un peu plus chaque été passé ailleurs, c'est trop. Si j'ai passé dix ans à me murer dans le silence et dans le déni pour préserver mon amitié avec Arlo et Zoé, ce n'est pas pour la perdre définitivement. Pour autant, je n'avais pas prévu de lui dire toutes ces choses-là aujourd'hui. Jamais, en fait. Je m'étais fait à l'idée. J'avais choisi sa douce présence au risque de devoir me séparer d'elle un jour. Pia est libre, elle part à l'aventure, découvre plus de pays en une année que je n'en ai jamais visités au cours de ma propre vie. Je l'aurais tirée vers le bas. Et si elle avait bien voulu de moi ? Elle serait restée bloquée ici, dans la Drôme. Elle n'aurait rien vu du Monde qu'elle voulait tant voir, rien entendu des langues qu'elle aime tant découvrir. Je n'aurais pas pu lui faire ça. Mon cœur se comprime dans ma poitrine, tandis qu'une petite voix me chuchote que l'on aurait été heureux quand même. Une autre voix, bien plus douce, m'extirpe aussitôt de mes pensées.

- Zek... Je ne sais pas si... Attends.

Pia s'est assise sous un abricotier. Je la sens hésiter et mon cœur se serre presque imperceptiblement. Elle prend une longue inspiration.

- Ça me touche, ce que tu m'as dit. C'est juste, voilà, je ne sais pas trop comment te dire ça...

Ma mâchoire se crispe. Je me maudis intérieurement d'avoir spontanément envie de lui dire de ne pas tourner autour du pot. A force d'être froid envers elle pour me protéger, j'ai fini par être tout bonnement détestable. Et ce n'était certainement pas mon intention première. Alors je hoche la tête doucement, l'incitant à continuer. Elle se frotte les mains et se mord l'intérieur des joues nerveusement avant de se lancer.

- Il y a à peine deux heures, je pensais que tu ne m'appréciais pas, Zek. Ça fait presque dix ans qu'on traine ensemble, et jamais je n'aurais pu deviner que... tu sais. J'ai du mal à réaliser. Je ne dis pas que je ne veux pas de ça. Je crois que j'ai besoin d'un peu de temps.

Elle baisse les yeux, et je m'en veux de l'avoir mise mal à l'aise. Bien sûr qu'elle a besoin de temps. Pourquoi est-ce qu'après l'avoir repoussée pendant dix ans, je m'attendais à ce qu'elle veuille de moi en un claquement de doigts ? Celui que j'ai pu être avec elle ne doit pas ressurgir. Toute cette froideur, je refuse qu'elle la ressente à nouveau.

- Je comprends. Ne t'inquiète pas. Si c'est trop pour toi, on oublie ce qu'il vient de se passer. Tout, Pia, dis-je doucement. Je ne t'en voudrais pas.

Je n'ai pas le courage d'attendre qu'elle me réponde. J'empoigne ma caisse remplie d'abricots et la charge dans la remorque attelée au tracteur, attrapant au passage le contenant vide suivant.

J'étais plus que sincère dans mes mots. Je refuse de la brusquer. Et pourtant, le silence qui suit m'est insupportable. Je continue à travailler, essayant tant bien que mal de me concentrer sur ma tâche. Lorsque nous nous arrêtons, il est presque midi, et le soleil est à son zénith.

Au moment de la pause déjeuner, nous avons pour habitude de rentrer à l'accueil, dans une petite salle aménagée servant de cuisine et de salle à manger à l'équipe. Sur le retour, Pia prend place à côté de moi dans le tracteur, les lèvres scellées. J'ai l'impression que, maintenant que je me suis lancé, c'est encore plus difficile. J'ai envie de tout lui dire. Je veux lui raconter mon dernier voyage en Nouvelle-Zélande, parce que je sais qu'elle adore écouter ce genre de récits. Je veux lui faire écouter une playlist que j'avais composée en pensant à elle, et plein d'autres choses un peu niaises... qu'elle n'associerait jamais à moi. La réalité me frappe à nouveau. A ses yeux, je suis froid, un peu hautain peut-être. Mais romantique, doux ? Juste agréable ? Ce n'est pas son Zek. En fin de compte, je suis presque un étranger.

Arrivés à la petite salle se trouvant derrière l'accueil, nous nous affalons tous deux dans les fauteuils moelleux, épuisés. Il fait si chaud aujourd'hui que j'ignore si nous retournerons ensuite à la cueillette. C'est un peu embêtant, puisque cela risque de nous retarder, mais c'est le cadet de mes soucis aujourd'hui.

J'observe Pia sortir son sandwich de sa boite en bambou. Elle évite mon regard, et la tension dans l'air est palpable. Je me décide à briser le silence qui règne depuis bien trop longtemps, revenant sur ma proposition d'un déjeuner amical qui nous permettrait d'échanger sur ses projets de carrière. Je meurs d'envie de savoir ce qu'elle pense des derniers mots que je lui ai adressés, mais je me retiens, de peur de la presser. Au moment où j'ouvre la bouche pour lui demander si elle connait le lieu de sa première mission pour la rentrée, la sonnerie de son téléphone retentit. Elle marque un temps d'arrêt lorsque ses yeux se posent sur l'écran. Je me dis qu'elle va le laisser sonner jusqu'au bout, mais au dernier moment, elle se décide à décrocher.

- Salut, Elias.

Elias ? Qui est ce type, et pourquoi est-ce que je n'ai jamais entendu parler de lui ? Normalement, Zoé nous tient au courant de tout, Arlo et moi. Une pointe de jalousie me transperce la poitrine tandis que je la fixe, essayant de déchiffrer l'émotion qui court à travers ses beaux yeux verts.

Un sourire semble naitre sur ses lèvres, et la pointe de jalousie se mue en une véritable flèche empoisonnée. Respire, Zek. Son appel prend fin, et j'étais tellement obsédé par ce prénom entre ses lèvres que je n'ai pas entendu la suite de la conversation. Pia se lève d'un bond, soudainement agitée.

- Tout va bien ? lui demandé-je, plus sèchement que je ne l'aurais voulu.

- Heu, je crois. Je vais devoir aller chez mes parents, c'est assez urgent... ça ne t'embête pas si on remet la suite de la cueillette à demain ? De toute façon, il fait beaucoup trop chaud pour qu'on s'y remette cette après-midi.

- Quelqu'un t'attend ?

Les mots se sont échappés seuls, et maintenant, j'ai l'air de vouloir tout savoir de cet Elias. Ok, c'est le cas. Mais je ne veux pas que Pia le sache.

- Mon ex est ici, marmonne-t-elle, visiblement un peu secouée par la nouvelle. Je vais éviter une rencontre catastrophe avec mes parents, avant que ma mère ne commence à planifier mon mariage.

Pia m'a souvent parlé - je rectifie, nous a souvent parlé de sa mère qui essayait discrètement de la caser dès qu'elle en avait l'occasion, et je me serais marré si elle n'avait pas mentionné le fait que son ex était ici. A cinq minutes en voiture. Elle se lève précipitamment. Je refoule les sentiments qui m'assaillent. Tout va bien, elle a dit qu'elle avait besoin de temps. Elle ne te connait pas encore vraiment, Zek. L'autre petite voix en moi prend le dessus. Elle ne t'a pas choisi

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