Épilogue - Pia
☼ Épilogue - Pia ☼
Est-ce l’amour, ce besoin irraisonné de t’avoir à mes côtés la plupart du temps ? Est-ce l’amour, ce sentiment de sécurité que j’éprouve dans nos silences ? Est-ce ce sentiment d’être à ma place, d’être complète ? Chimamanda Ngozi Adichie, L’autre moitié du soleil, 2006.
— Zek ! Viens voir !
Je tourne l’écran de mon ordinateur dans sa direction, et mon cœur fait un looping dans ma poitrine en voyant un sourire sincère étirer ses lèvres. Je ne m’en lasserai jamais. Zek s’approche, et commence à lire le contenu du mail que je viens de recevoir.
— Tu peux me traduire l’essentiel ? Je veux pas passer à côté d’une info importante.
— Ok, alors, la petite boulangerie allemande que j’ai contactée... Tu sais, celle qui fabrique des bretzels dans un petit coin paumé en Bavière ? Ils ont adoré l’idée. On a trouvé des produits dans nos gammes dont les prix sont similaires, et on va s’en envoyer un premier colis, pour voir si ça se vend bien.
Zek hoche la tête, concentré sur les mots inscrits en anglais qu’il essaie de décrypter, malgré le résumé que je viens de lui faire.
— C’est… génial, finit-il par ajouter. T’as eu une super idée, Pia.
Mon sourire s’élargit, et Zek me prend dans ses bras. J’inspire longuement, emplissant mes narines de l’air frais de la fin de journée, et surtout, du doux parfum qui flotte autour de Zek.
— Je suis si contente qu’ils aient accepté ! J’ai hâte d’avoir la réponse de la fabrique écossaise de shortbreads, ça serait génial d’avoir tout ce coin de boutique dédié aux produits étrangers…
Pour donner un peu plus de sens à mon nouveau poste au sein de l’équipe des Jolisfruitiers, j’ai tenu à conserver quelques aspects de mon métier de traductrice, et ce nouveau projet s’est avéré être parfait. J’ai contacté plusieurs entreprises aux quatre coins de l’Europe, et leur ai proposé une sorte de… jumelage. Un échange de produits locaux réguliers, entre nos petites exploitations familiales, pour faire découvrir à nos clientèles les spécialités d’autres régions du monde. Bientôt, entre les bouteilles de nectar d’abricot, se trouveront de jolis bretzels bavarois.
Parfois, je ne réalise même pas tout à fait que je suis là, et que je compte rester pour de bon. Avant même la fin de notre semaine en Italie, je le savais. Je savais que je ne pourrai pas repartir. Certains m’ont dit que j’avais tort de rester pour un homme, qu’une telle opportunité professionnelle ne se présenterait pas deux fois. Que c’était ma carrière, ma vie à Paris, qu’il ne fallait surtout pas lâcher. Heureusement, je n’ai écouté que moi, et je savais exactement ce dont j’avais besoin pour être heureuse : cette vie faite de petits bonheurs simples, et surtout, être entourée de ceux que j’aime.
— Alors, les amoureux ? Vous fêtez quoi ?
Je lève les yeux au ciel en entendant ce surnom ridicule dont Zoé n’a cessé de nous affubler au cours des quatre derniers mois.
— Figure-toi qu’on a bien fait de l’embaucher, me taquine Zek, elle vient de nous négocier un premier partenariat en Allemagne.
Zoé effectue une petite danse de la joie très typique… d’elle-même, avant de m’adresser un check de félicitations. Ouf, j’ai évité le gros câlin spécial Zoé. Elle n’accepte toujours pas que je puisse être aussi tactile avec Zek, après toutes ces années passées à la repousser, et je m’en amuse encore plus maintenant.
— Mais c’est incroyable, Pia ! T’as géré ! Trop hâte de travailler sur la nouvelle affiche avec toi. Tu sais quoi ? On va se faire un petit espace “produits du monde” juste là…
Zoé pointe le coin de la boutique que je montrais quelques instants plus tôt à Zek, et je pouffe en comprenant qu’elle a eu exactement la même idée que moi.
Ces quatre derniers mois ont été idylliques. En août, après notre retour de vacances, je n’ai pas pu me résoudre à quitter mes amis. J’ai continué à bosser avec eux et… je ne me suis pas arrêtée. En septembre, c’est la récolte des pommes qui a débuté. Ensuite, avec l’automne, j’ai découvert certaines tâches pour lesquelles je ne suis habituellement pas présente, la plantation de nouveaux arbres fruitiers, le nettoyage du verger… Et tout s’est enchaîné si naturellement, que j’ai trouvé ma place au sein de l’entreprise comme si j’en avais toujours fait partie.
— Finalement, heureusement que t’es restée. J’adore les bretzels, me susurre Zek au creux de l’oreille.
Entre ses bras qui m’enserrent tendrement, collée à sa courte barbe qui effleure doucement mon front, je me sens plus à ma place que je ne l’ai jamais été. Ce n’est pas seulement la Drôme, ma maison. C’est lui.
— Bon, les gars, reprend Zoé, je pars ce soir en Irlande. Vous savez que vous êtes les bienvenus chez daideo et mamie.
Je souris en entendant Zoé mentionner son grand-père irlandais, dont le surnom gaélique m’est familier depuis de nombreuses années. Lorsqu’il est parti à la retraite, lui et sa femme on fait le choix de retourner vivre à Galway, et Zoé ne rate pas un seul Noël à leurs côtés.
— C’est noté, on te tiendra au courant.
Ce qu’elle ne sait pas, c’est que nous avons déjà pris nos billets d’avion pour Dublin, et ceux du bus qui nous mènera jusqu’à la plus grande ville du Connemara. Depuis le temps qu’elle insiste pour que nous venions découvrir ce pays auquel elle tient tant…
— Allez, je vous laisse, j’ai un train à prendre.
Zoé nous adresse un petit signe de la main, et se dirige d’un pas décidé vers son vieux C15 garé devant la boutique. Si elle est aussi motivée, je ne crois pas que ce soit seulement grâce à la perspective de tricoter au coin du feu avec sa grand-mère, au fin fond du Connemara. Oh, non. Chaque année, j’ai droit à un retour détaillé des folles soirées irlandaises dans lesquelles ses cousins l’entrainent, et cette fois-ci, ma curiosité devrait enfin être assouvie.
— On rentre à la maison ? me demande Zek du bout des lèvres.
Si on m’avait dit que ce petit cocon que j’ai découvert au début de l’été deviendrait mon chez-moi à peine trois mois plus tard, je ne l’aurais jamais cru. J’ai tenu à rester quelques semaines supplémentaires chez mes parents, après notre retour d’Italie, mais le besoin d’être ensemble devenait presque difficile à ignorer, du côté de Zek comme du mien.
Désormais, chaque matin, je passe devant ce mur couvert des souvenirs de Zek. Devant notre passé, devant les carrefours auxquels nous nous sommes perdus, puis enfin retrouvés. Le petit nuage de photographies s’est agrandi. Zek et moi dans une gondole, sur le Grand Canal. Nous deux, devant la basilique Santa Croce de Florence.
Et puis la plus récente. Trois images alignées à la verticale, prises dans le photomaton d’un petit festival du coin. Sur la dernière, nos yeux sont clos, nos lèvres scellées dans un sourire partagé.
Finalement, je n’ai pas sorti l’ours de sa caverne. Je me suis infiltrée chez lui, nous nous sommes apprivoisés, encore et encore. J’ai compris ses failles, il a apaisé mes doutes, et je n’en ai plus aucun.
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