Le resto
Lucas tapa un sprint dans la dernière ligne droite, ménageant le peu de force physique qui lui restait encore en stock. Il avait cogité toute la journée pour savoir comment il allait s'y prendre pour faire sa demande à sa chère et tendre Sybil.
Des années de relation qui était toujours animées par la passion du premier jour. Il fallait qu'il passe un cap avec elle, qu'elle lie son destin au sien. Oui, il risquait peut-être d'échouer, mais que dit-on des gagnants du loto ? Qu'ils ont tous tenté leur chance. Ils se devaient d'en faire de même.
Il était temps que le feu rouge auquel était arrêtée leur relation passe au vert pour aller de l'avant. « Allons bon, mon Lulu, se dit-il. On arrête de rêvasser devant la porte du resto et on y va. »
Il aperçut Sybil assise à une table, près d'une vitre du resto. Plongée dans un livre, elle leva les yeux et le remarqua devant la porte d'entrée du restaurant. Son visage s'illumina et, d'un signe de la main, l'invita à la rejoindre. Lucas ouvrit la porte et se jeta dans la fosse aux lions.
Assis au bar du resto, un homme en costume débraillé noyait son regard dans la bière qu’on venait de lui servir. Ben, de son nom, allait la boire. Pour ça, il n'avait aucune hésitation. Il en était déjà à sa quatrième en deux heures. Et le résultat était semblable.
Après, chacune d’entre elles, il ne trouvait pas la solution à sa situation. Ce matin, son chef lui avait annoncé qu’il était licencié. Lui, qui avait été fidèle à cette boîte durant les quinze dernières années, on l’avait jeté comme une cigarette. On l’avait usé jusqu’à la moelle. Il en avait perdu des cheveux pour cette boîte, s’était fait des ulcères monstrueux. Pour ça, comme résultat ?
Comment allait-il l'annoncer à Francine, sa femme ? « Chéri, tu sais quoi ? J’ai une blague pour toi. Je suis licencié. » « Ah, tu ne trouves pas ça drôle ? Moi non plus, en fait. »
Comment allait-il payer le crédit immobilier ? Il lui restait encore douze ans à payer cette maison. Il jura une nouvelle fois avant de faire descendre du courage liquide dans son gosier. Non, toujours rien.
Le barman lui jeta un regard compatissant, des zozos comme Ben, il en avait vu passer dans son resto. Des mecs paumés qui venaient noyer des peines de cœur, pleurer des décès dans leur famille… Mais tous les clients n’étaient pas sinistres. Beaucoup venaient pour des rendez-vous galants, fêter des promotions, des réussites à un examen, des anniversaires, des mariages et des naissances.
Le temps passait, certains de ses habitués étaient passés par tous ces stades, donnant ce souffle de vie et d’histoire à ce lieu qu’il avait bâti à la sueur de son front, alors que d’autres le donnaient perdant dans cette folle entreprise. Il servit un verre d’eau à Ben et lui dit : « Finies les bières pour toi. C’est pas dans l’alcool que tu régleras ton problème. »
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