Mon téléphone vibre sur le bureau de la salle d'expertise. Caradec me fait les gros yeux. Cela fait déjà trois fois qu'il sonne et qu'il nous interrompt en pleine réunion.

Je décide de m’éclipser discrètement et de rappeler mon impatient correspondant.

Merde. C'est mon frère. Qu'est ce qu'il peut bien vouloir ? J'appuie sur la touche RAPPEL et dans les secondes qui suivent, il décroche.

_ Eli enfin ! 

_   Hé salut Théo ! Quoi de neuf ?  j’essaie de ne pas montrer mon agacement. Je lui dirais bien que je suis très occupée, mais j'ai omis de le rappeler la dernière fois, je ne peux pas lui faire le coup encore aujourd’hui.

_ Joyeux anniversaire sœurette !  Tu ne pensais tout de même pas que j'allais t'oublier ! 

Je m'adosse contre le mur. De désespoir, ou de honte je n'en sais trop rien. Comment ai-je pu oublier mon propre anniversaire ?

_   Euh.. merci Théo tu es adorable de penser à moi.  Les larmes me montent aux yeux. Je suis tellement accaparée par ce triple meurtre que j'en oublie les beaux moments de la vie. De ma vie.

_ 30 ans ça se fête Elisa ! Ce week-end nous passerons te voir avec maman et Gilou !

Franchement ce n'est pas le moment du tout, j'ai tellement de travail au commissariat ; mais je sais qu'il m'est inutile d'essayer de négocier. Vu le ton qu'il a pris, ce n'était en aucun cas une question. Cela ressortait plus d'un ordre, ou d'une affirmation.

_ Oui si vous voulez. Ça me fera très plaisir de vous voir tous les trois. 

Je n'ai pas vu maman depuis un bon mois et demi. Pareil pour Gilou. Mon beau père que j’affectionne tant.

Quand maman l'a rencontré, j'ai eu l'impression de perdre papa pour la deuxième fois. Je n'avais pas très envie qu'elle le remplace, et encore moins qu'un autre homme face office de paternel dans nos vies. A tout juste 15 ans, je n'avais pas encore conscience que l'amour pouvait regagner le cœur de ma mère. Et qu'elle retrouverait un semblant de bonheur, si le destin lui mettait Gilou sur sa route. Mes résistances étaient tombées en seulement quelques semaines. Son franc parlé, son humour, sa patience et sa gentillesse avaient eu raison de moi. Je l'avais définitivement accepté.

_  Je te fais un message pour te donner l'heure. à samedi ma cacahuète ! j’entends son sourire dans sa voix. Il adore me donner ce surnom.

_  A samedi Théo !  répondis je en riant.

Il raccroche en marmonnant un je t'aime maladroit. Le mot magique. Le mot interdit. Le mot dont j'avais tant besoin