Chapitre 5 : Pour Dalstein

8 minutes de lecture

Dans la grande berline menant la famille de Hautebröm au Palais Impérial, le silence régnait.

La tension était palpable, mais chacun faisait de son mieux pour conserver son calme et une certaine contenance.

Le Duc avait les yeux dans le vague, un sourire aux lèvres. Iphigénie regardait les rues défiler par la fenêtre, le visage fermé. Léonie gardait la tête baissée et fixait ses mains. Giselle tenait son dos droit, les paupières closes.

Dans quelques heures, leur vie allait changer. L’annonce du mariage serait faite ; une page se tournait, l’Histoire allait s’écrire.

Giselle était paisible, au fond d’elle, elle ne craignait rien. Elle savait d’avance comment la soirée allait se dérouler.

Le poids de l’étiquette impériale et les sacrifices à faire ne l’effrayaient pas. Sa vie ne lui appartiendrait plus, certes, elle serait dévouée à celles des sujets de Dalstein. Elle ne craignait pas non plus pour la perte de son intimité ni les critiques que pouvait faire la société en son endroit. Car tout cela relevait de son devoir. Giselle se tenait prête depuis longtemps. Elle avait fait de son mieux pour être à la hauteur.

La seule chose qui la préoccupait vaguement était sa robe. Elle espérait que les retouches au niveau de sa poitrine suffiraient... et qu'Iphigénie allait se montrer apte à prendre la relève dans l’administration de Hautebröm.

— On arrive, lança son père en voyant la façade lumineuse du Palais.

La nuit était tombée depuis longtemps. Les chevaux et les berlines se suivaient depuis plusieurs rues. Arrivées proches du palais, certaines s’écartèrent.

— Par la Mère, s’exclama son père, ils savent tous que l’Empereur va donner la date du mariage ce soir, ils nous laissent passer par galanterie !

Iphigénie et lui se mirent à rire, échangeant un regard complice.

La berline s’arrêta, on leur ouvrit la portière. Le Duc descendit le premier, puis son épouse et enfin vint Giselle.

Le crépitement des appareils photo l’éblouit. La jeune femme fit plusieurs sourires, les journalistes la regardaient en faisant des signes immenses.

Ils avancèrent sur les marches de la salle de réception et entrèrent.

La soirée était organisée, comme chaque année, en hommage à la déesse Ronia. Troisième fille de la Mère et du Père, elle était l’incarnation de la mort, de l’hiver et de la nouvelle lune. Elle protégeait les femmes enceintes, les enfants et patronnait les guérisseurs et les médecins. Partout on pouvait voir ses symboles dans les décorations du Palais. Les convives nées sous son signe, arboraient fièrement sur leur poitrine une broche finement ouvragée. Les bijoux, en forme de branche de peuplier, étincelaient sur les robes et les vestes d'apparât.

Giselle se fit annoncer et tous les regards se tournèrent vers elle. La future princesse savait que sa tenue était magnifique : une robe bleu nuit qui rehaussait ses yeux gris, brodé de perles et de gemmes argentées.

Des connaissances vinrent à elle :

— Mademoiselle de Hautebröm, vous êtes divine ce soir !

Giselle salua chacun d’entre eux avec un sourire.

Léonie était rentrée à la suite de Giselle, mais peu de monde avait fait attention à sa présence. La seconde fille par alliance du Duc s’était déjà écartée de sa mère et marchait tranquillement en direction du buffet.

Cela faisait bientôt cinq ans qu’elle avait quitté le couvent, et elle ne parvenait toujours pas à s’habituer au luxe de ces soirées. Elle admirait les statues, les mosaiques, les décorations en forme de lune, de végétaux et de fleurs avec ravissement. Ses yeux brillants passèrent au travers des gigantesques fenêtres aux vitres finelement ciselées, donnant directement sur les vastes jardins du Palais. Elle jetait des regards discrets aux toilettes des autres femmes, habilées à la dernière mode et observait l’attitude des hommes.

Elle soupira de contentement. Si sa mère ne s’était pas mariée avec le Duc, jamais elle n’aurait pu participer à tout cela. Léonie savait qu’elle n’était qu’une pièce rapportée. Cependant, rapidement après son arrivée chez les Madalberth, elle avait appris à en tirer parti.

Si elle était là ce soir, c’était grâce à Giselle. Léonie figurait sur les faire-part uniquement pour honorer leur lien familial. Peu de gens la connaissaient, mais tous étaient très polis et elle s’en contentait fort bien.

Parvenue à la grande table, elle prit entre ses mains une flûte de champagne. Un homme à moustache lui fit une œillade discrète, elle répondit en battant des cils et l’effleura en passa à côté de lui. Depuis sa sortie du couvent, elle avait appris à reconnaître les bons partis.

L’inconnu se dirigea vers elle en jouant des coudes, puis s’arrêta en remarquant quelque chose par-dessus l’épaule de la jeune femme. Effrayé, il fit demi-tour.

Léonie, surprise, suivit son regard et se rendit compte que quelqu'un avait surgi à ses côtés. Elle eut un mouvement de recul. Les gens autour l'observèrent avec curiosité.

— Quelle soirée incroyable, n’est-ce pas ? fit la silhouette en s’inclinant vers elle.

Léonie fit des yeux ronds, devant elle se tenait Damjan, le second prince impérial.

Son cœur se mit à battre et ses mains devinrent moites : que faisait-il ici ? La famille impériale ne devait-elle pas arriver plus tard ? Pourquoi venait-il lui parler ?

Elle eut le souffle court : savait-il qui elle était ?

Elle réfléchit brièvement et le salua en se remémorant ses cours de maintien.

— Bonsoir, Votre Altesse Impériale, puisse la Mère guider vos pas et le Père veiller sur vous.

Le Prince Damjan se pencha sur elle. Il portait les cheveux longs et ses traits étaient plus fins, ses yeux plus clairs, que ceux de son jeune frère Dusan. Léonie fut surprise en voyant ses cils interminables et fournis. Il portait une boucle d’oreille qui suspendait une grosse perle blanchee qui contrastait avec sa chevelure sombre et sur sa poitrine, une broche en forme de feuille de peuplier.

— Incroyable vraiment…, répéta-t-il en agitant sa main avec une légère désinvolture.

Il tenait un verre déjà à moitié vide et ses doigts étaient couverts de bagues. Léonie remarqua qu'il sagissait de bijoux de femmes. Il s'approcha d'elle et soupira.

— Incroyablement ennuyeuse, si vous voulez mon avis…, murmura t-il discrètement au creux de son oreille.

Léonie ne put s’empêcher de pouffer.

Elle connaissait la réputation du Prince Damjan, qui était celle d’un insouciant noctambule. Si son attitude détachée faisait parfois jaser, son travail était cependant reconnu et son influence considérable à la cour. Giselle le décrivait comme un homme absolument brillant, mais qui pouvait se montrer cynique et maussade. Elle avait lancé une fois qu’il avait reçu la même éducation que son frère aîné et que certains membres du gouvernement voulaient en faire le Prince héritier.

— Et pourquoi cela ? demanda simplement Léonie, saisissant sa chance de pouvoir discuter avec quelqu’un d’aussi important.

— Ma future belle-sœur, ajouta-t-il en cachant d’une main ses lèvres, est une fille incroyablement fade et ennuyeuse… À la hauteur de cette réception insipide.

Léonie n’en crut pas ses oreilles. C’était la première fois qu’elle entendait quelqu’un dire du mal de Giselle. Son coeur ratta un battement. Tout le monde la portait aux nues, s’émerveillait devant elle !

Une lumière brilla dans les yeux de Léonie.

— Mais vous devez savoir bien mieux cela que moi, dit Damjan d’une voix plus haute, vous vivez sous le même toit. Comme je vous plains... Et ce pauvre Dusan, lui qui est si sérieux et désireux de plaire... Dans quel tombeau s'engouffre t-il ?

La jeune femme ouvrit la bouche en prenant un air scandalisé puis se mit à rire. Elle osa répondre :

— Sur notre chemin pour venir ici, elle était raide comme une planche. Elle restait si froide alors que son père était heureux pour elle ! C'est si triste, la pression qui pèse sur ses épaules !

Le Prince hocha la tête d’un air entendu :

— Oui, elle considère cela normal. Ce mariage est son dû après tous ces efforts à travailler, à rester enfermée avec ses livres. Elle est l’incarnation parfaite de la princesse, votre sœur s’est évertuée à cocher les cases sur tous les sujets ! Une descendante directe de cette vieille espèce de nobles, pour qui le rang est plus important que tout, une vocation à servir le peuple. Il but une gorgée et continua sur un ton sarcastique : Elle doit être frigide si vous voulez mon avis !

Léonie poussa un rire nerveux. Autour d’elle, les gens l’observaient avec curiosité. Qui était cette fille, qui discutait avec le Prince ? Que disaient-ils ? Certains reconnaissaient la sœur de Giselle, sans doute parlaient-ils du mariage !

La jeune femme but à son tour une longue gorgée de champagne, elle se rappela toutes les fois où Giselle l’avait exaspérée.

Si le Prince Damjan ose dire cela de la future princesse, alors c'est qu'il n’était pas le seul à le penser..., réalisa Léonie. Elle hésita un instant puis ouvrit la bouche ; après tout, ce n’était pas un journaliste, elle pouvait s’épancher sur quelques confidences.

— Elle n’a jamais voulu discuter avec moi, ni s’intéresser à ce que je faisais. Quand nous sommes arrivées avec ma mère, c’est à peine si elle nous a accordé son attention. La première année, j’ai dû la croiser seulement trois fois. Nous ne prenions même pas nos repas ensemble ! Son père a dû la forcer à venir me parler. Durant notre première discussion, elle n’a ri à aucune de mes plaisanteries et ne faisait vraiment aucun effort pour être aimable. Cela m’a chamboulée pendant des semaines ! Suis-je si inintéressante, à ses yeux ? Pendant nos sorties, elle me laisse toujours de côté et préfère rester avec ses amis, auxquels elle ne m’a jamais présentée.

Damjan observa la jeune femme avec un sourire. Elle était totalement l’inverse de Giselle. Grande, très brune aux cheveux souples, avec de grands yeux expressifs. Elle avait une bouche pleine et un teint chaud, une peau lisse. Tous pouvaient admirer sa taille svelte et une poitrine opulente, qu’elle avait certainement vite appris à mettre en valeur. Damjan comprit que c’était une femme qui connaissait la séduction du corps, tout en conservant une attitude des plus innocentes.

En voilà une qui maîtrise parfaitement l’art de se faire aimer, pensa-t-il en la regardant lui sourire.

— Je suis sûr que parmi nous, se trouvent des personnes qui apprécient votre compagnie…, répondit le Prince d’un ton taquin. Vous pouvez compter sur moi, je vous aiderai là où votre sœur a échoué !

Le cœur de Léonie se mit à battre :

— Vous ferez ça pour moi ? dit-elle avec un regard plein de surprise. Me voilà chanceuse !

— Mais bien sûr, vous ne pouvez vivre dans l’ombre de Giselle, vous aussi vous avez le droit de briller ! annonça Damjan en lui faisant un clin d’œil. Pardonnez-moi, mais mes parents vont bientôt arriver. Je dois vous abandonner, jusqu’à la prochaine fois !

Elle le regarda partir, un air ravi sur le visage.

Un léger mouvement de foule traversa l’assemblée, un murmure se fit entendre. Les gens se tournèrent tous dans la même direction. Au loin, Léonie put voir l’Empereur, accompagné de Carolina. Elle remarqua que Damjan allait saluer son frère Dusan et à la vision des deux princes, un frisson la parcourut.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire AnnRake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0