Chapitre 7

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Les regards des nobles étaient rivés sur le futur couple princier, on trépignait d’impatience. Que Ronia soit louée, ils allaient enfin annoncer la nouvelle. Sous la lumière des chandeliers, le sourire calme et doux de Giselle lui donnait l’image d’une sainte. Nul n’arrivait à déchiffrer son émotion.

Au-dessus de la foule, on entendait murmurer :

— Elle est si sereine, regardez ses yeux, il n’y a aucun trouble...

— La première princesse avait demandé à ce qu’on annonce les bancs dès le début des festivités.

— Un sang-froid extraordinaire, ma fille n’aurait pas tenu si longtemps...

À chaque fin de danse, l'attention finissait par se tourner vers les musiciens.

Le duc se frottait le ventre, satisfait. Sa femme discutait avec d’autres dames, l’air tendu. Elle avait du mal à s’intégrer dans ce genre de mondanités. Iphigénie cherchait Léonie du regard.

— Allons, laisse ta fille profiter un peu... Elle est en âge de s’amuser. Elle aussi finira par trouver un bon parti, ne t’inquiète pas.

Son épouse redressa son châle sur ses épaules en hochant la tête, elle sembla vouloir dire quelque chose.

Les lustres s’éteignirent soudain, ne laissant place qu’aux décorations lumineuses à l’effigie de la déesse de l’hiver et de la mort. Les reflets dans les grandes vites étincelaient comme mille étoiles. Une musique solennelle éclata dans la salle, contrastant avec les enivrant airs de valse.

Les invités comprirent, et tous poussèrent des cris de soulagement et de ravissement. Les journalistes firent crépiter leurs appareils photo. On se pressa dans le fond de la pièce. Les femmes serrèrent leurs lourdes robes contre elle pour faire de la place et les hommes étirèrent le cou.

Le secrétaire de l’Empereur Auguste s’avança, tenant dans la main un large rouleau de tissu d’un rouge profond. Les gens retinrent leur souffle, la musique cessa.

Chacun savait que sur cette précieuse étoffe se trouvait, peinte à l’encre noire, la parole même de l’Empereur. On y retrouvaient des ordres et des déclarations absolues, directement liées à l’Histoire de Dalstein.

Chaque personne présente dans la pièce s’inclina alors devant l’objet, baissant la tête en signe de respect.

Le secrétaire déroula l’annonce, magnifiquement décorée, et prononça à voix haute :

— Moi, Empereur Auguste souverain du Saint Empire de Dalstein, neuvième de ma lignée, rédige ici ma parole et ma décision : Dusan Fretnarch Tritir de Dalstein et Giselle Prunille le Tholy de Madalberth uniront leur vie et leur sang au printemps de l’année prochaine dans la cathédrale Sainte Augusta. Jurez-vous d'accomplir sa volonté ?

— Oui, répondirent les deux jeunes gens d'une même voix.

D'autres mots pompeux furent évoqués, que chacun écouta respectueusement, et lorsque tout fut fini :

— Longue vie à l’Empereur, Dignité à la Mère et Gloire à Dalstein. Ta gloire est dans nos racines et dans nos racines se trouvent ta gloire ! scandèrent en même temps les centaines de personnes présentes.

Par Menée, je suis à la fois si heureuse et j’ai tant mal aux pieds, pensa Giselle en prenant la main de Dusan dans la sienne.

Pouvaient-ils s’embrasser ? Elle l’ignorait, cependant, elle en eut soudain envie. Elle tourna la tête vers Dusan, qui souriait en regardant droit devant lui.

Non, ce n’est pas dans le protocole, se résolut-elle en saluant la foule.

Elle serra un peu plus fort ses doigts et fit comprendre d’un regard à Dusan qu’elle voulait s’assoir.

Ce dernier salua encore un peu les personnes présentes, venues les féliciter, et accompagna Giselle sur une des banquettes capitonnées installées pour l’occasion.

— Ça va, tu n’as pas l’air bien ? Je t’ai vu chanceler.

— Oui, c’est l’émotion, je pense, j’ai... j’ai mal aux pieds. Excuse-moi...

Avec le temps, ils étaient parvenus à discuter entre eux, les lèvres étirées, afin d’empêcher quiconque de pouvoir comprendre leurs paroles. Ils avaient presque inventé leur propre langue, avec des signes légers de mouvements de doigts, de tête et de posture.

— Je vais t’apporter un verre, reste ici, repose-toi. Continue de sourire.

— Je n’ai aucune raison de m’arrêter..., répondit-elle dans un rire.

Elle le regarda partir et réalisa qu’elle aurait très bien pu demander un serveur au lieu de le laisser chercher quelque chose en s’enfonçant dans la foule.

Soudain, un long frisson parcourut son corps. Giselle se redressa légèrement pour confirmer sa sensation.

Sur la Mère... pas maintenant !

Une sueur froide commença à la saisir, son cerveau ne put feinter d’ignorer les crampes plus longtemps.

Ses douleurs aux pieds devinrent subitement le cadet de ses soucis.

Il faut que je me lève, et que j’aille aux commodités... Lesquelles sont les plus proches ? Est-ce que j’attends Dusan ? Une si jolie robe, si je la tache...

Giselle blêmit légèrement. Elle serra les jambes.

Je n’ai aucune protection avec moi ! réalisa-t-elle avec horreur.

La jeune femme déglutit, elle avisa un serveur qui passait près d’elle :

— Pardonnez-moi, Liselotte est-elle disponible ?

L’homme hocha la tête et partit s’enquérir de la suivante de l’Impératrice.

L’attente sembla interminable. Les gens autour d’elle souriaient et riaient, on lui proposa à boire et à manger. De nouvelles danses se mirent en marche. Le feu de la soirée commençait à prendre.

Le serveur revient :

— Je suis navré votre Grâce, Liselotte est aux côtés de Sa Majesté l’Impératrice, qui est retournée quelques instants dans ses appartements. Puis-je vous être utile pour la remplacer dans votre demande ?

Giselle hésita, elle savait qu’au moindre mouvement, son jupon serait taché de sang. Les toilettes les plus proches étaient situées dans les couloirs et nul doute qu’à cette heure-ci, une nuée de femmes faisaient la queue.

— Amenez-moi aux cuisines, s’il vous plait.

Le valet cligna des yeux, éberlués.

Ce n’est pas dans le protocole, je ne dois normalement pas quitter la soirée... Mais quand Dusan va-t-il revenir ?

— Fort bien, votre Grâce, suivez-moi, concéda l’homme en saisissant l’honneur de l’accompagner.

Bombant le torse, il la guida à travers la foule, qui se retournait vers elle pour la saluer.

Giselle continua de sourire et d’avancer à petits pas, feignant de ne pas sentir le sang couler sur ses cuisses.

Vite, mes dessous sont fichus !

Elle marcha longtemps, sachant que les cuisines étaient éloignées. Elle ne croisa personne, hormis quelques membres du personnel qui s’affairaient en tout sens, trop occupés pour la remarquer.

Elle monta et descendit des escaliers, longea des couloirs, passa de grandes portes.

Enfin, au moment d’entrer dans les cuisines, elle remercia le valet et continua seule. Giselle se précipita alors dans un petit couloir et trouva rapidement les commodités du personnel du Palais.

La domesticité occupée par la soirée, ils étaient vides.

Elle s'engouffra dans l’une des stalles et ferma la porte sur elle.

De longues minutes plus tard, après avoir réussi à soulever ses jupes dans ces toilettes minuscules, Giselle ressortit sereine.

Elle avait déniché un torchon propre et l’avait enroulé autour de ses dessous. Après s’être lavé les mains, elle alla aux cuisines, choisit plusieurs desserts et demanda à ce qu’une part de gâteau soit envoyée au couvent des Sanvres, où résidait sa mère.

Combien de temps suis-je partie ? Presque une demi-heure...

Giselle se précipita, elle ne pourrait plus danser de la soirée, mais elle ne pouvait quitter les lieux avant deux heures du matin. En arrivant bientôt dans la grande salle, elle croisa Léonie.

Les joues rouges et légèrement chancelantes, sa demi-soeur semblait aux anges.

— Léonie, que fais-tu là ? demanda Giselle en s’approchant.

— Ah, Giselle ! s’exclama la jeune fille en se tournant vers elle, je ne t’avais pas vu. J’étais... dans une galerie. J’ai visité un peu le palais Impérial, c’est la première fois que je viens.

— Tu as beaucoup bu ? releva Giselle. Tu étais avec quelqu’un ?

Léonie se redressa et répondit avec un sourire :

— Peut-être bien que oui... Peut-être bien que non...

Gisèle fronça légèrement le nez. Léonie répondait toujours avec désinvolture à ses questions.

— Léonie...

— Je ne sais pas, ajouta-t-elle sèchement, je ne connais pas tout le monde ici, contrairement à toi. Je n’étais pas seule, j’ai vraiment visité les coins du palais. J’ai terminé, je retourne auprès de nos parents.

— Je ne voulais pas te vexer, c’est juste que...

Giselle se rendit compte qu’elle ne savait pas quoi lui dire. Léonie n’était pas une enfant, elles avaient le même âge. Elle ne connaissait pas les usages de la cour aussi bien qu’elle, mais elle ne pouvait pas non plus se permettre de lui faire des leçons de morale. Elle choisit alors de lui donner un conseil :

— Pense juste à la réputation de Hautebröm.

Léonie la regarda, les yeux écarquillés. Une grimace de rire apparut sur ses lèvres.

Elle est vraiment ivre, songea Giselle.

— Je dois y aller, Dusan m’attend..., dit-elle d’une voix hésitante.

Léonie eut un sourire triste.

— Je n’en doute pas.

Giselle laissa la jeune femme et entra de nouveau dans la salle de réception. Soulagée d’avoir réussi à endiguer une catastrophe, elle répondit à plusieurs salutations et à de courts échanges de courtoisie. Elle put ensuite rejoindre Dusan.

— Te voilà ! Tu es partie sans prévenir ! dit-il sur un ton de léger reproche. Tu n’étais plus là quand je suis revenu. Tiens, ton verre et quelques gâteaux. Tu veux retourner danser ?

— Non, j’ai...

— Quel dommage ! Tu vas voir Giselle, notre mariage sera le plus magnifique de la décennie !

— Allons nous assoir près de tes parents, demanda la jeune femme.

— Très bien, répondit-il en lui donnant son bras. Ma mère est revenue, allons-y.

Le couple arriva devant les monarques impériaux et prit place à côté d’eux. Au loin, à travers la foule en liesse, deux personnes observaient les deux paires couronnées avec des yeux perçants. Damjan et Léonie ne pouvaient retenir des sourires moqueurs.

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