Chapitre 27
Dusan posa sa plume et s'enfonça dans son fauteuil. Discrètement, il plongea ses doigts dans le cuir épais des accoudoirs et se retint de pousser un soupir d'agacement. En face de lui se tenait les anciens membres du cabinet de sa mère, des secrétaires et des assistants. Il y avait également son personnel, quelques fonctionnaires et deux Ministres, ainsi que la cardinale Garance. Le Capitaine de la garde des chevaliers, genou au sol, était le seul à garder la tête basse. Tous les regards étaient braqués sur ce dernier.
Dans l'air, une douce odeur de cire à bois se faisait sentir. Il était à présent impossible pour Dusan de travailler depuis sa demeure, le nombre de fonctionnaires à son service ayant doublé. Une des ailes du palais Impérial fut donc restaurée à son attention, sous la décision de l'Empereur.
Dans la pièce nouvellement décorée de tapisseries et de vitraux colorés, Le prince fixa le Capitaine Ottmen avec intensité. C'était un homme vif et ambitieux, portant fièrement des favoris incroyablement fournis sur chacune de ses joues. Dans la force de l'âge, ayant fait ses classes dans la même école militaire que Joren, sa loyauté faisait la force de sa réputation. Dès sa prise de position au remplacement de sa mère, Dusan avait ordonné à son secrétaire particulier d'effectuer des recherches sur Ottmen, il était nécessaire d'avoir des gens fidèles et honnêtes, certes, mais seulement envers Damjan et lui-même. Il demanda :
— Combien de Daroviens avez-vous trouvé dans cette cargaison ?
— Une trentaine de personnes, tous avec de faux papiers. Ils sont actuellement aux arrêts à la frontière, répondit l'homme d'un ton relevé.
Le regards sombre du Dusan s'illumina d'une lueur énigmatique.
— L'Ambassadeur de Darovir dira qu'il n'est au courant de rien. Le Premier Ministre m'a informé il y a plusieurs semaines qu'ils allaient probablement envoyer des agents dans certaines villes. Nous ignorons encore leurs intentions, d'après ce que nous savons, ils sont à la recherche de certaines connaissances sur l'énerite.
— C'est ce que je pense aussi, Votre Altesse, dit le Capitaine en relevant les épaules.
L'assemblée autour de lui échangea des regards à la fois perplexes et remplis de surprise. Les découvertes qu'avaient fait Dalstein sur le sujet de l'énerite avaient consacré l'Empire comme l'une des nations les plus puissantes.
Le jeune homme resta un instant songeur, se demandant ce qui pouvait pousser un pays allié à envoyer des espions en douce.
— Nous devons tout de même convoquer leur ambassadeur et communiquer avec la Reine Pietra..., dit un conseiller.
Dusan hocha la tête à l'affirmative.
La cardinale Garance s'avança :
— L'énerite est un don des Saints Parents. Imaginez donc que nos recherches puissent être revendues, ou bien si l'un des sujets de Dalstein, un scientifique par exemple, cédait de l'énerite à une organisation afin de satisfaire ses propres intérêts...
Un silence tomba sur le pièce, chacun prenant la mesure des paroles de la religieuse.
— Une situation terrible en naîtrait, compléta le Ministre de l'Intérieur d'un ton entendu, nous devons prendre garde, Votre Altesse. Si nos amis ont pour projets de nous voler, nous devrions préserver nos recherches. Même si Darovir n'a rien ordonné de tel et qu'il s'agit d'une tentative faite par un riche commerçant, l'énerite ne profiterait qu'aux actionnaires et aux corporatistes sans scrupules.
— Effectivement, nous ne pouvons pas laisser son utilisation et ses recherches sans contrôle..., déclara Dusan en hochant la tête.
L'assemblée échangea des paroles d'approbation.
— Que pense son Altesse Joren de cette nouvelle ? Sa Majesté Impériale lui a confié certaines responsabilités en ce qui concerne l'énerite, questionna une fonctionnaire. Nous devons également connaître sa position sur cette annonce surprenante. Devons-nous punir discrètement Darovir pour leur impudence ? Ou bien leur sommer de faire une enquête, s'ils réfutent toute implication ?
— Concernant Joren Primtir, il..., Dusan fit exprès de laisser sa phrase quelques secondes en suspension. Garance toussota, semblant soudain mal à l'aise.
— Nous attendons de connaître ses propositions sur le sujet. Il a également été informé, n'est ce pas, Capitaine Ottmen ? Après tout, mon frère doit...mûrement réfléchir. Darovir était également le pays de la première Impératrice Ulrika.
Les fonctionnaires s'échangèrent des regards, la bouche grimaçante. Les nobles parmi eux gardèrent un visage impassibles mais on pouvait voir dans leur rictus des soubresauts d'agacement. Depuis le retour de son épouse à la capitale, le Prince Héritier n'avait donné nul signe de vie. Il avait pourtant la réputation d'être un homme solide, son surnom n'était-il pas La Gueule de Lion ? Pour soutenir son père malade, il devait agir et se montrer présent. Ou était-il ? Pourquoi la Première Princesse était-elle de retour de façon si subite ? Mais finalement, que sait-on vraiment ce prince des usages de la cour et de sa position ? La moitié de sa vie s'est déroulée dans le Nord, sous le soleil des tropiques. Son absence lui donnait des tords et il n'était pas là pour se rattraper.
Des murmurent s'élevèrent. Dusan écouta d'une oreille les commentaires acerbes et une satisfaction monta en lui.
— Je tiens cependant à vous rassurer, comme je vous disais, le Ministre de l'Intérieur nous a informés que cela se produirait tôt ou tard. En accord avec Damjan Duatir, je vais demander à ce que les recherches actuellement réalisées sur l'énerite nous soit dévoilées, afin de mieux pouvoir les protéger... Ce n'est pas la première fois que Dalstein subit ces tentatives de vol, nous mettrons en place le protocole indiqué avec les universitaires et les chercheurs.
— L'ordre des chevaliers et moi-même répondront présents pour protéger les intérêts de l'Empire.
Dusan hocha la tête.
— Votre Altesse, comment se porte Sa Majesté ? questionna le Ministre des Cultes tout en tripotant nerveusement sa broche.
— L'Empereur est fort éprouvé par ses responsabilités et se repose, par la grâce de Ronia, son état est stable. Il s'entretien chaque jour par correspondance avec Joren Primtir et Damjan Duatir. Il siégera au conseil des Ministres la semaine prochaine, son secrétaire particulier vous informera de la situation.
Dusan s'inclina devant l'assemblée en se penchant légèrement en avant :
— Je vous remercie de vous soucier de la santé de mon père, que les Saints Parents veillent sur nous tous.
Certains membres présent se mirent à rougir et hochèrent la tête avec une soudaine timidité, peu habitué à cette humilité.
— Nous prirons pour lui, murmurèrent les nobles et les fonctionnaires.
La réunion s'acheva après plusieurs discussions concernant d'autres affaires d'Etat. Enfin, les membres prirent le chemin de la sortie, certains échangeaient toujours sur l'absence de Joren.
Une fois seul, Dusan repartit s'assoir à son bureau. Il ouvrit une petite porte de son meuble en marquetterie et sortit un verre de cognac. Il fit couler l'alcool ambré tout en redressant une mèche de cheveux sombres. Ses pensées allèrent à Joren et au journal de sa mère puis à l'énerite.
Impossible que Joren ne sache pas que les Daroviens cherchent à nous doubler... Sans doute est-il le premier au courant de tout cela. Son silence est suspect, il sait quelque chose que nous ignorons, je suis certain qu'il a une longueur d'avance... Il faut à tout prix interroger les universitaires sur le sujet. Qu'est ce que Dalstein a découvert sur l'énerite ?
On frappa à sa porte, Dusan releva la tête et la voix d'un valet annonça l'arrivée du Duc de Veerhaven. Dusan lui permet d'entrée.
Le Ministre se présenta devant lui, un sourire au visage :
— Si je puis me permettre, Votre Altesse, ma fille s'est bien reposée de son voyage et prendra ses nouvelles fonctions demain. Auriez-vous le temps de lui rendre visite ? Elle est nerveuse à l'idée de revenir à la cour après tant d'années d'éloignement.
Dusan accepta, un sourire au coin. Le vieil homme aurait pu lui envoyer une simple lettre afin de lui proposer cette visite, mais il avait tenu à venir l'énoncer lui-même, signe qu'il tenait à ne pas se faire oublier.
Ils échangèrent quelques banalités et le Duc se retira. Dusan demanda au valet de lui apporter un complet de rechange.
Quelques minutes plus tard, on cogna de nouveau à sa porte. au coups légers contre le bois, il reconnu une visite inopinée de Léonie. La jeune femme, portant l'une des robes qu'il lui avait offerte, jaune et crème montée sur plusieurs volants de mousseline, tourbillonna dans la pièce pour se lover dans ses bras.
— Où t'en vas-tu, ainsi bien habillé ? demanda la jeune femme après l'avoir embrassé.
Dusan portait à présent sur lui un costume gris perle rehaussée d'une broche en saphir en forme de sablier, symbole du Dieu Kertion.
— Je vais rendre mes hommages à Oriana, répondit-il en laissant son valet de pied fixer ses boutons de manchette.
Léonie grimaça légèrement.
— Est-ce que je peux venir avec toi ? Je dois partir pour Hautebröm dès demain matin afin que les ingénieurs commencent les travaux de ce pont...
Comme s'ils avaient besoin de moi pour poser la première pierre ! L'architecte n'a même pas encore été sélectionné ! Ne peuvent-ils pas envoyer les dessins ici ?
— Et je n'ai jamais rencontré la Première Princesse, continua-t-elle en soupirant, ne vaudrait-il pas mieux que je la rencontre avant ? J'ai peur de faire une erreur si je me présente à elle en public.
Dusan hésita, la conversation qui allait se tenir avec sa belle-soeur serait des plus sensibles. Cependant, les joues rouges et le regard inquiet de sa maîtresse lui arrachèrent un sourire. Il lui caressa le sommet de ses longs cheveux soyeux :
— Tu es si douce Léonie, tu essaies toujours de faire de ton mieux. Tu m'accompagneras mais il faudra te montrer discrète. Concernant le pont, je suis heureux de voir que tu t'investies.
La jeune femme grimaça intérieurement. Sans la pression de sa tante, jamais elle n'aurait remis les pieds à Comblaine. Elle embrassa le jeune homme sur la joue en signe de reconnaissance.
Ils arrivèrent tout deux à l'heure du thé à la somptueuse demeure du Prince Héritier. Souvent absent de la capitale, Joren y avait rarement mis les pieds, préférant loger directement au Palais Impérial. La résidence était donc toute acquise pour Oriana, qui y avait établis ses quartiers dès son arrivée.
On guida le jeune couple dans les galeries, décorées aux murs par des peintures de fleurs et de végétaux. Léonie resta bouche bée face au décors, à la fois raffiné et délicat.
— On dirait que seule des femmes habitent ici..., murmura t-elle à Dusan.
— Bien observé, je me demande à quoi doit ressembler sa résidence dans le Nord.
— A un boudoir géant sans doute, gloussa t-elle en imaginant une femme frustrée et désœuvrée par son mari.
— Oriana est réputée pour ses goûts, la résidence est superbe, répliqua Dusan d'un ton légèrement sec.
Léonie ne répondit rien. La demeure était effectivement magnifique. Dans une entrée, ils croisèrent la statut en cristal d'une ourse et de ses petits, animal incarnant la Déesse Délia.
Ils furent reçus dans un salon d'été, abrité dans une serre à l'ambiance tropicale. Des canapés au tissu brodée rose et jaune étaient disposés autour d'une table basse sertie de nacre et d'émail irisé.
Au moment où ils prirent place, un bruissement se fit entendre. Les deux jeunes gens tournèrent la tête pour croiser le regard d'une femme qui arrivait derrière eux.
Elle était de grande taille, habillée d'un exquis chemisier couleur ivoire et brodée de myosotis, qui découvrait ses épaules. Sa bouche, bien dessinée, était marqué par un sourire discret et ses yeux, d'un bleu profond, brillaient d'un éclat vivace. Elle avait le visage ovale, la taille un peu large mais une gorge généreuse. Sa jupe, ceinturant sa silhouette, était de soie cobalt et descendait en une petite traine derrière ses talons. Sur sa tête était posée une petite couronne faite de perles et d'argent, symbole de son rang. En présence d'un membre de la famille impériale, il était usage pour elle de la porter.
Son maintient, à la fois gracieux et imposant, dégageait une marquante aura de dignité.
Léonie compta quatre dames de compagnie à sa suite, toute des nobles triées sur le volet.
Dusan se redressa et la salua selon les usages.
— Dusan Tritir, cela fait si longtemps, répondit Oriana, je n'ai malheureusement pas pu rendre hommage à Sa Majesté Carolina, ayant été souffrante. Votre mère me manque beaucoup. Vous avez tant grandi et vous ressemblez chaque jour un peu plus à beau-papa. Quel charmant jeune homme vous êtes devenu. Comment se porte Damjan ?
— Je suis heureux de voir que la Mère vous a accompagné dans votre rétablissement. Mon frère va bien, il œuvre chaque jour pour l'Empire et se trouve aujourd'hui dans l'Ouest, pour une charge diplomatique.
— Oui, je vois, avec les Arbisiens, n'est ce pas ? Damjan a toujours été si sensible, j'espère que ses humeurs nostalgiques se soigneront en bord de mer. Il aime tant être détaché du monde.
Léonie rit intérieurement, le second Prince était loin d'être un mélancolique !
Oriana fit signe à son hôte de s’asseoir, le thé fut livré.
Les dames de compagnie restèrent debout, derrière le dossier du canapé, le visage souriant et dénué de toute autre expression. Léonie prit place aux côtés de Dusan.
La jeune femme, fascinée par les manières d'Oriana, resta un instant immobile. Dusan, pourtant rompu aux mondanités et habitué à côtoyer chaque jour des personnes de haut rang, avait également du mal à détacher le regard de sa belle-sœur.
Elle servit elle-même le thé au jeune homme, au moment ou la mÉain délicate allait reposer la tasse, Léonie prévint :
— Je prendrai deux sucres, s'il vous plaît.
La main d'Oriana resta en suspends, la tête délicate de la princesse se tourna vers elle :
— Oh, vraiment ?
Dusan pinça des lèvres. Léonie sentit son amant se raidir légèrement et compris immédiatement qu'elle avait commis un impair.
— Je vous présente Léonie de Madalberth, qui a été adoptée récemment par le Duc..., commença t-il d'une voix qui se voulait ferme.
— De Madalberth, c'est bien cela ? demanda Oriana en servant une seconde tasse de thé.
Les deux jeunes gens hochèrent la tête. Oriana regarda Léonie. Évidemment, la Première Princesse avait eu vent du scandale ayant entaché la réputation du Duc de Hautebröm. Léonie hésita, devait-elle se mettre à pleurer ? Ou bien s'excuser d'avoir parlé la première ? elle ne su pas comment tomber dans ses bonnes grâces, comme elle avait réussi à le faire avec tous les autres nobles d'auparavant.
La jeune femme lui fit sa plus belle expression embarrassée et déjà, des petites larmes apparurent au coin de ses cils. La princesse plongea son regard bleu foncé dans le sien et lui jeta un sourire éblouissant, coupant court à toute tentative d'amadouement.
— Votre tasse, dit simplement Oriana en déposant la coupe accompagnée de deux morceaux de sucres.
Léonie cessa la montée de larmes et avala sa salive.
— Léonie fait son entrée dans le monde..., essaya d'expliquer Dusan.
Le jeune homme se senti soudain ridicule. Qu'est ce qui lui avait pris d'accepter d'amener Léonie avec lui ? Il vit les dames de compagnies agiter leurs éventails.
Mais Oriana ne releva pas l'information. Elle bu sa tasse en silence.
— Avez-vous des nouvelles de mon frère Joren ? demanda t-il.
— Non, répondit Oriana après avoir avalé une gorgée.
— Votre père vous a t-il rapporté notre échange ?
— Effectivement.
Dusan garda un instant le silence, mal à l'aise, cherchant un angle pour aborder le sujet. Léonie eu quelques instants le regard fixé sur la couronne posée sur la tête de la princesse, les lèvres légèrement entrouvertes. Elle se rappela les paroles de sa tante.
— Vous dites que mon époux, l'héritier au trône de Dalstein, est impliqué dans la mort de votre mère. Quelle preuve avez-vous contre lui ? Il a toujours eu un grand respect pour Carolina.
La question, posé avec calme, s'éleva dans l'air. Dusan glissa un regard vers les dames de compagnie, qui l'observaient maintenant avec intensité. Son entrevue avec Oriana aurait du être discrète, il avait prévu de parler avec elle par demi-mots, désireux de lui faire comprendre ses intentions de manière subtile. Oriana ne sembla pas vouloir perdre de temps en élégantes paroles et avertissements voilés. Le jeune homme commença sans ambages :
— La mort de ma mère ayant été subite, l'Eglise a demandé à ce que son corps soit examiné. Ils ont trouvé une grande quantité de poison, absorbé depuis longtemps par son organisme. Ce qui explique l'œdème pulmonaire qui la faisait souffrir depuis plusieurs mois. Une enquête a été faite et de la poudre de ricine a été trouvée dans son talc. L'information est restée secrète, sous l'ordre de mon père. Elle se servait de cette poudre chaque soir, après sa toilette, et nous savons tous les deux que c'est Joren qui lui faisait livrer en cadeau deux fois par an.
— La disparition de belle-maman a été si soudaine..., observa Oriana avec un grand calme, les rumeurs vont bon train en province, je suis triste de découvrir qu'elles sont vraies. Je prie les Dieux qu'elle n'ait pas trop souffert.
Dusan releva la tête et ignora ces derniers mots, le coeur battant. Il continua :
— Concernant les preuves, Damjan et moi sommes en train de les réunir. Nous avons arrêté plusieurs personnes, dans le plus grand secret. Notamment une employée de la manufacture de talc qui a avoué avoir mélangé la ricine à la poudre contre une importante somme d'argent. Elle a décrit avoir reçu cette proposition de la part d'un arbisien portant une large cicatrice au visage... Damjan a reconnu la description d'un proche de Joren.
Les éventails des dames de compagnies cessèrent quelques instants de s'agiter, puis reprirent de plus belle, comme si les mouvements de leurs poignets cachaient un langage secret. Dusan comprit que les femmes en face de lui connaissait ce commanditaire arbisien.
— Ses motivations sont également nombreuses... Ma mère a découvert qu'il n'est probablement pas le fils de l'Empereur et elle a conservé ce secret des années durant. Cependant, une dispute a opposé Carolina et l'Héritier il y a deux ans, au sujet de l'utilisation de l'énerite. Vous êtes la mieux placée pour connaître la position de Joren sur le sujet. Il souhaite écarter notre religion des décisions de l'Etat et que l'énerite ne soit plus sous la surveillance de l'Eglise. Nous savons tous qu'il est très influencé par Darovir, pour lui, l'énerite n'est pas un objet sacré. Ma mère s'est fortement opposée à ses propos et à tout fait pour étouffer le scandale qui s'anoncait. Nous pensons avec Damjan que c'est là que tout a commencé. Il n'avait auparavant aucune raison de se méfier d'elle. Ma mère en fait état dans son journal intime, ainsi que bien d'autres choses...
Oriana haussa des sourcils face à cette annonce :
— Vous avez lu le journal intime de votre mère ? Comment a-t-elle pu découvrir que Joren Primtir est véritablement le fruit d'un adultère ?
— Les daslteinis ont demandé à ce que ses mémoires soient publiées. Nous l'avons trouvé dans ses affaires personnelles peut de temps après sa mort. L'Empereur est le seul, avec Damjan et moi-même, à en avoir pris connaissance mais il refuse de divulguer ce qu'il contient. Les premières pages du journal ont été rédigées par la première Impératrice Ulrika et l'on y découvre qu'elle était amoureuse d'un autre.
La bouche de Dusan se pinça, ses épaules tremblèrent légèrement. Les dames réunies purent voir dans ses yeux sombres la flamme d'une haine contenue. Un silence glaçé tomba dans le petit salon exotique et coloré.
Oriana ferma un instant les paupières. Les premiers mois de son mariage, Joren et elle avaient essayé de s'entendre et s'étaient forcés aux confidences. Elle se rappela clairement que le jeune héritier avait émis des doutes quand à sa propre légitimité. Il lui avait été difficile de le rassurer, étant donné que son visage était le portrait craché de sa mère et qu'à l'époque, les rumeurs circulaient encore.
La Première Princesse articula après un long silence :
— Mon honnêteté ne peut que vous confirmer que le Joren Primtis n'est pas en mesure d'affirmer avec certitude qu'il est le fils de l'Empereur. Je dois vous dire qu'il m'a appris que Sa Majesté lui a fait lire le journal de votre mère, il y a fort longtemps. C'était pour le rassurer... J'avais déjà connaissance des passages rédigés par Ulrika. Elle y explique comment elle est tombée enceinte et y décris ses interactions avec beau-papa. Mais je me rappelle clairement que ces passages étaient susceptibles de porter à confusion.
— Mise à part les quelques personnes mises aux secrets de ce qui s'est passé avant ce mariage, qui avait fait grand bruit à l'époque, personne ne peut affirmer avec certitude que le sang des Fretnarch coule dans les veines de Joren. Nous avons demandé à Liselotte de confirmer l'authenticité du journal et elle l'a bien reconnu comme étant celui de ma mère... Si seulement vous pouviez lire les mots qu'elle a écrit ! Ma mère était animée par la peur, face aux pressions exercées par Joren, elle remettait en question chacun de ses gestes, chacune de ses décisions. J'ai pu découvrir qu'elle était en proie à la plus grande confusion et que sa vulnérabilité allait croissante. Elle anticipait ses rencontres avec mon frère ainé avec la plus grande crainte, elle a demandé à ce que sa sécurité soit renforcée, que Liselotte reste à ses côtés jours et nuits ! J'ai lu ses mots et ses pensées... sa méfiance lui faisait perdre toute confiance en elle, ses médecins ont dû intervenir, car j'ai découvert que sa santé en a pâti. Son alimentation était étroitement testée, ses déplacements et ses visites également. Son cercle d'amis, trop difficile à surveiller, a été réduit. Ce qui l'a d'autant plus isolée.
Oriana garda quelques instants le silence, mesurant les paroles du jeune Prince. Après une nouvelle gorgée de thé, elle continua :
— Pardonnez-moi, Dusan, mais par quel moyen Joren aurait-il pu autant déstabiliser Carolina ?
— Par des lettres de menaces, des billets d'insultes et des moyens de pression mis en place dans l'ombre... Ma mère s'est retrouvée aux abois.
— Ne s'est-elle donc pas confié à Sa Majesté ?
Les mains de Dusan frémirent :
— Je soupçonne mon père de s'être dérobé, par sentiments envers son fils aîné. Il n'a pas pris ses peurs au sérieux. Il n'ose admettre la vérité et refuse qu'elle éclate au grand jour... C'est certainement honteux et cela éclaboussera notre famille de honte pour plusieurs générations, ce crime restera certes dans l'histoire... Mais nous devons connaitre la vérité. La lumière dans nos racines est la devise de Dalstein. L'attitude de Joren est factice, il doit posséder des soutiens de puissances étrangères, telle que Darovir, ou bien l'Arbise. Celui qu'on surnomme la Gueule de Lion un lâche et un menteur. J'ai essayé d'en parler à mon père, mais depuis qu'il a lu le journal, il s'est plongé dans un mutisme et dans un désespoir total. Il l'a rangé dans une pièce, scellée dans les sous-sols du château et a interdit quiconque d'y toucher...
Oriana resta songeuse un moment. Elle pouvait effectivement croire que son mari était un réformiste, ou bien un hérétique mais un être animé par la vengeance ne lui ressemblait pas.
— Le Prince Héritier a déjà été amené à tuer lors de ses missions en mer. C'est un homme de terrain. Je ne l'imagine pas fomenter un plan si pervers, déclara Oriana d'un ton ferme.
Dusan se redressa de toute sa hauteur, il s'était attendu à ce que sa belle-soeur fasse preuve de la plus grande objectivité.
Léonie, reléguée en rang que simple figurante, observait cependant la scène avec le plus grand intérêt ; elle pinça des lèvres et eut subitement envie de rire.
Ah, comment vas-tu réagir à cela, Madame Perfection ? Ton mari est un traître et un bâtard, ton monde s'effondre ! Vas-tu te terrer dans ta chambre comme cette imbécile de Giselle ?
Ses yeux rencontrèrent ceux d'Oriana, qui semblaient avoir lu dans ses pensées. La Princesse eut un large sourire :
— Bien évidemment Dusan, je continuerai à œuvrer dans l'intérêt de l'Empire. C'est notre devoir.
Léonie vit Dusan hocher la tête avec force :
— Oui, sachez que votre travail ne saurait être oublié par l'Empereur et par Damjan.
Oriana prit délicatement sa tasse entre ses doigts gracile et après avoir bu une gorgée :
— J'ai parfaitement confiance en Sa Majesté et en votre frère, dit elle avec satisfaction.
Après quelques échanges mondains, Dusan et Léonie quittèrent la demeure, raccompagné par un jeune majordome.
— Alors, comment as-tu trouvé Oriana ? demanda le jeune homme en prenant place dans sa voiture.
— Et bien..., j'ai du mal à trouver mes mots...
Léonie comprit qu'elle se sentait vexée et agacée voir pire, humiliée par cette rencontre.
— Oui, il est difficile de la décrire. Oriana est une femme formidable, une des plus épatantes que j'ai jamais rencontré. Elle sera une Impératrice à la hauteur.
Léonie grimaça intérieurement et se rappela de la mince couronne que portait cette femme, sur le sommet de sa tête.
La jeune femme sentit la main de Dusan se glisser dans son corsage. Le jeune homme lui aggripa la nuque.
— Pas maintenant, Votre Altesse, je dois partir dès demain à Comblaine pour ce pont... je dois rentrer et tout préparer pour mon départ.
Le Prince regarda sa maitresse, interloqué, puis partit dans un grand éclat de rire :
— Oui, tu as raison ! Je vais te raccompagner. J'ai également beaucoup à faire pour les prochains jours, je dois écrire à Damjan sur cet entretien avec Oriana et je dois lancer les recherches sur ce traitre de Joren...
Léonie embrassa Dusan durant tout le reste du trajet et failli céder à ses avances. Mais la jeune femme, déterminée, sortit de la voiture en ne pensant qu'à Oriana et à sa propre position.
— J'espère que je vais vous manquer..., chuchota t-elle dans le creux de l'oreille de son amant.
— Enormément, répondit-il avant de fermer la porte.
Il observa la longue silhouette sombre de Léonie se glisser derrière la porte.
— Où allons-nous, Votre Altesse ? demanda le chauffeur d'un ton placide.
— Retournons au Palais Impérial, répondit Dusan en serrant les dents.
— Capitaine Ottmen, appela cependant Dusan avant que ce dernier ne franchisse le seuil de la porte. veuillez rester, je vous prie.
Ce dernier claqua des talons et se mit au garde à vous, attentif. Dusan se leva et fit le tour de son bureau, il fixa quelques instants le soldat en face de lui.
Augusta la Douzième a dit que les militaires sont des êtres loyaux, obéissants, toujours en quête de reconnaissance..., songea-t-il en remarquant les larges épaules et les avants bras musclés du chevalier.
Dusan retroussa légèrement les lèvres, les militaires étaient-ils toujours utiles, dans cet Empire baigné par la paix depuis plus d'un siècle ?
— Pourquoi vous-êtes vous engagé dans l'armée ? questionna Dusan en s'appuyant sur son bureau.
Le prince fixa les médailles épinglées et les épaulettes dorées sur l'uniforme rouge et vert.
Le Capitaine répondit :
— Votre Altesse, j'avais à coeur de servir l'Empire.
— Vous êtes issu d'une famille noble, un marquisat je crois... Vous auriez pu servir notre gouvernement en devenant fonctionnaire ou bien en tenant votre titre.
— C'est vrai, Votre Altesse. Mais j'ai préféré m'engager.
— Pourtant, notre puissance diplomatique et le poids du Culte de la Mère qui pèse sur le globe nous confère une paix durable.
— Si je puis me permettre, Votre Altesse, l'Empire de Dalstein se doit de posséder la meilleure des défense possible. Le dieu Kertion est le maître du temps, nous ne devons pas oublier qu'il peut tout transformer et...
— Je connais les pouvoirs de Kertion, dit Dusan d'un ton acide. Je sais que la paix n'est pas immuable. Mais l'armée non plus, n'est-ce pas ?
— Je ne comprends pas...
Dusan fronça les sourcils, agacé.
— Vous avez fait vos classes avec Joren Primtir, est-ce correct ?
— Tout à fait.
Le prince vit la commissure de la lèvre du capitaine Ottmen trembler. Il esquissa un sourire.
— Vous êtes un homme fidèle à l'Empire et à l'Empereur. Pourtant, on m'a rapporté que lors de votre passage à l'école Militaire, vous n'étiez pas très... loyal envers Joren Primtir.
— Il s'agissait juste d'une rivalité puérile, entre deux jeunes soldats.
— Je ne crois pas non..., j'ai lu les rapports qui ont été écrits lors de vos nombreuses punitions. Votre instructrice a été très explicite sur les mots que vous avez échangés avec mon frère. Vous le nommiez régulièrement le bâtard ou l'infidèle...
— Je vous demande pardon, Votre Altesse, c'était il y a longtemps...
— J'ai appris que votre inimité est allée si loin que, lors d'une rixe, vous avez été tout deux blessés. A la fin de vos classes, vous avez été envoyé dans le Sud, en guise de condamnation. Vous avez mit plusieurs années pour gravir les échelons et pour réussir à revenir à Lengelbronn... Quel travail difficile cela à dû être, je vous félicite.
Le capitaine baissa les yeux sur ses bottes vernies.
— Comme vous l'avez dit vous-même, c'était il y a bien longtemps... Cependant..., Dusan fixa quelques secondes un portrait du Dieu Lykion, suspendu à un mur. A ses côtés se tenaient le loup ailé à deux têtes, symbole de son pouvoir. Le prince poussa un soupir, il reprit : Cependant, il faut que vous sachiez qu'il est prévu que, peut après l'intronisation de mon frère, vous retourniez dans le Sud.
Le Chevalier redressa la tête et le choc de la nouvelle l'empêcha de contrôler son émotion. Son visage se défigura quelques instants dans une expression de colère et de dégoût intense.
— Je vois que cela ne vous laisse pas indifférent. Je vous comprends, vous avez accompli un travail... déterminant au Palais Impérial ces dernières années.
Dusan mentit sans concession. L'ordre des chevaliers tenait juste un rôle de façade, leurs uniformes faisaient plaisir au touristes et aux sujets de lengelbronn. Si leur mission de protection était réelles, les chevaliers pouvaient du jour au lendemain être remplacés par la garde montée ou d'autres gens d'armes.
— C'est pour cela que je suis prêt à vous soutenir, Capitaine. Damjan et moi-même nous sommes concertés et nous souhaitons que vous surveillez Joren Primtir avec vos hommes les plus discrets. Je ne peux pas, pour l'heure, vous dire pourquoi. Nous avons besoin de personnes sur qui nous appuyer et nous manquons d'éléments le concernant. Depuis que la Première Princesse Oriana est revenue, il ne donne presque plus de nouvelles à Lengelbronn. Cela nous inquiète.
— Bien, Votre Altesse Impériale, répondit brusquement Ottmen.
Et bien..., le convaincre aura été bien plus facile que ce que j'ai pu imaginé..., pensa Dusan en regardant la silhouette frémissante de rancune en face de lui.
— Je vais réunir mes meilleurs hommes et je reviendrai vers vous et Damjan Duatir avec mon prochain rapport. La lumière dans nos racines.
Souriant doucement, Dusan lui fit un signe de tête. Le Chevalier claqua de nouveau le talon de ses bottes et s'engouffra vers la sortie, porté par les ailes de la détermination.
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