Chapitre 30

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— Votre Altesse, vous êtes fou ! gloussa Léonie en remonta la couverture sous son menton.

— Juste fou de toi, ma chérie ! répondit Dusan en l’embrassant fougueusement.

Le valet de pied, posté derrière la porte de la chambre, leva les yeux au ciel et regarda sa montre à gousset. Les gémissements et autres rires étouffés s’entendaient dans tout le couloir de la suite princière.

Une bonne, occupée à faire la poussière et à cirer les meubles, lui tapota sur l’épaule avec compassion avant de s’enfuir dans les cuisines. L’homme en uniforme souffla et prêta l’oreille, après d’interminables minutes les bruits s’étaient tus. Il se redressa, devinant qu’il serait bientôt appelé.

La cloche retentit, il compta les secondes règlementaires et entra dans la chambre.

Évidemment, la demoiselle était encore nue et le jeune maître, avachi sur les coussins, lui commanda à boire.

En voyant le visage mal à l’aise du domestique, Dusan se releva contre la tête de lit :

— Léonie, couvre-toi s’il te plait, demanda-t-il subitement, courroucé.

— Ce n’est pas ce que vous disiez il y a quelques minutes…, pouffa la jeune femme en se tenant droite, fière d’offrir à la vue de tous ce corps qu’elle savait magnifique.

Le valet tourna les yeux et ferma la porte derrière lui. Il courut vers les cuisines en pestant.

— C’est parce que vous êtes jaloux ! taquina Léonie en voyant la mine renfrognée de Dusan.

— Non, je voudrais que tu fasses attention lorsque le personnel est là.

— Mais il s’en fiche, et puis, ne suis-je pas à l’image de ces statues que l’on trouve dans les Églises ? Je ne suis qu’une simple femme dans la plus modeste des tenues, la Mère m'a créée ainsi.

— Celui-ci est un domestique qui m’est fidèle depuis des années, dit Dusan en prenant son peignoir.

— Votre Majordome est bien moins sensible sur ce sujet…

Léonie s’arrêta de parler, craignant d’avoir été trop loin. Elle avait constaté depuis longtemps déjà que les humeurs de Dusan étaient changeantes après avoir batifolé.

La jeune femme hocha la tête en silence, elle s’habilla doucement.

— Je m’excuse, dit-elle d’une voix soudain gonflée d’émotion. C’est juste que… hier soir, j’ai vu que la fille du ministre des Cultes vous tournait autour. Elle est si charmante et sa robe verte était éblouissante ! J'ai détesté cette inauguration.

Dusan réfléchit quelques instants, il se rappela d’un joli minois et de timides sourires.

— C’était avant, ou après avoir coupé le ruban ? questionna innocemment le jeune homme.

— Toute la soirée !

Dusan se mit à rire, le valet de pied fit son retour et sembla soulagé de constater que des vêtements avaient été enfilés. Il posa un plateau contenant des verres et quelques en-cas puis s’éclipsa.

— Je sais que, constamment, de nombreuses filles espèrent en secret vous faire tomber dans leurs grâces. Depuis que je suis entrée dans le monde, je ne croise que des personnes intéressées… Parfois, on murmure sur mon passage, certains comptent les jours avant que vous soyez lassé de moi…

Dusan eut un pincement au cœur, il se retourna vers Léonie. Le temps d’un instant, la jeune femme fut subjuguée par la présence et la beauté de son amant. Svelte, au corps bien dessiné, son visage parfaitement sculpté était divin et son regard sombre, profond et ténébreux, ne pouvait que donner l’envie de s’y plonger.

— Vous êtes si… impérial, soupira Léonie.

Il lui caressa les cheveux :

— Toute ma vie, je serai courtisé. C’est ainsi.

— M’aimez-vous ?

— Bien sûr ! Et vous ?

— De tout mon cœur.

— Mais toi aussi Léonie, tu es adulée. Ce n’est pas parce que mes yeux ne sont pas posés sur toi que je ne remarque pas pour autant les rapaces qui te tournent autour… Je goûte au meilleur fruit du monde, alors chacun veut en découvrir la saveur… Qui me dit qu’un jour, tu ne seras pas lassée de cette vie si exigeante ? Beaucoup de femmes espèrent retourner sur leurs terres, une fois qu’elles ont fondé une famille. Peut-être qu’un noble de province ravira ton cœur et t’amènera sur le domaine de ses ancêtres, pour t’idolâtrer chaque nuit dans le plus grand secret, sans avoir à te partager.

Léonie ria aux éclats :

— Impossible, voyons ! Je n’aime pas la campagne ! Et je ne souhaite devenir l’idole que de votre cœur.

Dusan sourit :

— Oui, tu es l’idole de la tentation et l’incarnation de tous les plaisirs. Je ne connais pas un seul homme qui ne voudrait pas céder, juste un instant, à tes charmes de magicienne.

Dusan poussa tout à coup un profond soupir.

— Qu’avez-vous, subitement ? demanda Léonie avec inquiétude.

— Rien, je suis fatigué. J’ai tant à faire pour Damjan, nous sommes en train d’enquêter sur Joren et sur les informations laissées par ma mère dans son journal intime. Nous avons envoyé des hommes en Darovir afin de trouver des indices sur la vie passée d’Ulrika et sur le père de Joren. Elle aurait eu un amour de jeunesse, avec l’un de ses cousins… je ne sais pas lequel encore, ils étaient très nombreux. je veux aussi découvrir pourquoi ils ont mandatés des espions... Je me demande ce qu'ils cherchaient précisément, parmi nos études sur l'énerite.

Léonie prit Dusan dans ses bras et lui caressa le dos :

— Reposez-vous auprès de moi, vous dormez mal en ce moment, je serai la gardienne de vos songes.

— Merci, rit doucement le jeune homme en se laissant bercer.

Ils restèrent un instant l’un contre l’autre, les pensées de Dusan se perdirent quelques minutes dans le silence.

— Je te suis reconnaissant, Léonie, dit-il tandis qu’elle lui caressait les cheveux. J’aurai toujours une place pour toi dans mon cœur…

— Vous m’aimeriez tout autant, si j’étais pauvre et de faible extraction ?

— Oui.

— Et si j’étais l’héritière d’un des plus beaux empires du monde ?

— Oui, évidemment.

— Et si j’étais laide ?

Dusan tourna la tête vers elle ils se regardèrent un instant, enfin, les deux jeunes gens éclatèrent de rire.

— Je voudrais que tu restes à mes côtés pour l’éternité…, finit par dire Dusan en l’embrassant. Ce sera certainement possible un jour.

Le cœur de Léonie explosa de joie.

La jeune femme rentra chez elle, toute tremblante d’excitation, réfléchissant déjà à comment elle pourrait annoncer cela à sa mère et à sa tante.

Léonie entra dans sa suite de Lengelbronn sans prendre la peine de retirer ses bottines. Elle tenait sous le bras plusieurs lettres et son chapeau de feutre à ruban parme. D’un revers de main, elle appuya sur l’interrupteur et les grands chandeliers en cristal colorés, s’allumèrent.

— C’est qu’on n’y voit rien, avec ce temps ! pesta la jeune femme en prenant place dans un fauteuil.

Dehors, il pleuvait, l’été prenait fin. Constance, à sa suite, grimaça en découvrant des traces de terres sur les tapis moelleux.

— Voyons voir…, fit Léonie en ouvrant la première lettre. Une lettre de ma mère pour me dire qu’elle passera quelques jours ici pour célébrer Lykion et profiter de mon anniversaire. Elle me recommande de fêter cela avec mes proches amis, quelle bonne idée ! Il faut que j’organise une réception… Pas ici, la demeure est bien trop petite. Je demanderai à Dusan, peut-être à Damjan… il a un si joli jardin.

Léonie posa le courrier sur sa coiffeuse et ouvrit l'enveloppe suivante :

— Voilà une candidature !

Constance, tout en rangeant le chapeau de sa maîtresse, prêta une oreille curieuse.

— Formidable ! s’écria Léonie. Constance, dans deux jours, la fille d’un Baron viendra ici, afin qu’elle devienne ma dame de compagnie.

La bonne se figea et tourna vers Léonie un regard triste.

— Ne sois pas si déçue ! Avec mon rang social, je ne peux pas avoir qu’une amie pour m’accompagner partout.

La nouvelle héritière pensa de nouveau aux quatre dames qui escortaient la Première Princesse Oriana.

— Oh, en voilà une deuxième ! décidément, on se bouscule au portillon !

Léonie éclata de rire et retira ses gants de velours bruns, brodés de dentelles noires.

— La dernière… C’est mon ancien couvent ! Voyons ce qu’ils ont à me dire…

La jeune femme ouvrit l’enveloppe avec un grand sourire et déplia le petit papier modeste. En lisant son contenu, le visage de Léonie se décomposa.

Ils… Ils refusent mes dons ? Sous prétexte que je les ai gagnés aux jeux ?

— Comment osent-ils ? s’écria-t-elle en lançant la feuille à ses pieds. Jamais personne ne leur avait offert autant d’argent ! Ce couvent public ridicule, où on crève de faim et qui tombe en ruine !

Et cette vieille folle de mère supérieure qui a l’audace de me faire la morale !

Léonie se leva, furieuse, et partit dans la salle de bain.

Constance se baissa pour attraper la lettre et la ranger dans un tiroir, elle eut le temps de lire :

Je déplore que les efforts fournis pour vous transmettre nos valeurs soient devenus vains. Notre réputation, aussi modeste soit-elle, ne pourrait souffrir d’être associée à des jeux d’argent et de hasard. Notre pauvreté, bien que flagrante, ne pourrait être comblée par des sommes acquises auprès d’âmes en détresse, victimes de l’appât du gain et de la misère humaine. Nous prierons pour votre…

— Lâche ça ! cria Léonie en arrachant subitement le papier des mains de sa bonne. Va plutôt me faire couler un bain.

La moitié de la lettre resta dans les doigts de Constance, qui recula de surprise.

Léonie se déshabilla en soupirant. En attendant que l'eau soit prête, la jeune femme prit place sur son lit et commença à feuilleter les magasines du jour. Elle tourna directement les pages vers la rubrique mondaine, espérant s’y voir. Un article discret faisait mention de sa sortie au casino.

Quelle horrible photo ! pesta-t-elle en se voyant, les yeux bouffis et le visage rougi par l’alcool. Autour d’elle, on pouvait observer d’autres nobles, tout aussi éméchés qu’elle ce soir-là. Elle grimaça, le cœur battant.

En dessous du cliché, on pouvait lire : La nouvelle héritière des Madalberth, insouciante parmi la jeunesse dorée de province. Éblouissante dans cette robe grenat de soie, ces couleurs chaudes rehaussent son teint bien mieux que les pastels qu’elle porte habituellement. On ne faisait aucun cas de Damjan, elle ne vit pas non plus la jolie blonde aux yeux noirs, habillée de dentelles.

Ils y étaient pourtant ! Pourquoi ne parlent-ils pas d’eux aussi ? À moins qu’ils aient passé le reste de la soirée ensemble !

Elle tourna la page, songeant aux critiques de l’article ; juste derrière, un gros titre se dévoila : La Première Princesse Oriana Fertnarch de Dalstein, fille de Veerhaven, fidèle à la Nation.

Qu’est-ce que c’est que ça ? se demanda Léonie en dévorant le texte.

La Première Princesse s'est investie ces dernières semaines à prier pour le rétablissement d’Auguste, en toute intimité dans l’Église de son domaine de… Léonie se mit à déglutir.

Ces journalistes !

— À côté d’elle, ils me font passer pour une petite ingrate ! Alors que j’ai suivi l’invitation de Damjan !

Elle jeta l’article sur sa table de chevet et partit prendre son bain.

Pendant que Constance lui massait les épaules, la jeune femme s’écria soudain :

— Elle pourra prier tant qu’elle le souhaite, bientôt, ce sera sa seule occupation !

— Comment se porte Son Altesse ? demanda Constance en cachant mal sa curiosité.

— Il a énormément de travail, le pauvre. Il passe beaucoup de temps à convaincre tout le monde que Damjan ferait un meilleur choix pour Dalstein. Mais il ne cesse de m’envoyer des robes de la même couleur, je vais lui dire de changer, la saison de Lykion va commencer, l’automne a des nuances chaudes.

Constance fronça les sourcils. Elle se rappela brièvement des tenues de Giselle : des tonalités légères, discrètes, mais toujours raffinées. Sa position ne lui permettait pas de porter des couleurs autres que celles imposées par l’étiquette.

La bonne ouvrit la bouche pour le lui évoquer mais se résigna, Léonie ne faisait rien comme tout le monde, après tout. Et cela lui réussisait plutôt bien.

La jeune noble ferma les yeux, bercée par les massages de Constance. Ses pensées voguèrent vers le Palais, au bureau de Dusan et à leurs étreintes passionnées, puis vers le jardin de Damjan, si verdoyant et parfumé. Elle songea encore à Oriana et à sa belle couronne d’argent incrustée de perles, puis se souvint, dans un sourire, que le sang qui coulait dans ses veines était largement supérieur au sien.

Des réminiscences revinrent à elle, ses nuits passées dans ce couvent glacial, à grelotter de froid ; son enfance misérable, vécue à se cacher du monde et à se méfier de chacun.

Ma tante a raison, c’est mon droit de réussir et de toutes les dépasser. Je le mérite amplement. Les Saints Parents vont œuvrer pour me mettre sur le trône, je n’ai qu’à attendre… Bientôt… Bientôt…

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