Chapitre 32
Notes de l'auteure : Je ne suis pas non plus sure de la tournure de ce chapitre et le trouve peu convaincant...
Damjan se redressa péniblement et regarda autour de lui, hagard.
Ah… Je me suis encore endormi dans le canapé, pensa-t-il en touchant sa joue froissée par un coussin mal placé.
D’un geste lourd, il dégagea ses longs cheveux sombres de ses yeux et poussa un lent soupir. Sa tête le faisait atrocement souffrir.
J’ai trop fumé hier soir… Quelle heure est-il ?
Ses yeux rougis consultèrent les aiguilles d’une horloge finement ouvragée. Mollement, il se redressa, luttant contre l’irrépressible envie de se recoucher.
La langue pâteuse, il se rinça la bouche avec un verre de vin versé la veille. L’odeur capiteuse de tabac froid lui retourna l’estomac.
Postée derrière la porte, une domestique, ayant entendu du bruit, entra afin d’ouvrir les rideaux et lui apporter une carafe d’eau. Un valet vint à son tour, tenant dans ses bras des vêtements pliés et une paire de chaussures assortie.
— Mais non, voyons. L’été touche à sa fin, la saison de Lykion arrive, il me faut quelque chose de moins estival ! Regarder ce temps gris dehors ! dit Damjan d’une voix pâteuse en agitant la tête.
Le valet fit demi-tour en s’inclinant.
Damjan poussa un soupir et s’approcha de la fenêtre, un mince rayon de soleil caressa son visage.
L’ennuyeuse Menée s’en va, l’hypocrite Lykion fait son entrée, comme chaque année…, pensa-t-il en observant les arbres dont certaines feuilles commençaient déjà à jaunir.
— Dépêchons-nous, s’exclama-t-il subitement à l’adresse de ses domestiques, tournoyant atour de lui comme des abeilles, je dois arriver à l’heure au conseil des ministres ! Préparez mes affaires dès mon départ, mon train pour Engoval part pour quatorze heures.
Une heure trente plus tard exactement, Damjan était en route pour le Palais Impérial. Assis confortablement dans sa berline, il regardait le paysage défiler d’un œil morne. Se tenait à ses côtés une très belle femme blonde aux yeux noirs, vêtue d’une jolie robe orangée et châle de dentelle. Fraîche comme une rose, elle observait le visage contracté de Damjan avec intensité.
— Je vous remercie de me déposer, Votre Majestée, dit-elle avec un sourire.
— Mais je vous en prie, répondit le prince en secouant la main.
— La soirée d’hier était des plus amusantes.
Il hocha la tête, blanc comme un linge. Les virages de la voiture lui tordaient l’estomac. La berline freina et Damjan serra les dents.
— Vous voilà arrivée à bon port, à bientôt, ma chère !
— À bientôt, mon ami, répondit la jolie femme en lui pressant brièvement la main. Passez une bonne journée.
Damjan lui adressa un sourire de reconnaissance et la regarda quitter la banquette dans un frou-frou de tissus.
Lentement, la voiture redémarra et Damjan essaya de contenir ses nausées.
En arrivant au Palais Impérial, ses jambes flageolèrent. Comme toujours, il se maintient et redressa les épaules, ne faisant rien paraître. Il consulta sa montre, il était pile à l’heure, ce qui le poussa à soupirer de soulagement. Il détestait être en retard.
Deux secrétaires vinrent à lui, l’un faisait partie de ses employés, l’autre travaillait avec l’Empereur.
Il déglutit, une angoisse envahit son cœur.
— Votre Altesse, saluèrent les deux hommes.
— L’état de Sa Majesté mon père ? s’enquit-il en masquant sa voix devenue blanche.
— Toujours le même, hélas.
Une grimace déforma légèrement la commissure de ses lèvres.
— Tous les membres du conseil sont présents ? demanda-t-il, le cœur battant.
— Oui, nous pouvons commencer.
Les deux hommes ouvrirent la marche, suivie par Damjan, de plus en plus fébrile.
Ah… Qu’est-ce que je donnerais pour ne pas être ici... Je déteste cet endroit, je déteste ces réunions…
Après avoir parcouru de longs couloirs d’apparats, ils arrivèrent devant deux larges portes vernies.
Et derrière se trouve le purgatoire…, songea Damjan en prenant une grande inspiration.
Les secrétaires ne virent pas les doigts du prince trembler quand ils poussèrent les portes en annonçant :
— Damjan Duatir pour le Conseil des ministres !
Des hommes et des femmes se levèrent à son entrée, fidèle à ses habitudes, le Prince était ponctuel à la minute près. Comme le voulait l’usage, il fit le tour de la table pour les saluer.
Le ministre des Cultes a une main si molle, elle me dégoute… La Duchesse a encore changé de parfum, il est irrespirable… Veerhaven, me fait penser à une limace gluante, comment Oriana fait elle pour regarder cette moustache ? Le ministre de la Justice, quelle horrible veste !
En s’asseyant à la place de son père, Damjan sentit son angoisse monter dans sa gorge. Un masque impassible apparut sur son visage.
— Commençons, demanda-t-il.
Ses nombreux bracelets tintèrent sur la table vernie. La réunion débuta.
— Concernant ces espions envoyés par Darovir, nous avons fait un rapport qui vous sera adressé dès demain matin, nous y exposerons nos mesures afin d’anticiper toute nouvelle tentative.
Damjan observa le ministre de la Sécurité intérieure du coin de l’œil.
Hum… Je crois que Dusan ne lui fait pas confiance, c’est apparemment un partisan de Joren. Il va falloir que j’ordonne à ce que nous l’ayons à l’œil. Quel ennui...
— Nous prendrons connaissance de cela avec le plus grand intérêt, dit Damjan.
— Concernant la réforme des copropriétés…, commença le ministre de la Justice, il y aura du retard… car l’un des membres de mon cabinet m’a subitement présenté sa démission…
Tiens donc… Voilà qui est curieux… Les fonctionnaires de ce cabinet sont indéboulonnables d’habitude.
— Cette réforme n’est pas urgente, monsieur le ministre, je suis sûr que trouver un remplaçant est votre priorité.
— Je vous souhaite bonne chance, déclara soudain la ministre de la Santé, deux médecins de l’office Impérial viennent de prendre leur retraite, il y a quelques jours à peine. Trouver des personnes au pied levé n’est pas évident.
Que de banalités, si seulement je pouvais être loin d’ici, sur une plage des îles de l’Arbise.
Après plusieurs heures de réunion, le Conseil toucha à sa fin. Les ministres et les secrétaires se levèrent avec de grands sourires, malgré la tension qui régnait au Palais à cause de l’état de santé de l’Empereur, les représentants étaient ravis d’observer que Damjan prenait correctement la relève.
Regardez-les, ils sont si heureux de voir que je fais mieux que Joren, ce pauvre type que personne ne connait et qu’ils n’ont jamais voulut accepter.
Une crampe lui saisit le ventre, il salua les membres assis autour de la table avec un grand sourire et quitta rapidement les lieux.
Il sema son secrétaire particulier à grandes enjambées et se précipita vers les toilettes les plus proches. Enfin, il ferma la porte sur lui et une fois seul, pu vomir tout son dégout.
Je ne le supporte pas, à chaque fois, j’ai envie de fuir… Je les déteste tous, eux et leur sourire hypocrites… S’ils savaient, jamais ils ne m’accorderaient le moindre regard, la moindre estime. Je leur donne ce qu’ils veulent et ils me laissent en paix… Mais je ne le supporte pas…
Damjan resta un long moment seul, à cracher et régurgiter ses pensées. Il s’essuya la bouche, fébrile. Son angoisse avait disparu dans le conduit de canalisation.
Il se lava les mains et regarda s’il n’avait pas taché son col et sa chemise, puis tel un homme nouveau, décida :
Je vais rendre visite à père avant la prochaine audience.
Le secrétaire, habitué à voir Damjan se précipiter aux toilettes après chaque réunion, suivit le prince sans un mot. Les deux hommes prirent la direction des appartements privés de l’Empereur et saluèrent avec élégance et bonne humeur chaque personne croisée sur leur route. Le Prince monta les marches en souriant, comme si son trouble du matin n’avait jamais existé.
Enfin, ils arrivèrent devant le couloir menant aux logements impériaux et le secrétaire demeura seul.
Damjan entra et remarqua au loin la longue coiffe orangée des cardinales sur le sommet d’une tête qu’il n’appréciait pas.
Garance le vit de loin également et se dirigea vers lui.
Le visage de Damjan s’assombrit et une lueur scintilla dans son regard, il s'aperçut que la religieuse venait de quitter la chambre de son père.
— Votre Altesse fit la cardinale en exécutant une révérence.
— Votre Éminence…, répondit Damjan en détournant les yeux.
— L’état de votre père s’aggrave de jour en jour…
— Je suis certain que votre présence toxique y est pour quelque chose… La messe matinale n’allège en rien son cœur.
La cardinale fit la moue.
— Posez-lui vous-même la question. Je suis sûre que votre visite…
— Que faites-vous ici, vil serpent à sonnette ? coupa le Prince avec un long sourire. Que cherchez-vous, à tourner autour de mon père, depuis la mort de sa femme ? On dirait que vous êtes en manque de reconnaissance… Vous farfouillez quelque chose… toutes vos belles actions, votre collaboration avec Oriana, ça vous arrache les dents…
La cardinale se redressa vivement et regarda autour d’eux, soudain inquiète d’être seule.
— Je connais votre influence sur Dusan, mon frère est trop fier et égocentrique pour se rendre compte qu’il marche à côté de ses chaussures, surtout depuis le départ de Giselle. Mais ne prenez pas la peine de verser votre sucre dans mes oreilles, je vois à travers vous, Votre Éminence… Votre âme est dégoutante de rancœur et de noirceur.
La religieuse se redressa vivement et planta ses yeux sombres dans ceux du prince :
— Je ne pense pas être la seule à agir dans mes propres intérêts, qu’en est-il de vous ? Vous restez et serez toujours un pauvre enfant égaré, un fils de Ronia raté. Quand votre gardienne vous regarde, elle ne voit que la même chose que moi… Un monstre. Car c’est ce que vous êtes, n’est-ce pas ? Un monstre et une aberration de la nature. Vous êtes dégoûtant et indigne de monter sur le trône.
D’un coup d’épaule, Garance le repoussa et s'en fut sans demander son reste.
Damjan regarda le dos frémissant de colère de la religieuse et une nouvelle nausée grimpa dans sa gorge. En soupirant, il entra dans la chambre de son père.
Auguste était à moitié plongé dans l’obscurité, allongée sur son lit, il ne bougeait pas d’un centimètre.
Damjan congédia la bonne qui demeurait à ses côtés et ouvrit les rideaux en grand, laissant le faible jour illuminer la pièce. Auguste était là, pâle comme la mort, assis à contempler le vide.
Mon cher père… Je suis navré, mais je dois vous l’avouer… Jamais je n’ai demandé à vivre…
L’Empereur tourna subitement la tête vers lui :
— Mon fils… raconte-moi ce qui ne va pas…, murmura-t-il d’une voix si lointaine et si étouffée que son fils pensa rêver.
Damjan vint à lui et s’assit au bord du lit :
— Ce n’est rien, père. Reposez-vous…
— Je suis fatigué… si fatigué…
— Je vais repartir cet après-midi dans l’Ouest, j’ai des choses à traiter. Je suis venu vous dire au revoir.
Un silence l’accueillit pour toute réponse, l’esprit d'Auguste était déjà plongé dans le sommeil le plus profond. Damjan saisit entre ses doigts la main devenue frêle :
— Je suis navré… Je suis indigne de vous et de maman… Pardonnez moi de ce qu’il va se passer, à cause de moi, des gens vont mourir…, murmura-t-il, les yeux remplit de larmes.
À genoux au sol et les mains jointes, Dusan priait. Il adressa ses premières demandes à la Mère, puis à son Dieu protecteur Kertion, maître du temps.
Accordez-nous la réussite, nous ne voulons que la justice et la paix… Faites que Damjan prenne la suite de mon père, faites que ma mère ait trouvé le repos…
En face de lui une petite branche d’arbre et un sablier était posés, il embrassa les deux objets puis se glissa entre les draps de son lit.
Si habituellement, la prière du soir l’apaisait, cette fois-ci, Dusan eut du mal à contrôler les battements de son cœur.
Depuis plusieurs jours, il n’avait pas de nouvelles de l’Empereur, seul Damjan était accepté dans sa chambre.
— Quand il vous regarde, il se rappelle de sa jeunesse, vous êtes son portrait craché, lui avait dit Garance, je pense qu’il se sent coupable de la mort de votre mère et qu’il a perdu tout sens des réalités en ce qui concerne Joren… Il est incapable de prendre une décision.
Avec Damjan, il lui avait exposé leur idée de réforme sur l’enérite. Auguste s’était contenté de les écouter en silence, tirant sur son cigare et les yeux abandonnés au loin, emportés par le vide.
Du mieux qu’il pouvait, Dusan sauvait les apparences, revêtait de plus en plus de responsabilités avec son frère ainé. La présence d’Oriana le soulageait grandement et la Cardinale Garance la secondait efficacement. Avec le soutien du Duc de Veerhaven et du Capitaine de la Garde Ottmen, le jeune homme surveillait les actions de Darovir.
Il réfléchit encore aux mystérieuses recherches que les pays voisins s'efforçaient subitement à voler. Des espions étrangers arrivaient des quatre coins du globe, s’infiltrant par divers moyens dans l’Empire. Dusan avait convoqué les directeurs d’universités pour en savoir plus, ces derniers répondirent évasivement :
— C’est à Joren Primtis de nous interroger, c’est lui qui a cette charge, avaient-ils dit. Nous avons appris que vos souhaitiez donner la gestion de l’enérite à l’Église, nos recherches vont en pâtir.
Dusan demeura calme devant leurs injonctions. De mauvaise grâce, ils finirent par lui fournir une liste de scientifiques à surveiller.
— Quand l’Héritier va-t-il rentrer des Antilles ? demandèrent-ils, courroucés.
— Jamais, avait manqué de répondre le jeune homme.
Dusan ne put s’empêcher de taper violemment contre son coussin, tremblant de frustration. L’idée que toutes les recherches sur l’enérite ne lui avaient pas encore été révélées l’énervait au plus haut point.
Demain, j’exigerai d’avoir accès à tous les dossiers… Ça doit forcément être lié à l’Héritier, il nous cache quelque chose… je ferai arrêter ceux qui m’entravent d’en savoir plus… Non, je ne peux pas… Pas encore, il a toujours son titre qui le protège… le journal, il faut le publier…
Il se retourna dans son lit, en proie à une terrible colère. Tout cela l’obsédait. Ses nuits étaient hantées par son désir fou de voir tous ses opposants échouer. Il revit au sourire de sa mère et à l’affection qu’elle éprouvait pour Giselle, n’était-ce pas honteux, qu’elle ait tant aimé cette fille qui les a pourtant tous manipulés ? Cette fille que tout le monde admirait, considérait comme était meilleure… meilleure que lui.
Non… Giselle était douée, mais je reste Dusan Tritir. Léonie disait qu’elle n’était pas si parfaite que ça.
Ses pensées allèrent à Joren, à ses bras entourant le corps de l’Empereur la nuit de la mort de Carolina. Leur affection l’avait écœuré. N’était-ce pas indécent, inacceptable ? Joren était un inconnu, une pièce rapportée. De quel droit pouvait-il se montrer si proche de ce père dont il ne savait rien, qui l’avait tant repoussé ? N’était-ce pas le signe que l’Héritier cherchait à manipuler l’Empereur dans son pire moment de faiblesse ?
Dusan, les dents serrées, vit à nouveau dans sa mémoire les lignes rédigées par Carolina dans son journal intime. Sa mère craignait Joren. La Gueule de Lion, un surnom intolérable ! la première fois qu’il l’avait vu, il l’avait trouvé stupide et lent, vulgaire et grossier. Un blondinet rougeaud aux yeux fuyants. À l’époque, il avait surpris de son apparence, ils ne se ressemblaient en rien et d’instinct, il l’avait repoussé. Les Fretnarch étaient tous bruns depuis des générations, c’était là la distinction de leur gène.
Dusan souffla, son agacement avait fait naitre chez lui une excitation incontrôlable. Il regretta de ne pas avoir invité Léonie pour la nuit…
Est-il déjà trop tard pour aller au bordel ? se demanda-t-il.
Finalement, il renonça et se retourna une nouvelle fois entre ses draps.
Peut-être devrais-je réveiller la petite lingère…
Au moment où il tira le bras pour appeler la fille, un tambourinement à sa porte l’arracha de ses pensées. On alluma brusquement la lumière de sa chambre et quelqu’un surgit sur son palier :
— Votre Altesse ! cria le majordome, rouge de confusion et la voix étranglée, c’est Sa Majesté, elle… elle vient de commettre un drame ! Il… Il vous faut aller au Palais de toute urgence ! Votre Altesse, c’est vraiment grave…
Un homme en livrée arriva en bousculant le domestique, le regard droit et le visage pâle, il s’inclina en prononçant :
— Sa Majesté Impériale vient d’essayer de se retirer la vie, les heures sont comptées, Votre Altesse.
Dusan senti son cœur bondir dans sa poitrine, sans un mot, le jeune homme quitta les draps de son lit et attrapa sa veste.
Ainsi la Cardinale Garance avait raison… Mon père a perdu la tête…
Animé par l’angoisse, le Prince prit un cheval pour se rendre le plus vite possible à la résidence impériale.
Accompagné par des cavaliers de la garde, Dusan n’avait de cesse de prier Lykion et Ronia pour le salut de son père. Le bruit des sabots fracassant les pavés l’assourdissait et on criait pour lui faire place.
Où est Damjan ? Est-ce qu’il arrivera à temps ?
L’atmosphère tendue et silencieuse rappela à Dusan le soir de la mort de sa mère. Une partie du Palais était toujours endormie et continuait sa nuit dans la quiétude de l’ignorance.
En rentrant dans la chambre de son père, Dusan ressentit un coup dans le bas ventre. En voyant la figure déformée d’Auguste, le prince comprit que son père n’allait pas survivre.
Des médecins, des religieuses, plusieurs membres de la famille impériale et du gouvernement se tenaient autour du lit. Ils s’écartèrent en laissant passer Dusan, les visages baignés de larmes.
— Père…, murmura le jeune homme en s’asseyant sur le bord de la couche et en attrapant la main devenue froide et molle, Père, que s’est-il produit ?
— Il ne vous entend pas, annonça un médecin en soupirant. Nous avons fait de notre mieux pour soulager les effets du poison qu’il a ingéré.
Dusan remarqua des bandages autour des bras de l’Empereur. Il tourna ses yeux vers les proches réunis près de lui, la Cardinale Garance chuchota :
— Les bonnes ont retrouvé Sa Majesté dans sa baignoire, il s’est en plus taillé la peau pour accélérer…
— Non, ce n’est pas possible ! s’écria Dusan en secouant la tête, comment cela s’est-il produit ? Pourquoi ? Il se sentait mieux ces derniers jours !
Le jeune homme rencontra le regard confus de la cardinale, il comprit subitement.
Un sang violent se mit à battre les oreilles de Dusan, son cœur se serra si fort qu’il eut l’impression d’exploser. Un vertige le prit.
Joren… Si seulement tu étais resté à ta place !
— Père…, sanglota-t-il en s’approchant d’Auguste et en serrant sa main.
L’Empereur poussa subitement un râle et ouvrit les paupières.
Un oeil brumeux, rempli de confusion, balaya les visages.
— Mon fils… Carolina… Carolina ne… Ulrika… Désolé… ne peut pas… Empereur… Joren…
Le regard voilé tomba sur Dusan, Auguste fit un effort supplémentaire :
— Tu dois savoir… Joren… ne peut pas… Empereur… Carolina, pardon…
Auguste tourna la tête et se mit à tressaillir, les médecins s’approchèrent, l’assemblée retint sa respiration.
— Pardonne-moi, mon fils… Ma volonté… Ulrika… Ulrika…
L’Empereur agita encore des lèvres et mourut quelques secondes plus tard.
Une vive émotion traversa l’assemblée. Durant de longues minutes, le silence et l’affliction régnèrent. Des sanglots et des prièrent se firent entendre.
— Nous avons tous compris les derniers souhaits de l’Empereur Auguste…, murmura Garance en se mettant à genoux, les mains jointes. Le Prince Héritier Joren ne peut pas monter sur le trône…
— Enfin, dit le Premier ministre, le souffle soudain coupé, nous ne pouvons pas interpréter correctement cela, il n’a pas été clair.
— Malheureusement…, annonça le secrétaire d’État, dont le visage était aussi devenu blanc qu’un linge, Sa Majesté à rédigé sa dernière volonté sur un rouleau écarlate…
L’assemblée entière se redressa et échangea des regards :
— Avait-il toute sa tête ? questionna une vieille tante en fixant les médecins.
— Et bien…
— Que disait sa volonté ? coupa sèchement un cousin.
— Qu’il destituait Joren de son poste d’Héritier…, répondit la Cardinale Garance en osant à peine respirer.
Les membres de la famille impériale se regardèrent tous, en proie à la plus grande confusion.
— Quand a-t-il écrit sa parole ? questionna encore la tante.
— Comment allons annoncer cela au peuple et à Darovir ? nous avons des accords qui date du mariage d’Ulrika !
— Votre Éminence, dit soudain Dusan d’un ton tranchant, dévoilez aux membres de ma famille ici présentes l’enquête que nous menons sur l’Héritier.
Il ne pouvait plus prononcer le nom de son frère, les mots mourraient sur ses lèvres.
— Êtes-vous certain de…, hésita-t-elle.
— Allez-y.
La cardinale se tourna vers les ministres et la famille impériale :
— Avec la collaboration de Dusan Tristis, l’Église a conduit une investigation sur le décès de l’Impératrice Carolina. Joren Primtis est l’auteur de sa mort.
— Mais… quelles preuves avez-vous ? questionna le cousin, horrifié.
— Nous les avons toutes, répondit Dusan, les poings tremblants. Il l’a tuée parce que ma mère savait qu’Ulrika ne portait pas l’enfant de l’Empereur et qu’ils étaient en désaccord sur l’énerite et sur la culte de la Mère.
— Ce sont des racontars, Ulrika a passé des examens…
— Vous savez que ce genre de choses peut-être falsifiées, Monsieur le Ministre, nous en avons eu la preuve tout récemment avec l’affaire des Madal…
— C’est un hérétique ! coupa Dusan, tous les documents sont à disposition dans notre bibliothèque. Son excommunication n’est qu’une question de temps, avant que la papesse Hidelgarde ne prenne sa décision ! Joren Primtis ne peut pas monter sur le trône, il y a trop d’accusations contre lui, ma mère a rédigé dans son journal toutes ses pensées, vous comprendrez en découvrant ses lignes !
La vieille tante hocha la tête :
— Nous devons lire le journal, cela n’a que trop duré ! j’exige également de voir le rouleau écarlate.
— Vous ne pouvez pas…, commença Garance. Seule Hildegarde…
— Il suffit, Votre Éminence ! persifla le cousin. Vous ne pouvez aller à l’encontre de l’Archiduchesse, les rouleaux écarlates appartiennent à Dalstein avant tout.
— Ils ont raison, Votre Éminence…, dit le duc de Veerhaven. Mais je dois avouer une chose…
Chacun se tourna vers lui.
— Ma fille peut témoigner des propos tenus par son époux. Joren Primtis suspecte lui-même qu’il n’est pas le fils d’Auguste.
Le Premier ministre regarda le corps encore chaud de son souverain et poussa un soupir terrible :
— Nous allons convoquer l’Héritier afin qu’il puisse répondre de ces accusations et nous mènerons une enquête. Mais nous ferons cela après les hommages rendus à l’Empereur… Que la Mère vieille sur nous !
Mais certaines personnes présentes dans la pièce gardèrent les sourcils froncés.
— Prions la Mère et ses Saints Enfants, murmura Garance en se signant.
Elle se tourna vers une prêtresse :
— Faites venir le rouleau écarlate !
Avec douceur et respect, on commença la toilette du souverain défunt. Un silence de plomb régnait dans l’immense chambre dorée.
— Votre Éminence fit la religieuse en revenant à bout de souffle, le rouleau écarlate n’est plus à sa place !
— Comment ? Impossible ! s’écria Garance en se redressant. Il… Il était gardé dans…
Dusan serra les dents, un sang devenu froid coula dans ses veines :
— Et le journal ?
— Nous sommes en train de le faire venir. La pièce est restée scellée jusqu’à notre arrivée.
— Que chaque sujet de l’empire mette tout en œuvre pour retrouver la dernière parole de mon père !
Joren, tu n’es qu’un misérable et une ordure ! Nous allons publier le journal et plus jamais tu ne t'approchera de Lengelbronn.
Dusan ordonne à Ottmen l'attaque du fort
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