Epilogue

8 minutes de lecture

Iphigénie sortit la tête de la voiture et regarda en plissant des yeux les bois alentour. Comme elle s’en doutait, il n’y avait personne. Satisfaite, elle ouvrit la porte et descendit du marchepied, évitant une flaque boueuse au bord du chemin. Elle se retourna vers le cocher, qui ne lui adressa aucun regard puis, voyant qu’il n’avait rien à lui dire, s'enfonça au travers des arbres.

Avec des pas hésitants, la silhouette raide de la femme enjamba les fougères et quelques ronces qui s’accrochaient déjà aux ourlets de sa robe. Elle grimaça, peu habituée à ce genre d’excursions.

Elle observa les troncs en reniflant, l’air humide lui avait fait perler une goutte au bord du nez, et fit un tour sur elle-même. Enfin, à travers un buisson de feuilles persistantes, elle aperçut un petit chemin. Elle le suivit, tenant à la main un papier froissé. Iphigénie avança, éloignant les branches ballantes de son visage, serrant contre elle sa cape de voyage.

Entre les bosquets, elle vit une minuscule cabane couverte de lierre et de mousse, envahie par les ronces. Elle s’approcha et remarqua que l’accès à la porte de l’abri croulant était dégagé. Il n’y avait pas de fenêtre, seulement des planches grisâtres et gorgées d’humidité. Iphigénie déplia pour la centième fois le papier qu’elle avait à la main :

Retrouve-moi à l’entrée du tunnel pour midi.

Un doute assaillit soudain la femme : quelle entrée ? Cette cabane, n’était-ce pas plutôt la sortie ? Iphigénie regarda sa montre, elle était pile à l’heure pour le rendez-vous. Elle redressa les épaules et remonta le col de sa cape. Quelques gouttes de pluie, restées cachées parmi les feuilles des arbres, tombèrent dans ses cheveux. Elle patienta quelques minutes. Le temps s'écoula. Iphigénie renifla encore en plissant des yeux, elle détestait cet endroit. Elle regarda de nouveau la note, puis sa montre. Vingt minutes étaient passées.

Je ne suis pas du bon côté du tunnel, pensa-t-elle en tendant la main vers la porte de la cabane.

Ses doigts fins touchèrent le bois vermoulu, l’entrée s’ouvrit dans un grincement. Iphigénie frissonna.

À l’intérieur de la cabane, un petit escalier en pierre étroit s’enfouissait dans le sol. Couvertes de terres, les premières marches s’annonçaient glissantes. Iphigénie s'avança, hypnotisée par ce trou béant. Elle déglutit, le passage était exigu. Elle sortit de son sac à main une lampe de poche et la secoua. À l’intérieur, de minuscules éclats d’énerites s’agitèrent et une lumière surgit, vacillante. Plissant encore des yeux et grimaçante, Iphigénie descendit les marches, prenant appui sur les côtés du terrier. Un frisson la parcourut lorsqu’elle sentit plusieurs insectes remonter à la surface, dérangés par son intrusion.

Malhabile, un pied après l'autre, la cheville tremblante, Iphigénie s’enfonça dans l’escalier.

Après une dizaine de marches, la Duchesse de Madalberth se retrouva dans un boyau étroit. L’odeur, remplie de poussière et d’humidité, était suffocante. Elle secoua de nouveau sa lampe et se baissa pour éviter les nombreuses toiles d’araignées qui s’étiraient tout du long. Mal assurée, elle progressa. Elle couvrait ses yeux et son visage de sa main, afin d’esquiver les horribles pattes d’insectes en tout genre qu’elle sentait glisser sur sa peau. Plus d’une fois, elle s’arrêta, en proie à une frayeur, désireuse de remonter à la surface au plus vite. Elle poussa un ou deux un cri aigu, se rappelant subitement de lointains souvenirs qu’elle avait depuis longtemps enfoncé dans l’oubli de sa mémoire.

Au bout d’une procession qui lui parut interminable, elle vit au travers de la lueur blafarde de sa lampe, une seconde porte. Soulagée, elle pressa le pas et ouvrit le loquet dans un grincement. Ses pieds rencontrèrent un dallage de pierre et de nouvelles marches. L’endroit était abandonné mais pas aussi délabré que le premier escalier. Elle monta encore, le cœur battant par tant d’efforts, puis trouva une autre sortie. Iphigénie pénétra dans une pièce, isolée par des roches noires bien taillées. Elle marmonna quelque chose d’inintelligible et mit quelques instants à savoir vers où se diriger. Autour d’elle, il n’y avait que des étagères vides.

Enfin, elle sortit de la remise, pour tomber dans un nouveau couloir, faiblement éclairé par des ampoules. Elle prêta l’oreille, une voix familière se fit entendre. Lentement, Iphigénie suivit la voix, secouant une dernière fois sa lampe pour mieux y voir. Ses pas résonnèrent dans la galerie vide, la voix se tut. Au détour du passage, elle put découvrir une religieuse portant une coiffe ocre et jaune, ainsi que d’autres personnes qui lui étaient étrangères.

— Ah, voici ma sœur, la Duchesse Iphigénie le Tholy de Madaleberth, dit Garance d’un ton morne en regardant la silhouette mince s’approcher.

Iphigénie hocha la tête en silence, surprise de voir qu’elles n’avaient pas rendez-vous en tête à tête. Les inconnus, à moitié cachés dans l’ombre, la saluèrent en s’inclinant très bas.

— Que la lumière de la Mère guide vos pas, dirent-ils d’une seule voix.

Iphigénie reconnut parmi eux des daroviens et quelques arbisiens.

Iphigénie ne répondit rien, se contentant de les observer en redressant les épaules le plus haut possible.

— Vous pouvez disposer, nous devons parler, ordonna Garance.

Le groupe les salua sans un mot, puis disparut dans l’obscurité des couloirs.

Iphigénie patienta quelques secondes, afin d’être certaine de les savoir partis, puis se tourna vers sa sœur :

— Tu ne m’as pas attendue ?

— À vrai dire, j’allais te rejoindre à l’entrée du tunnel, je ne pensais pas que tu prendrais ton courage à deux mains pour venir jusqu’ici, connaissant ta peur du noir. Ma réunion a pris du retard.

Iphigénie frissonna, comprenant qu’elle avait fait tout ce trajet pour rien, et qu’elle allait devoir cheminer en sens inverse.

— Je ne me rapellais plus, mes souvenirs sont confus. Nous sommes dans les caves de la faculté ?

— Non, répondit Garance, ce sont les sous-sols du Palais Impérial. C’est là que se trouve les pièces les plus gardées… ains que certains secrets enfouis. Dont le journal de Carolina... Ces couloirs sont déserts, nous y sommes en sécurité.

Les deux sœurs hochèrent la tête en silence.

— De quoi voulais-tu parler ? requit Iphigénie d’un ton pincé.

— De Léonie. Il faudrait qu’elle se marie à Dusan le plus rapidement possible, le mieux serait qu’elle tombe enceinte dès à présent.

— Depuis mon retour de Skadiali, je n’ai plus aucune maitrise sur elle. Elle m’a annoncé que Dusan lui a fait sa demande, mais je ne sais pas s’il était sérieux.

— Elle est jeune, elle est belle... elle peut y arriver. Même Damjan, aussi détraqué soit-il, est tombé sous son charme. Elle va réussir à le faire plier.

— Mon époux m’a dit que Dusan Tritir va préférer s'unir à Oriana… La famille impériale a conclu des accords avec les Veerhaven, sa place est solidement ancrée pour le rôle d’Impératrice.

— Dusan ne sait pas se passer de Léonie, je l’ai vu. Il a un faible pour les femmes, il les aime toutes... c’est son plus grand péché. Et Léonie l’ensorcèle, le piège à son propre jeu. Lykion la protège, elle l’incarne parfaitement ! Laisse-moi m’occuper d’Oriana… Elle ne fera pas long feu.

Iphigénie eut le souffle coupé, la peur lui tordit le ventre :

— Tu ne vas pas… Tu ne vas pas… Après Carolina…

Garance observa sa jeune sœur avec un sourcil levé :

— Comment ? Par les Dieux, tu crois que je vais la faire assassiner ? Certainement pas, cette dinde se prendra les pieds dans le tapis toute seule, elle chutera d’elle-même, de ses propres bêtises… Cette petite sainte nitouche, tu imagines qu’elle est restée fidèle tout ce temps à son cher mari ? Penses-tu, les amants ont défilés dans sa chambre, pendant des années. Je sais de source sûre qu’elle a déjà subi des avortements, ce qui est un blasphème.

Les mains de Garance s'agitèrent, Iphigénie se recula, impressionnée par ses propos. La religieuse vit entre les doigts de la duchesse la lampe de poche :

— Tu l’as toujours, depuis toutes ces années ? Père te l’avais offerte, car tu avais peur des ombres de ta chambre. Un des premiers objets en énerite…

— Oui, elle ne me quitte jamais…

Un silence s'imposa entre elles.

— Les Veerhaven…, susurra Garance entre ses dents, je veux qu’ils soient humiliés autant que nous avons été roulées dans la boue puis jetées dans la fange. La mort serait trop douce pour eux, je rêve de voir la moustache ridicule de ce duc tomber ! Tous ces lâches me dégoutent… Ces nobles grotesques, à genoux devant les Fretnarch ! Tu n’imagines pas à quel point ces années ont été rudes !

Iphigénie poussa un soupir et hocha la tête à l'affirmarive, Garance lança un regard de biais à sa sœur :

— Tu ne sais rien ! Tout ce que j'ai enduré pour toi, alors que tu étais au couvent, cachée avec ta fille, pendant que moi, j'évoluais au grand jour, prenant tous les risques ! J’ai failli te renier quand j’ai appris que tu t’es mariée à cet imbécile de Benoit !

La Duchesse fronça les sourcils et pinça des lèvres.

— Mais finalement, c’était une bonne idée.

— J’ai lourdement pesé le pour et le contre, admit Iphigénie. Nous sommes en sécurité, Léonie et moi.

Garance hocha la tête à l’affirmative.

— Tu dois empêcher ton époux de soutenir Joren Primtis. Cet homme est dangereux, il se méfie de moi. S’il découvre la vérité…

— Oui, je sais, il nous fera exécuter, continua Iphigénie. Benoit est malade, il siège chaque jour à l’Assemblée et il s’épuise, je vais lui demander de prendre sa retraite dès que tout cela sera tassé…

— Le plus tôt possible, précisa sombrement Garance. Il conserve une certaine influence politique.

— Beaucoup moins depuis ce qu’il s’est passé avec Giselle…, marmonna Iphigénie, subitement mal à l’aise.

— Un coup de génie, n’est-ce pas ? Quelle joie tu as du ressentir en voyant Léonie porter le titre d’héritière !

— Je ne peux pas dire l’inverse.

— Évidemment que non, cela aurait été mentir ! se mit à rire la religieuse. Elle mérite plus, bien plus !

Le visage éclatant de beauté de la jeune femme s’imposa à l’esprit d’Iphigénie. Son sourire, son espièglerie, sa bonne humeur constante.

— Je l’ai certainement un peu trop gâtée petite… Comme je t’ai dit, elle est incontrôlable.

— Ne t’en fais pas, je lui ai rappelé que parmi toutes les dames de la cour, c’est elle qui a le droit divin de porter la couronne.

Iphigénie garda un moment le silence, caressant ces mots avec une langueur palpable. Elle reprit pourtant :

— Ces personnes qui étaient là, j’ai reconnu des étrangers…

— Des gens de confiance, alliés à notre cause. Ne t’inquiète de rien, je m’en occupe…

— Concernant Carolina, dit Iphigénie dans un souffle. Benoit m’a raconté que les preuves n’étaient pas encore certifiées…

— Carolina ? Mais je n’ai rien à voir avec sa mort, voyons ! ricana Garance.

Devant la face déconfite de sa sœur, la cardinale ajouta :

— Sur la Mère, je n’ai rien à voir avec sa mort ! Tu as ma parole, répéta-t-elle.

— Mais alors, comment...

— Cela, ma chère sœur… Seul Damjan Duatir le sait ! Bien que j’ai ma petite idée sur ce qui s’est passé… Mais quelle aubaine, n’est-ce pas ? Tout s’est merveilleusement bien aligné…

Iphigénie resta un instant silencieuse, tout avait commencé avec la mort de Carolina.

— Nous y sommes presque… murmura la Duchesse, j’ai du mal à y croire.

— Oui, oui ! répondit Garance, une flamme dans les yeux. Nous les vengerons et nous pourrons enfin être libres, reprendre ce qui nous revient de droit !

Le visage d’Iphigénie se tordit dans une expression de joie intense :

— Si tu savais le bonheur que j’ai ressenti en voyant le corps d’Auguste !

Des larmes de soulagement inondèrent ses joues, Garance prit sa sœur entre ses bras.

— Je sais, ma petite soeur... N'oublie pas, Ta gloire est dans nos racines et dans nos racines se trouvent ta gloire...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire AnnRake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0