Chapitre 6 : Traque aux traîtres (2/2)

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Nafda s’enfonça dans les pavés au milieu de l’obscurité. Çà et là guettaient des gardes, torche à la main, et quelques flambeaux éclairaient les coins. Rien qui fût en mesure d’entraver son avancée. Car l’assassin connaissait chaque ombre. Là où l’opacité régnait progressait une silhouette invisible, aux pas feutrés, le silence comme meilleur atout.

Ce corps s’illumina au moment d’appréhender les lieux. Niel lui avait raconté la vérité : peu distinguait la boutique de Panehy dans la sienne, hormis le contenu intérieur ainsi que son appellation. « Merveilles de l’ouest », sérieusement ? Un nom sans charme, sans identité. C’est ce que tu voulais, Panehy ? Te vautrer dans la monotonie, devenir un citoyen dépourvu d’histoire. Mais jamais l’empire n’a oublié ni pardonné ton passé.

Soudain elle sentit une présence. Elle retourna bien vite dans la pénombre, pour apercevoir un garde se conformer à la lumière de sa torche. Pas un éclat ne se faufila vers l’assassin, au souffle enfoui contre la vigilance d’autrui.

Une fois libérée de cette proximité, elle entreprit l’escalade du mur, la façade comme appui. Il était tentant de percer la baie vitrée, mais cela réduirait à néant chacun de ses efforts. Elle s’accrocha donc à la pierre ocre, fût-elle lisse, fût-elle ardue à agripper. Une plus petite vitre l’accueillerait au sein du cercle privé de sa cible.

Accrochée au rebord, suspendue au-dessus d’une crédule population, Nafda dégaina. La pointe d’une dague frôla le verre, avec laquelle elle décrivit un net contour. Il s’agissait d’être délicate, de tailler assez large pour son gabarit, et surtout d’exploiter la qualité de ses armes. Personne d’autre que moi n’en est digne.

D’une dextre roulade elle s’insinua à l’intérieur. À sa réception suivit un frottement, induit par le tapis étendu sur le plancher. Fidèle à sa réputation, à mon avantage. Puis, comme Bennenike le lui avait promis, ses lames se mirent à vibrer. Il n’y a que la vérité. Bientôt l’apaisement s’écoulera au nom d’une souillure délestée.

Les ondes s’intensifièrent à mesure que Nafda se hissait dans la demeure. Une dernière porte, pas même verrouillée, constitua le dernier obstacle sur sa route. Déjà ses yeux s’étaient adaptés à l’obscurité, ce pourquoi elle repéra le lit, surmonté d’une couverture en fourrure. Pas un pli n’entachait cette draperie. Or il émanait une vibration plus puissante à sa gauche.

— Je sais que vous êtes réveillé, pressentit-elle. Que vous m’observez. Alors dévoilez-vous.

Aussitôt un orbe blanchâtre flotta au-dessus d’elle et illumina l’ensemble de la pièce. Sous la lueur opaline apparut un homme devant lequel Nafda ouvrit grand les yeux. Une simple chemise de nuit à carreaux enveloppait sa mince carrure. Il était âgé, à la peau brune, aux traits usés, à la barbe et au cheveux aussi blancs que broussailleux. Installé sur une chaise en paille, il devait relever la tête pour observer la jeune femme. Ou plutôt la toiser.

— Je me demandais quand ce jour arriverait, déclara-t-il.

— Vous saviez que je ferais irruption, souligna Nafda, empoignant davantage sa paire de dagues. Pourquoi être resté, Sirrad ? Ou devrais-je dire Panehy ?

— Qui suis-je pour vouloir échapper éternellement à la fatalité ? J’ai vécu assez longtemps.

Il embrasse sa destinée ? Cela rend mon travail trop facile ! Nafda se rapprocha de sa cible, anticipant une éventuelle riposte.

— Alors c’est tout ? demanda-t-elle. Vous aviez repéré cet espion qui vous surveillait nuit et jour, qui allait tôt ou tard prévenir l’impératrice. Et vous ne voulez plus fuir car vous êtes fatigués de la vie ?

— Non, répliqua Panehy. Parce que je souhaite que mon désespoir touche à sa fin.

— Vous vous posez en victime ? Vous étiez un proche allié du père de l’actuelle impératrice. Vous avez dû souvent comploter en faveur des mages… et au détriment du peuple.

— Qui êtes-vous pour me juger, jeune fille ? Je me demandais à quoi pouvait ressembler le bras armé de l’impératrice. J’ai ma réponse sous les yeux : un esprit juvénile, manipulé pour une plus grande cause. Un être froid et impitoyable.

Nafda se cala aux paroles de son adversaire. Il cherche à me déstabiliser. À me vaincre par les mots à défaut d’employer sa magie. Elle ne se laissa pas démonter par son jugement acerbe.

— Je suis donc la plus à même pour vous assassiner, affirma-t-elle.

— Est-ce votre but dans ta vie ? interrogea Panehy. Supprimer les derniers mages de l’empire ?

— Exactement. Tant qu’un seul respirera dans notre territoire, ses citoyens resteront en danger. Vous savez où se trouvent les autres mages de Nilaï ?

— Non.

Des tremblements se diffusèrent le long des bras de l’assassin, jusqu’à atteindre ses mains moites. Réponse directe, concise, droit dans les yeux. Il sait bien camoufler un mensonge. Et comme il n’a rien à perdre, il ne me dévoilera rien. Il faudra me débrouiller autrement.

— Eh bien, qu’attendez-vous ? provoqua Panehy. Je n’ai pas toute la nuit. À moins que ce soit votre premier meurtre.

— J’ai déjà tué avant, se targua Nafda. Mais vous êtes ma première cible en tant qu’assassin de l’impératrice. Estimez-vous privilégié.

Les yeux de Panehy s’orientèrent ailleurs, comme pour accentuer sa bravade. Il paraissait absent de son propre corps, admirant d’invisibles merveilles, s’extirpant d’une réalité où les lames allaient se coaliser. Une telle méditation nécessitait une forte aura, ce que Nafda perçut comme elle ressentit pleinement les vibrations de ses lames.

— Je suis prêt, dit-il. Des années à errer, à me cacher, feignant une retraite bien méritée. Oui, j’ai du sang sur les mains. Oui, des sacrifices ont été nécessaires pour la gloire de l’empire. Oui, parfois, il était nécessaire de mettre les indésirables en esclavage, pour protéger les citoyens libres. Je ne regrette aucune de mes actions. J’ai pris des risques là où Chemen le Juste ne désirait aucune violence.

— Vous êtes honnête, reconnut Nafda. Cela n’expie pas vos fautes.

— Sans les mages, l’Empire Myrrhéen est voué à sa perte. D’ici, en tant que simple marchand de tapis, je l’ai vu s’affaiblir. Son effondrement est inévitable. Et c’est cette malheureuse jeunesse qui en subira les conséquences. Vous la première.

— Votre jugement a déjà été fait. Je m’occupe juste de la sentence.

Les paupières de Panehy se fermèrent. Deux bras s’ouvrirent en rythme de son souffle cadencé par ses battements de cœur. Un pincement effleura celui de Nafda tandis qu’elle fixa de nouveau sa cible. Elle planta ses deux dagues sur sa poitrine, les enfonça en profondeur. Exécuta ce pourquoi elle existait.

Sitôt les dagues extraites que Panehy s’affaissa hors de sa chaise. Il garnit bientôt son plancher d’une coloration écarlate. Ni des borborygmes, ni des ultimes murmures ne parvinrent aux oreilles de Nafda. Il avait succombé une poignée de secondes après le coup.

L’assassin relâcha ses bras. Ses armes tournoyèrent autour de ses poignets, depuis lesquels s’égouttait encore l’impureté. Tous ses muscles se détendirent alors qu’elle contemplait son œuvre en détail. Quelle est cette sensation ? Difficile à savoir. Mais si je la ressens à chaque meurtre… Alors ce métier est fait pour moi.

Ses chaussures effleurèrent le tapis à côté duquel le mage s’était assis. Lui qui les aimait tant, peut-être qu’il en a dissimulé des choses. Or une commode calait une pièce d’étoffe. Mue par un nouvel instinct Nafda déplaça le meuble afin de voir ce qui se tapissait sous la trame. D’une paume obstinée elle effleura le plancher. Une aspérité, cachée sous un pot d’anis, se montra à elle.

Un grondement l’interpella : elle bondit vers sa provenance. Nafda toussota à l’ouverture du mur environnant, tant la poussière crachée s’infiltrait dans ses poumons. Ce ne fut que temporaire, car une obscurité plus profonde encore se déploya. Tu étais bel et bien désespéré, Panehy. Sinon tu aurais mieux gardé tes secrets.

Nafda poursuivit son engagement vers cette voie. Il ne s’agissait ni d’un couloir ni d’une salle, juste d’un renfoncement concave où se succédaient des étagères. Son bras plongea dans cette mer noirâtre, pour mieux y effleurer des structures boisées. Lui apparut à sa stupeur toute un rangée de livres. Toutefois, à cause des effets persistants de l’orbe, elle attendit de s’adapter aux ténèbres avant de les consulter.

Un des ouvrages s’étira dans sa curiosité. Même si ses yeux perçaient à toute ombre, elle peinait à déchiffrer leur contenu. À insistance requise elle les plissa outre mesure. Des extraits de compte ? Banal d’apparence. Mais pourquoi les cacher ? Je dois investiguer au-delà de la surface.

Son index suivit les courbes de chaque lettre, de chaque chiffre, de chaque signe. Il s’arrêtait lorsque des symboles incongrus s’introduisaient dans l’ensemble, imprégnant le papier jauni. Que signifient-ils ? Ce sont forcément des indices. Peut-être que Panehy n’était pas autant solitaire qu’il le prétendait. Un réseau ? L’emplacement des autres mages ? Impossible à déchiffrer… Pour moi, oui.

Nafda s’empara de quelques livres avant de s’intéresser de nouveau au cadavre du mage. Elle ferma ses yeux, lui accorda le repos qui lui était dû, préférant étendre son hommage plutôt que son sourire.

Tu ne partiras pas en paix. Si la justice t’a rattrapée, elle rattrapera aussi les autres traîtres. Je les traquerai jusqu’au dernier.

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