Chapitre 12 : La voie de la lumière (1/2)

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HORIS

Une nuée de condors volait comme à l’accoutumée. Ils étaient maîtres des cieux par-dessus les étendues de sable. Ni les rafales, ni la chaleur ne les effrayaient : ils battaient des ailes à allure inégalée.

Que puis-je espérer ? Ils ne m’aideront pas. Handicapé par sa condition, Horis peinait à rattraper cette cadence. Au moins connaissait-il le chemin à suivre. Par-delà les dunes, comme les rapaces l’esquissaient. Il ressentait un appel de l’horizon. Un lieu intangible, baigné de lumière, convergence de sa lutte. Derrière s’étendait l’ombre. D’extension considérable, elle semblait engloutir tout sur son passage. Telle était son origine, à ne jamais négliger, fardeau d’un jour et fierté du lendemain. S’il s’engageait sur cette voie, s’il traquait cette lueur fuyante, c’était surtout car sa propre obscurité devait la contaminer.

L’équilibre, tel était son objectif.

L’atteindrait-il ? Ne poursuivait-il pas une quête éphémère ? Plus il progressait, plus cette pensée l’assaillait. Car la lumière s’éloignait et jamais ne revenait. Elle existait sans se soucier de qui la traquaient. Elle condamnait des personnes comme Horis, aux plaies si entravantes, aux convictions si ébranlées.

Elle ne m’attendra pas. Je dois prouver que je peux me débrouiller moi-même ! Que je suis capable de triompher. Qu’un jour, j’abattrai ces fausses lumières, pour imposer ces nuances nécessaires.

Il n’en fit cependant rien. Toute réflectivité, toute lueur, tout espoir s’éteignit aussitôt au profit de la pénombre. De la froideur à laquelle il pensait avoir échappé.

Où suis-je ? Pourquoi suis-je encore en vie ?

Une sensation d’exiguïté envahit Horis. Recroquevillé, il ouvrit doucement les paupières, se repéra peu à peu dans cette opacité. Certes il souffrait encore de ses plaies, mais pas d’excès d’un premier effleurement comme il le redoutait. Ils me gardent en vie… Je n’ai pas envie de savoir pourquoi.

— Oh, tu es finalement réveillé, émit une faible voix.

Le mage n’eut pas la force de sursauter. Il leva un peu les yeux pour discerner ses alentours. Rien n’était à admirer, sinon le désespoir de l’étroitesse. Quelques torches fixées sur les murs éclairaient ces cachots, mais leur lueur vacillante offrait une vue limitée. Seule une personne emplissait ce vide sinistre de son écho : sa voisine d’une extrême maigreur, adossée contre le mur, vêtue d’une tunique courte et arrachée par endroits. Des nombreuses lacérations avaient entamé sa peau mate, y compris sur ses traits profonds, où des premières rides germaient. Des mèches sombres et démêlées chutaient disgracieusement jusqu’en bas de son dos, camouflant l’azur de ses iris. Encore que son visage avait été épargné en comparaison de ses pieds : chacun de ses orteils avait été arraché.

Tenté de dégobiller, Horis opta plutôt pour dévisager sa compagne de cellule. Laquelle le lui rendit, bien qu’elle se rembrunît au passage.

— Ils t’ont bien amoché, s’avisa-t-elle. Comment tu en es arrivé là ?

Horis détourna le regard, peu prompt à la fixer davantage. Révéler mon échec à une inconnue ? Au point où j’en suis…

— J’ai cru que ma magie me rendait surpuissant, confessa-t-il. Il me suffisait d’éviter les patrouilles, de m’infiltrer dans la ville, de trouver et de tuer l’impératrice. Facile, elle était en train de se marier ! Mais elle était trop bien protégée, aussi…

Soudain la prisonnière enroula ses mains autour des barreaux rouillés, et écarquilla des yeux face à un mage sceptique. Des tressaillements entravaient son équilibre déjà instable.

— Combien de miliciens as-tu tué ? demanda-t-elle, brûlant d’une malsaine curiosité.

— Je l’ignore…, admit Horis. Quelques-uns, j’espère.

— C’est déjà un accomplissement ! Moi qui croyais que la lutte des mages avait été étouffée… Tu es la preuve du contraire ! Tu as affaibli les forces de l’impératrice !

— Et je finis en prison. Je me suis précipité, aveuglé par ma soif de vengeance, sans réfléchir aux conséquences. J’ai honte.

Horis se morfondit au détriment de l’enthousiasme de la captive. Elle est sûrement ravie d’avoir un peu de compagnie. La solitude peut détruire… Malgré sa morosité, le jeune homme ne souhaitait guère s’abimer dans le mutisme, aussi s’orienta-t-il vers elle.

— À ton tour de me raconter ton histoire, relança-t-il. Je ne connais même pas ton nom.

— Tu ne m’as pas révélé le tien non plus.

— Horis Saiden. Contente ?

— Tu es direct… Moi, c’est Ghanima. On me le rappelle souvent.

— Et comment tu as atterri ici ?

— Je connaissais les mauvaises personnes. Enfermée avant la purge, il y a huit ans je crois, j’ai vu passer les générations successives de mages. Ils ne sont pas restés longtemps, pour la plupart. Heureusement qu’il y a encore Rhéloud.

— Hein ? Mais nous ne sommes que deux, ici.

Ghanima désigna d’un doigt tremblant le squelette de la cellule d’en face. L’amas d’ossements en question révélait un corps privé de sa jambe droite et de son bras gauche. Horis en déglutit.

— Lui aussi était venu assassiner l’impératrice, dit-elle. Il s’est montré plus subtil. Camouflant sa magie, il a intégré la milice pour se rapprocher de Bennenike au moment où ses autres gardes tournaient le dos. Mais pour conserver sa position, la souveraine devait savoir se défendre, et, une fois attrapé, le malheureux a été torturé des mois durant. Parfois, j’entends encore des cris émaner de ce squelette… Comme si seul mon dialogue était apte à l’apaiser.

Cette pauvre femme est devenue folle… Horis se mura dans le silence. Quelques minutes de répit, même avec la douleur de ses plaies, ne seraient pas de refus pour lui.

Durant ce laps de temps, sa compagne de cellule siffla continûment. Vaine occupation, mais l’atmosphère en devient moins glauque. Horis, pour sa part, tendit son bras afin de déployer sa paume. Pour sûr que du flux coulait encore à l’intérieur de lui, mais il échouait à le libérer. Évidemment. Le matériau des barreaux doit être le même que celui de leurs armes. Il détecte et annihile la magie.

Dans l’ombre du renoncement patientaient d’importantes réponses. Chacun des captifs mena ses propres réflexions avant que des bruits de pas résonnassent dans l’allée. Une silhouette se découpa alors de la pénombre, que le mage reconnut aussitôt : Badeni, principale garde du corps de Bennenike. Derrière elle se dévoila un visage trop familier, ravagé de plaies. La grande guerrière à la chevelure dorée. Impossible à oublier.

Ghanima ne se focalisa que sur Badeni. Dès qu’elle la repéra, la prisonnière recula d’un improbable bond. Des sanglots moites la secouèrent. Ses dents claquèrent à l’excès. Plaquée contre le mur, inondée de transpiration, pétrifiée, de l’urine se mit à goutter de ses vêtements. Génial. Comme si cet empyreume ne suffisait pas, une odeur infecte va s’ajouter.

Badeni toisa longuement la prisonnière tout en brandissant son hallebarde.

— Tu t’es accoutumé avec les lieux, fier représentant de la famille Saiden ? persiffla-t-elle. J’espère que tu n’as pas cru un mot proféré par cette menteuse.

— Je me débrouille avec la seule compagnie dont je dispose, répliqua Horis.

— La pire possible ! Tu ignores qui est Ghanima Soumai. Moi, je le sais très bien. Une bourge esclavagiste… J’ai eu le malheur de croiser son chemin, et elle me considérait comme pire que rien. Combien de fois m’a-t-elle violée et torturée ? Seul un esprit sadique, et donc mage, est capable de telles horreurs. Difficile à compter. Elle aurait continué si ses actions ne l’avaient pas menée à comparaître devant le faiblard empereur Chemen. Bennenike, sa fille, unique digne successeuse, m’a pris sous son aile. Elle m’a appris qu’elle n’était pas une exception : mage et esclavagiste vont de pair. Elle m’a enseigné comment me venger.

— Badeni, c’est votre nom ? Eh bien, j’aimerais avoir pitié de vous, vu ce que vous avez traversé. Sauf que tous les mages que j’ai connus étaient au service du peuple. Ils contribuaient à rendre la société meilleure. Je n’ai pas de leçons à recevoir d’une milicienne, vu la quantité de sang sur vos mains.

Dans l’offense rayonna le tranchant argenté que Badeni pointa vers Horis. Ses yeux s’étaient plissés pour un foudroiement optimal.

— Ils étaient mes amis ! beugla-t-elle. Tu en as massacré huit pendant que je protégeais les enfants de l’impératrice ! Tu nous as bien surpris, mais cela ne se reproduira plus.

— Neuf, rectifia Horis. J’en ai buté un avant d’arriver à Amberadie. Sans doute le garde froussard que j’ai laissé partir a vraiment tenu sa langue. Combien de mages votre milice a-t-elle exterminé ? Des dizaines de milliers. Et croyez-moi, même derrière ces foutus barreaux, ma vengeance n’est pas finie.

— La ferme, espèce de monstre ! Si je le voulais, je t’aurais déjà occis ! Mais tu dois nous apporter des réponses. Il est impossible que tu aies planifié cette attaque tout seul. Nous avons élaboré bien des méthodes pour extraire la vérité.

Horis arqua les sourcils, peu intimidé, et s’intéressa plutôt à la guerrière triomphante. Elle était stoïque, bras parallèles au corps, alors qu’une once d’intérêt luisait dans son regard.

— Tu es venue admirer ta victoire, comme un trophée ? fit le mage.

— Non, rétorqua-t-elle. J’ai besoin de réponses, moi aussi. Pour avancer.

Elle est particulière. Cette Badeni me nargue plus, pourtant elle était coltinée à la surveillance des bambins. La garde en question saisit une corde argentée : d’un geste de la main, elle incita Horis à présenter ses bras, appuyant l’injonction d’un regard hargneux. Sitôt le mage eut obtempéré qu’une pression s’exerça sur ses poignets, qui le bloqua quelques secondes durant. Cette même matière ! Ils sont équipés contre les mages. Le contraire m’aurait étonné.

Une fois Horis à sa merci, Badeni déverrouilla la serrure avant de le pousser vers l’autre femme. Bien vite elle revint vers Ghanima, qu’elle dévisagea avec plus de hargne encore.

— Estime-toi chanceuse, lâcha-t-elle, glaciale. Je ne suis pas venue pour toi. Continue donc de te vautrer dans ta souillure. Ta peur sera maintenue. Tu regretteras chaque seconde d’être encore en vie.

Le sort de Ghanima fut donc atermoyé, car le jugement de Horis attendait. Coincé entre la milicienne et la combattante, contraint de cheminer vers la lumière, il ravala sa salive. S’ils m’épargnent, je finirai sans doute comme elle…

Où se terrait le sentiment de privilège ? Horis était traîné dans une accumulation de luxure et une maîtrise d’architecture qu’il aurait contemplé volontiers en d’autres circonstances. Tant de mosaïques et de motifs disposés avec symétrie, riches de teintes chaudes, avaient de quoi en pâmer plus d’un. Pourtant le mage se soustrayait de cette exubérance, accomplissement ultime de la vie sédentaire. Entre deux tortionnaires, toujours adversaires, la colère tempérait les foudres de la guerre.

Horis cheminait vers sa destinée.

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