Chapitre 29 : Négociation en proche mer (2/2)

7 minutes de lecture

Jizo et Irzine longèrent la digue en direction de l’ouest. Telles étaient les indications sur la position de cet équipage pirate. Un port aussi étendu déployait des dizaines de navires entre lesquelles cargaisons et mains d’œuvres circulaient à une cadence effrénée. Au surplus se baguenaudaient les citadins vers leurs contraintes quotidiennes, obligeant Irzine comme Jizo à s’adapter au flux. Plus ils progressaient et moins cette densité de population les écrasait. Ils s’étaient accoutumés à l’odeur de la mer, à cette succession de marées hautes et basses, au clapotis des vagues lorsqu’elles léchaient la digue, éclaboussant quelques imprudents de leur écume.

Tous deux cheminèrent des dizaines de minutes durant. Le port de Doroniak n’a pas volé sa réputation ! Ne te décourage pas Jizo, pas après tout le désert que tu as traversé ! Bientôt s’effaça le dallage au profit de la plus pure verdure. Ils avisèrent alors une déclivité, au sommet de laquelle triomphait une myriade d’aubépines. C’est de toute beauté…

Contempler cette canopée les éloigna de leur objectif principal. Il leur était futile de s’élever si haut, puisque leur intérêt se situait au-delà des roches déchiquetées. Là où une étrave se dévoilait. Ledit navire bringuebalait une vingtaine de mètres : une paire de poignards, croisés et orientés vers le bas, flamboyait sur chacun des deux voiles carrées, tandis qu’un drapeau pourpre surmontait la voile triangulaire. D’ici Jizo et Irzine apercevaient cette coque en bois de chêne lustrée. Au-dessus sur le pont principal, hommes et femmes s’affairaient en lointaine silhouette. Nous ont-ils seulement remarqués ?

Une bouteille verdâtre trônait sur un tonneau. À peine Jizo l’avait-il repéré qu’elle éclata en morceaux. Il réprima un cri comme son cœur bondit contre sa cage thoracique. Du verre s’éparpilla sur le brin d’herbe, là où le poignard s’était planté au sol.

— Des visiteurs ? s’écria une voix rocailleuse. Capitaine, j’ai l’impression que votre passage sur le quai a attiré la sympathie de plus d’un !

Un homme se manifestait par-devers sa capitaine. Il disposait d’un teint blanchâtre similaire à Geigder. Ses traits lisses s’accordaient à ses proportions parfaites, d’autant que son visage était dépourvu de balafres, loin de l’image que Jizo se faisait d’un pirate. D’élégants cheveux de jais cascadaient jusqu’à sa barbe sans tempérer l’intensité de ses iris bruns, mais cachaient presque ses boucles d’oreille dorées. Tant sa veste que sa chemise à col roulé accentuaient sa musculature développée. Il portait également un long pantalon céruléen par-dessous sa ceinture où était accrochée un poignard courbe. Il n’est pas le lanceur. Le poignard par terre appartient à sa capitaine.

Nidroska émergea alors derrière lui. Après un clin d’œil vers son homme d’équipage, elle jaugea Irzine et Jizo l’un après l’autre. Elle ramassa alors sa lame qu’elle replaça à l’endroit adéquat. Désormais les visiteurs se retrouvèrent face au duo de pirates qui ne le lâchaient guère des yeux. Leur bateau a des canons. Mieux vaut négocier selon leurs conditions… Une volonté renforcée lorsque la capitaine prêta attention à leurs armes.

— Un sabre et un bâton orné de pointes ? admira-t-elle. Original, mais après tout, l’empire est vaste !

— Je ne suis pas de l’empire, clarifia Irzine.

— Et si je te disais que peu de membres de mon équipage sont myrrhéens ? Nous sommes à égalité sur cet aspect-là. Par contre, nous dévoilons notre visage, contrairement à toi. Mais j’imagine que je suis loin d’être la première à te faire la remarque.

— Vous parlez bien cette langue. Nécessité pour accoster ici ?

Nidroska explosa d’un rire gras et inélégant. Emportée dans son élan, impulsion sans borne, l’autre pirate dut lui tapoter le dos. Enfin regagna-t-elle son sérieux, toutefois une larme perlait encore sur sa joue. La patience d’Irzine est placée à rude épreuve…

— Hormis les myrrhéens, seuls nous deux maîtrisons le myrrhéen dans notre équipage ! expliqua la capitaine. Ne vous méprenez pas : au moindre incident, des carreaux d’arbalète fuseront. Mais ne démarrons pas sur des sentiments hostiles. Un tel masque se reconnait parmi mille, donc je sais que vous m’avez déjà rencontrée. Nidroska, la dompteuse des marées ! Cet homme à ma hauteur n’est nul autre que Decierno, mon second. Il n’a pas encore de surnom mais est quelqu’un de confiance.

— À vous de vous présenter, dit Decierno.

Jizo et Irzine se fixèrent longuement. Elle part souvent avec un désavantage. Pourquoi ne retire-t-elle jamais son masque ? Si elle partageait ce secret, je pourrais avouer pour Maîtresse Vouma ! L’ancien esclave ravala sa salive, peu envieux de s’imposer contre une telle autorité, fût-elle hors de toute hiérarchie ordinaire. D’inopportunes exhortations fredonnaient dans son esprit.

— Je m’appelle Jizo, dit-il. Et voici Irzine à mes côtés. Nous souhaitons un navire pour nous rendre sur les îles Torran.

— Rapide et direct ! s’étonna Nidroska, flanquant un coup de coude à son second. Ce serait inapproprié dans un autre contexte, mais là, vous avez éveillé mon intérêt.

— Pourquoi notre bateau ? interrogea Decierno. Je suis content qu’on ne nous considère pas comme des pilleurs sanguinaires, mais il y a des limites.

— Vous voulez toute l’histoire ? rebondit Irzine. Je suis originaire des îles Torran. J’ai dû traverser tout l’Empire Myrrhéen pour secourir mon petit frère Larno, kidnappé par des esclavagistes. À notre retour, après l’avoir sauvé, nous avons croisé Jizo et son amie Nwelli. Nous cherchions un port pour retourner à ces îles. Mais nous étions tellement préoccupés que nous en avions oublié l’aspect financier…

Si la capitaine se retint de rire, son froncement de sourcils masquait quelques intentions. Decierno et elle jaugèrent derechef les visiteurs dans un silence à combler. L’honnêteté paie-t-elle à chaque fois ? Ce n’est pas comme si nous avions le choix…

— Un récit larmoyant, pour sûr ! s’exclama Nidroska. Et vraisemblable, hélas. Je peux le conclure facilement : comme vous étiez présents lors de mon altercation avec Geigder, vous l’avez d’abord interpellé, mais il exigeait une certaine somme dont vous ne disposez pas.

— C’est exact…, admit Jizo. Nous travaillons dans une auberge pour amasser assez d’argent, mais économiser pour un voyage nous prendra des lustres…

— Alors nous représentons votre aubaine ?

Soudain Nidroska pivota sur elle-même et désigna le fier navire oscillant à l’incessant flux et reflux.

— Cette superbe caravelle pourrait vous y transporter ! envisagea-t-elle. Construction initiée par Decierno lui-même dans la plus pure tradition carônienne ! Mais un problème se pose… Vous n’envisagez pas de devenir pirates, n’est-ce pas ?

— Quoi ? s’étouffa Irzine. Vous n’accueillez que des pirates en votre bord ?

— N’est-ce pas le principe d’un équipage de pirates ? ironisa Decierno.

— Quel serait le problème de nous accueillir temporairement ?

— Le danger, éclaircit Nidroska, ses traits alors durcis. Si je me souviens bien, Irzine, ton petit frère est encore enfant ? La vie de pirates est tumultueuse, ponctuée de nombreuses batailles maritimes. En plus, tous les ports ne sont pas si accueillants que celui de Doroniak.

— Nous avons traversé mille menaces pour venir jusqu’ici ! Vous croyez que Larno sera incapable de survivre quelques mois en mer ? Si proches de notre but, vous nous refoulez ?

— Ce n’est pas contre vous, rassura Decierno. Vous méritez un voyage moins risqué.

Irzine se retroussa les manches. Tout son corps était parcouru de tremblements. Non, elle va commettre une bêtise ! Jizo s’intercala entre son amie et les pirates, espérant d’un cœur lourd qu’aucune arme ne serait défouraillée.

— Vous êtes des lâches ! injuria Irzine. Vous vous réfugiez derrière des principes pour vous empêcher de réaliser une bonne action !

— Qu’on se calme ! exigea Nidroska. Restons cordiaux, et puis…

— Hors de question. Viens, Jizo, nous avons assez perdu de temps avec eux.

Il y a encore moyen de négocier ! Le jeune homme ne crut pas lui-même à sa pensée, ce pourquoi il se laissa tirer par Irzine. Laquelle l’emmena alors loin de cette caravelle, hors de cette opportunité gâchée, vers l’incertitude, droit sur la répétitivité de l’auberge.

Irzine s’arrêta au bout de quelques minutes, au moment où les navires des marins leur apparurent de nouveau. Essoufflée, bras ballants, ses inspirations se succédèrent à haut rythme. Jizo l’observa de haut en bas, craintif quant à la suite des événements.

— Pourquoi tu as renoncé aussi vite ? imputa Jizo.

— Insister davantage aurait soulevé les armes, déclara Irzine. Oui, ils se montrés accueillants, mais pour combien de temps ? Leur patience avait des limites. La mienne, surtout.

Un soupir de la femme masquée coupa toute tentative de réplique.

— Peut-être que nous sommes condamnés à rester ici, renonça-t-elle. À travailler dans cette auberge austère. Ce n’est pas si mal, non ? Au moins, nous mangeons à notre faim.

— Je ne te connais pas ainsi ! critiqua Jizo. Notre second essai, et c’est fini ? Nous avons traversé l’implacable désert pour rester coincés dans un port ?

— Le temps passe et l’espoir s’affaiblit. Serions-nous vraiment plus heureux aux îles Torran ? Elles ont aussi leurs problèmes, après tout…

D’un pas pourtant résolu s’avança Irzine. Elle se claquemura dans la contemplation de Doroniak, depuis un point de vue rarement obtenu. Elle s’éternisa sur les plus hauts bâtiments, où les plus importantes décisions étaient prises, où leurs existences égarées paraissaient insignifiantes. Alors son poing se serra à hauteur de sa ceinture.

— J’ai une idée, songea-t-elle. Jounabie voulait vite se débarrasser de nous, non ? Et si elle s’arrangeait pour que ce soit le cas ? Elle et Bakaden ont le bras long.

— C’est une solution désespérée ! avertit Jizo.

— Peut-être, mais que nous reste-t-il ? Ne t’en fais pas, je vais prendre le temps de réfléchir aux implications. Prévenir les autres… Et me préparer au pire.

Et tandis qu’elle s’empressait de retourner à l’auberge, Jizo s’écrasa contre le sempiternel tapotement d’épaules, issue de cette figure moins discrète qu’elle l’eût escomptée.

— Tu places ta confiance trop vite, chuchota Vouma. Cette Irzine est instable.

— Je n’écoute pas les paroles d’une violeuse esclavagiste, répliqua Jizo.

— Tout ce qui sort de ma bouche n’est pas que mensonges. Elle souhaite s’en prendre au pouvoir lui-même ? Grand mal lui fasse. Mon intuition me dit que Doroniak risque d’être d’ici peu le théâtre de sinistres événements…

Les veines de Jizo se glacèrent quand il revint au port de la cité, la voix de sa maîtresse pareil à un écho.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0