L'affliction (1.1.7)
Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 7
Une chaleur l’enveloppa, d’abord indistincte, douce ensuite, pour finir brûlante. Sa vitalité lui revint, elle réussit à s’appuyer sur une main sans hurler, releva la tête et prit une pleine inspiration d’air sans aucune douleur dans ses côtes.
Merci Colibri.
Deux mains solides la saisirent et la tirèrent en arrière sur plusieurs mètres. Elle reconnut Andenos tandis qu'il lui criait :
— Je ne te trouvais plus dans le noir. J’ai vu ton éclair.
Il la déposa dans le groupe de soldats effrayés. Elle ne se laissa pas submerger par la terreur de cette mort à peine esquivée, pas maintenant qu’ils avaient besoin d’elle. Prenant dans sa bourse la seconde de ses trois sphères d'hybre, elle l’éveilla, utilisant sa vigueur retrouvée pour recréer une lumière vive. Les hommes dispersés y virent le même salut qu’un navire en pleine tempête envers un phare.
Minae et Natseli la perçurent aussi, premier éclat en plusieurs minutes de chaos. Natseli se releva difficilement. Dans des mouvements erratiques, il attrapa une Minae éreintée, la forçant péniblement à avancer. Arrivés à la brèche dans le plancher, il lui hurla de sauter. Réticente, elle hésita avant de se jeter maladroitement vers l’autre bord. Elle ne l’atteignit pas. À peine fit-elle la moitié du chemin tant son épuisement était total. Anticipant cela, Andenos était venu à sa rencontre, il la sortit avec force des tourbillons.
Natseli s’apprêtait à sauter à son tour mais il peinait à conserver son équilibre. Il porta la main à sa tête comme s’il avait ressenti une vive douleur, tituba un instant et chuta sur le dos sous le mètre d’eau noyant la pièce. Il tenta de se relever, pour retomber aussitôt à genoux, toujours au bord du gouffre. Il posa une main au sol, leva les yeux devant lesquel son sang coulait toujours et cria :
— Astheïa, sauve-les ! Le dôme ! Utilise la p...
Andenos avait mené Minae jusqu’à Astheïa et entreprit de revenir aider Natseli. En se retournant, il le vit basculer vers l’étage inférieur, n'opposant plus la moindre résistance aux flots. Lorsqu'il arriva, Natseli avait déjà sombré.
Sauve-les. avait-il dit.
Elle se rappela pourquoi elle avait voulu devenir protectrice : la mort de ses parents lors de la tentative de renversement de l’Assemblée dans son enfance. Son sentiment d’impuissance, de n’avoir pas été capable de les sauver. Comme si, à son âge, elle aurait pu, aurait dû le faire. Le souhait que cela n’arrivât plus jamais, pour personne. À défaut de les avoir sauvés eux, elle sauverait tous les autres. Elle était devenue protectrice de l'Archimage de l'île, son grand-père, et n'ignorait rien de la symbolique de son choix. La lumière avait chassé les ténèbres de cette époque, depuis elle l’avait invoquée au quotidien, sans jamais faiblir.
Minae paniquait. Elle essayait de percevoir Natseli sous des mètres d’eau tout en voulant sauver les hommes qui en avaient le plus besoin. Elle sentait celui dont les côtes avaient perforé le poumon et qui s'étouffait lentement, il y avait celui avec la pointe de pierre dans le ventre, ou l'autre encore qui essayait d'empêcher le sang de jaillir de sa gorge et perdait connaissance.
Andenos défaisait rapidement son armure, ignorant les blessures à venir sans cette protection et s'apprêtait à plonger à l'étage inférieur totalement noyé. Astheïa savait qu'elle ne pouvait s'occuper de Natseli, elle ne ferait que gêner Andenos. Elle regarda les soldats et les blessés traînés jusqu'à elle. Ils formaient un demi-cercle, chacun se tenant à ses voisins pour lutter ensemble contre les vents, les pierres et les torrents d’eaux se déversant sur eux. Ils peinaient à lever un bouclier et baissaient la tête, vidés de toute force. Défaits.
— On va tous mourir ! Il faut ouvrir la porte et se mettre à l'abri sur la terrasse ! cria l'un d'eux.
— NON ! hurla-t-elle sur un ton qui tenait autant de l'ordre que du désespoir.
Pas tant que je serai en vie, se dit-elle.
Avec toute la vivacité de perception induite par son état d'extrême tension, elle vit très nettement un bloc de pierre se détacher de la brèche du mur pour filer vers eux. Vivifiée par les soins de Minae, l'esprit clair, elle leva par réflexe une main dans sa direction. Penser, puiser, donner corps à la lumière. Elle s’imagina projeter toute la brillance du monde vers lui. Quelques poussières éclatantes naquirent dans sa paume et se dirigèrent à la rencontre du danger. A leur contact, la pierre fut repoussée aussi facilement qu'une feuille, disparaissant dans l'obscurité tandis que les grains de soleil dansèrent un instant dans les vents avant de s'estomper. Tout n'avait pris qu'une seconde.
La satisfaction lui réchauffa le cœur. Elle se leva, attirant des regards fatigués, parfois étonnés. Elle jeta sa sphère brillante pour éclairer le gouffre où avait disparu Natseli au moment même où Andenos y plongeait et saisit la dernière de sa bourse.
Autour d’elle, les hommes se redressaient un à un et faisaient rempart de leur corps. Certains cédaient, d’autres encaissaient, mais tous plaçaient leur salut entre ses mains, dans le sacré qu’incarnait cette jeune femme en ce moment. Elle vit le plus important : ils relevaient la tête.
Je veux les protéger, pensa-t-elle.
Elle leva un bras droit comme une lance, tenant sa sphère bien haut et attira toute sa force à elle. Un fin voile de lumière commença à apparaître au-dessus de sa main et descendre pareil à une cloche. Elle essayait d’incanter un dôme, comme Natseli le lui avait dit. Elle le savait comme le plus intelligent et le plus vif de son groupe : il y avait une raison pour qu’il lui ait dit de faire cela, mais elle ne la connaissait pas.
Un homme tomba à ses pieds. Elle vit son regard implorant et maudit sa propre faiblesse. La barrière demeurait trop fine, presque invisible, l’eau s’engouffrait, bois et pierres l’ignoraient. Elle entendait dans la tempête son grand-père encourager ses mages d’une voix renforcée par l’hybre et se raccrochait aussi à ses paroles. Elle força plus encore.
Minae l’enserra par-derrière de ses bras frêles, la tête au creux de son dos. Astheïa pensa à ce Colibri si fragile, se pelotonnant comme une enfant pour se rassurer.
Mais à part lui faire monter les larmes aux yeux, Minae ne lui servait à rien en cet instant. Sa magie, la vie, ne dressait pas de barrières. Elle pouvait appeler l’énergie à elle, elle pouvait la transmettre aux corps, et bien d’autres merveilles qu'Astheïa ne saisissait pas, mais elle ne pouvait pas l'aider. Elle avait beau avoir au-dessus d'elle les plus puissants mages et à ses côtés l’une des meilleures soigneuses que l’île ait jamais portée, leur magie était inutile.
Là, ce fut avec ces pensées qu’elle comprit ce que Natseli avait essayé de lui dire. A ses côtés. Meilleurs de l’île. La puissance des magiciens juste au-dessus d’elle. Elle avait déjà utilisé leur énergie plus tôt, lorsque son hybre s’illuminait légèrement et qu’elle avait créé le minuscule grain de lumière. Natseli l’avait vu en fin de compte.
Levant sa deuxième main, paume vers le haut, elle tenta d’appeler leur puissance à se joindre à la sienne. La protection se renforça. Mais elle demeura trop légère, guère plus épaisse qu’une bulle de savon.
Le dernier homme à se tenir devant elle tomba à son tour.
Essayant toujours plus, elle se mit à gémir, dents serrées, défiant les ténèbres de venir la prendre, menton fièrement levé pour les narguer.
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