Le soin (1.1.9)
Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 9
Astheïa laissa sa barrière disparaître et tomba à genoux d’épuisement. Elle tourna des yeux exorbités vers Minae.
Qu’as-tu fait…
Cette dernière se précipitait déjà vers ses deux compagnons inertes. Elle toucha Andenos du plat de la main et hurla de douleur face à l’effort à fournir. Il ouvrit les yeux et inspira comme un noyé.
Elle ne l’a pas tué ?
Minae se traîna ensuite vers Natseli et posa les deux mains sur sa poitrine. Il ne respirait plus. Elle le savait déjà. Son cœur ne battait déjà plus quand Andenos l’avait ramené. Elle s’accrochait à l’idée de pouvoir encore le sauver. Peut-être.
Plus aucune énergie autour d’elle parmi celles déchaînées juste avant, aucun vent, courant de rivière ou feu. Pas de nourriture, végétaux ni animaux dont extraire la vie. Juste son hybre, puissance trop faible sans apport extérieur.
Elle commença à puiser en elle-même, dans la finesse et la fragilité de son corps, dans les maigres ressources lui restant. Peu à peu, ses muscles fondirent, sa graisse brûla, ses forces s’envolèrent. Elle savait que bientôt sa peau riderait et pèlerait, ses cheveux blanchiraient et tomberaient. Trop de blessures chez Natseli à soigner seule.
Les femmes et hommes émergeaient lentement, peinant à croire que le chaos s'en était allé si subitement et qu'ils y eussent survécu. Ils regardèrent la petite soigneuse sangloter, essayer, désespérer, persévérer.
— Je n’ai pas la puissance, Natseli, je ne peux rien faire, gémissait-elle.
La lumière nocturne et la chaleur de l’air revenaient peu à peu dans les lieux. Minae essaya d’en tirer un peu de force, mais rien ne venait de ces ressources trop faibles. Elle tenta même de puiser dans l’arbre encastré mais il avait déjà perdu toute vie, elle s'en était servi auparavant pour guérir les soldats blessés.
Une main chaude se posa sur l’épaule de Minae.
— Puise en moi, pas en toi, lui dit Astheïa.
Cette dernière ressentit presque aussitôt la faiblesse croissante dans son corps, la lassitude qui embrumait son esprit, le vide grandissant peu à peu en elle. Si elle pouvait l’aider ne serait-ce qu’un peu, alors elle se laisserait consumer par la magie.
Minae savait que ce ne serait pas suffisant, mais au moins se sentait-elle moins seule.
Adieu Nasteli. Je suis désolée, pensa la petite soigneuse en pleurant.
Elle regarda son visage bleui, ses blessures, celle que cette maudite pointe de pierre avait laissée à travers ses cheveux et les autres, l'absence de son éternelle expression rieuse. La tête lui tournait, Astheïa venait de tomber à genoux à côté d’elle. Il était temps d’arrêter. Elle prit une dernière inspiration et se prépara à le laisser partir définitivement.
Une main se posa dans son dos, puis une seconde, et encore d’autres, celles des protecteurs, celles des soldats, celles des mages de la garde. Elle puisa en eux tous, en ce don qu’ils faisaient. Tous mincirent jusqu’à devenir cadavériques, tous faiblirent dangereusement, tous défaillirent et rompirent ainsi le contact avant l’inévitable.
Sentir les chairs ouvertes des organes pour les refermer, ressouder les os majeurs, chasser l'eau et le sang des poumons, détruire les parties noires pleines de l'odeur de la mort, ordonner aux tissus proches de les recréer purs, effleurer le cerveau et refaire tous ses liens à nouveau, donner la première impulsion au cœur. Sans savoir exactement pourquoi faire chaque chose ni comment absolument tout fonctionnait, mais en le ressentant, en ayant conscience de la vie lorsqu’elle ne connaissait pas.
Des minutes silencieuses, seul le bruit des gouttes tombant du plafond, seul le bruit des soldats tombant d'inanition.
Elle sentit son cœur battre. Natseli ouvrit les yeux. Il rit aussitôt.
— Je savais qu’un jour je me réveillerai à tes côtés et que tu me regarderais avec tendresse, petit Colibri.
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