De vagues pensées (1.4.2)

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Tome 1 > chapitre 4 > partie 2

— Je reviens, dit Anaelis en se levant, boitant des coups qu'il avait pris.

Quatrième verre, il n’avait pas même une légère ébriété. Théorode l'accompagna aux toilettes.

— Tu vas finir complètement ivre, prévint-il.

— Peu de chances. Au pire la matinée de demain devrait être assez tranquille. À ce qu’on raconte, il ne se passe pas grand-chose à la présentation des Sanges. Dis-moi, tu sais ce qu’il se passe avec Poène ? Elle est assez agressive ce soir.

— Tu la connais, elle ne saurait tolérer de concurrent, répondit-il. Pour elle, trop fréquenter le groupe d’Istinie revient à fricoter avec l’ennemi. Cela dit, Istinie se contient très bien.

— Elle pourrait calmer Poène de bien des façons, pourtant elle ne le fait pas, je comprends pas pourquoi, dit Anaelis.

— Si la guerre est déclarée entre elles deux, nos groupes ne pourront jamais travailler ensemble.

— Et ?

Theorode eut un soupir et secoua la tête.

— Et.

— Et quoi ? insista Anaelis.

Mais Theorode repartait déjà.

A l’extérieur, Istinie en avait profité pour changer de place et prendre celle de Theorode. Elle se retrouva entre le siège vide d’Anaelis et Lindsie, avec qui elle discutait joyeusement. A leur retour, Theorode eût un petit sourire en coin et prit une autre place libre. Anaelis s’assit et leva son verre. Istinie posa délicatement la main sur son bras pour le lui faire baisser.

— Assez pour le moment, dit-elle.

Elle en profita pour délaisser Lindsie et se tourner vers lui, maintenant qu’ils étaient côte à côte.

Le temps passa, les conversations se poursuivaient, Lindsie notamment ne cessait de parler avec le groupe d'Istinie, Ghirt, Hones, et surtout Mliren, l'apprenti médecin, qu'elle voyait pour la première fois.

— Tiens regarde, les comédiens sont arrivés, je vais aller les voir, dit Anaelis à Istinie.

— C’est à destination des enfants, répondit-elle.

— C’est qu’alors j’ai encore une part d’enfant.

— Je t’accompagne alors, dit-elle.

— C’est pour les enfants tu sais, répondit-il en souriant.

Il lui tendit la main pour se lever. Ensemble ils sautillèrent bras dessus bras dessous comme des petites filles et ensemble ils s’émerveillèrent comme des enfants de voir les marionnettes de dragons tomber sous les assauts des chevaliers.

— Alors les petits, le spectacle vous a plu ? les railla Theorode à leur retour.

— Il y avait des chevaliers et des dragons ! Avec du vrai feu ! À un moment, ils ont rôti la princesse et le chevalier a pris le dragon comme monture, depuis ils battent la campagne et détroussent les voyageurs ! répondit Anaelis en surjouant l'enfant excité.

Istinie n'était pas sûre d'avoir assisté au même spectacle. Ils se mirent à parler des Sanges, de ce qui les attendait, mais Anaelis décrocha assez rapidement. Il pensa à cette soirée, ô combien il aurait aimé la passer avec Cadbe, cette demoiselle avec qui il n’avait même jamais discuté. Son humeur s’assombrit. Il commanda un verre et regarda la comète, perdu en lui-même.

Elle paraît vraiment plus grosse qu’hier, elle doit passer vraiment près. C’est étrange qu’on n’en voit plus la queue d'ailleurs, pensa-t-il distraitement.

— Anaelis, reviens donc parmi nous. Où vagabondait ton esprit ? demanda Istinie.

— Vers mon étoile, et vers cette beauté filante, fit-il en la désignant de la main, la paume ouverte comme pour qu’elle vienne y atterir délicatement.

Istinie posa la tête sur son épaule et se serra contre lui.

— Fatigué ? demanda-t-elle à voix basse.

— Plutôt anxieux, répondit-il. Demain. Cette année. Vingt-quatre groupes, un seul devenant Sanges.

— Deux. Deux groupes. Pourquoi n’en prendre qu’un alors que nous pourrions… être ensemble ?

— Parce que la vie n’est pas comme on la souhaite.

Il prit encore une gorgée d’alcool. Elle savait qu’il buvait trop. Lui aussi certainement.

— Alors montrons-leurs ce qu’elle doit être.

Il aima ces paroles. S’il les savait futiles et faciles à dire, quelque part elles lui réchauffèrent le cœur. Un court instant de bien-être, une sorte de paix, avec cette jeune femme tout contre lui.

Il discuta un peu puis retomba dans ses pensées. La nouvelle de l’admission de son groupe avait fini par le rattraper pleinement, accompagnée de son cortège de doutes. Il ne devait pas l'admettre devant ses compagnons : un commandant n’avait pas le droit d’être perdu sous peine de perdre aussi ses troupes. Une équipe de quatre qu’il devait continuer à diriger, face à ce qui les attendait cette année, quoi que ce fût.

Ses pensées tournaient en rond et, l'alcool agissant enfin, le monde autour se mit à faire de même : la musique trop forte, les feux aveuglants, les cris stridents des enfants, l’appréhension de cet avenir difficile, l'inaccessible jeune femme désirée, comme tout là-haut cette comète magnifique et solitaire, se donnant aussi à voir mais pas à saisir. Levant les yeux, il la vit, lumineuse et divine. Il la vit une dernière fois, majestueuse et nimbée. Il la vit exploser.

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