Réponse à "Le lit de mort"

de Image de profil de CarmaCarma

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Elle est en bas de l’immeuble. Elle s’approche de l’interphone. Elle cherche son nom. Il est à peine lisible mais elle le reconnait.

Elle sonne. A plusieurs reprises. Longuement. Mais la petite musique finit toujours par s’arrêter. Elle soupire. Elle regarde son poing serré, l’ouvre pour y regarder les traces rouges laissées par les deux clefs. Le dernier envoi qu’elle a reçu.

Elle se décide. Elle ouvre la porte du hall d’entrée, le traverse et monte, lentement, les escaliers la conduisant au troisième étage, devant la porte du logement, refuge, prison de son père.

Devant la porte, elle hésite. Dix ans. Ça fait dix ans, qu’elle ne l’a pas vu. Sa dernière lettre date d’il y a six mois. Et, il y a deux semaines, les clefs.

Elle introduit la clef dans la serrure, déverrouille la porte et la pousse, la laissant s’ouvrir doucement. Une odeur pestilentielle l’agresse tandis que son regard rencontre la pénombre du couloir. Il est vide, enfin presque. Sur une patère, est accroché un manteau noir. Juste en dessous, il y a une boite à chaussures. Dessus, des mocassins noirs, brillants, neufs semble-t-il. Cela l’agace. Elle avance, une main effleurant le mur, à la recherche d’un interrupteur. Quand elle le sent, sous ses doigts, elle appuie. Elle entend le petit clic mais aucune lumière ne vient baigner le couloir. Elle continue, une porte à droite ouvre sur ce qui, dans son souvenir, est la pièce principale. C’est ouvert. En tâtonnant le long de l’encadrement de la porte, elle cherche l’interrupteur, appuie. Rien non plus. Des yeux, elle balaye la pièce, à part les rais de lumières que laissent passer les volets, rien, pas de petites lueurs d’appareils en veille, pas d’heure affiché sur le four mico-ondes. Son cœur s’accélère. Elle se mord les joues et se force à écouter. Pas de bruits familiers d’un frigo qui vibre. Rien ne charge. Manifestement, il n’y a plus d’électricité. Et, cette odeur !!!

Mais, son père est forcément là, quelque part. Il ne peut pas être ailleurs. Il n’y a jamais été : ni devant l’école pour venir la chercher, ni au spectacle de fin d’année pour l'applaudir, ni à la remise des diplômes…

Elle se ressaisit. Il faut qu’elle le trouve. De ses mains fébriles, elle fouille dans son sac. Elle y pêche son smartphone. Il a une torche. Elle jure silencieusement car ses doigts moites glissent sur l’écran tactile. Une photo de son mariage s’affiche…elle ricane nerveusement. Là non plus, il n’était pas. La torche s’allume. Elle parcourt la pièce avec le faisceau lumineux, ou du moins ce qu’elle en devine sous la crasse et le nombre incroyables de déchets hétéroclites qui s’y accumulent. L’odeur et le spectacle étrange de cette décharge spectrale la transpercent. Sous le choc, elle a un haut-le-cœur et une remontée de bile acide lui brûle la gorge.

« Qui est-ce ? » demande une voix faible qui semble sortir du mur du fond.

Effrayée, elle laisse tomber son téléphone, replongeant dans l’obscurité.

-Papa ? C’est Marion ! où es-tu ?

Il tousse.

-Vas-t-en…

-Arrêtes, dis-moi où tu es !

-J’ai dit…Vas-t-en ! Dégages ! Je…ne veux…pas…te…voir !

Il tousse, une toux grasse, immonde ! Le bruit d’un crachas. Sa respiration est sifflante, haletante.

Elle l’ignore et reprend son téléphone-torche pour se diriger dans la direction de la voix.

-T’es malade, c’est ça ?! Et, bien sûr, tu n’es pas allé consulter ! Tu fais chier !!!

-Marion… fous le…camp ! insiste le fantôme de la voix de son géniteur,

- Si tu ne voulais pas que je vienne, il ne fallait pas m’envoyer tes clefs, sale ingrat !

Elle avance et plus elle s’approche, plus cela ressemble à progresser dans un squat insalubre. Elle marche sur des carcasses de bouteilles vides, des boîtes de médicaments, des livres, des cartons de pizzas, des emballages de fast-food au bruit chuintant et juteux qu’ils laissent échapper sont encore remplis de matière organique qui fut comestible, des bandages souillés. Leur odeur putride de moisi et la peur affolée qui s’agite dans son ventre manque de la faire vomir. Dans la lumière, elle aperçoit le canapé recouvert de couvertures. elle croit deviner un léger frémissement.

-Papa ? T’es là… ?

-Vas-t-en…Laisses-moi.

Une colère sourde et ancienne se réveille en elle. cet espèce de père! ce guignol …c’est lui tout craché. Lui envoyer ses clefs, sans un mot d’explication. La faire venir, pour finalement, lui dire de s’en aller.

-Vas-t-en… je t'ai dis...je...ne...veux ...pas...te...voir...

Il a, à peine bougé, qu’une odeur rance de fluides corporels, une odeur cadavérique emplit l’atmosphère, suivi d’un nuage d’innombrables mouches. C’en est trop. La peur, la colère, le dégoût. Pliée en deux, elle vomit.

Elle se redresse et dans un cri, assène un coup de poing puis deux dans le monceau de couverture.

-Ferme-là ! Ok ! Je fais ce que je veux !

Les insectes, s’agitant, tout autour de sa tête, avec une préférence pour ses yeux larmoyants, finissent par l’arrêter.

Elle reste, là, quelques minutes, l’air hébétée.

Un gémissement s’échappe du monticule, rallumant le feu de la colère de la jeune femme.

-Jusqu’au bout…hein ? tu seras un pauvre lâche…

-J’ai mal.

- J’m’en fous ! Moi aussi, j’ai mal…au cœur ! c’est quoi, cette puanteur ! t’as recommencé à boire ? Depuis quand tu t’es pas lavé ?

Elle shoote, dans les détritus, faisant décoller un autre nuage de mouches vrombissantes. Elle jure :

-Merde ! pourquoi ? pourquoi je dois toujours être là pour être témoin de ton auto-destruction ?!

- Je suis désolé…Je ne voulais…pas…j’ai pas fait exprès…

Et voilà, maintenant, ce ton plaintif qu’elle n’a jamais supporter.

-Stop ! J’en ai marre ! Je sais…Tu voulais pas naitre, ni vivre…t’as pas fait exprès d’avoir une fille ! t’es désolé ! Ca suffit ! Assumes !

Et, dans un geste brutal et rageur, elle tire la couverture.

Elle est saisi d’horreur par ce qui s’y cache. Un corps décharné, sale, couverts de ses propres excréments séchés. Il est en position fœtale, l’un de ses bras formant un angle bizarre avec le reste de son corps, pendant lamentablement dans son dos, noir de l’infection qui le ronge. Son autre bras tente, avec peu de succès, de protéger son visage et ses yeux de la lumière trop crue de la torche.

Pétrifiés. Lui. Elle. Pétrifiés.

Il faut qu’elle fasse quelque chose. Une petite voix à l’intérieur de son crâne le lui intime « allez, bouges, il faut que tu bouges...Bouges…fais quelque chose…dis quelque chose…n’importe quoi »

Mais son corps est aux abonnés absents, ses bras comme deux enclumes, pendent le long de son corps. Elle ne sent plus rien que cette pesanteur informe qui l’écrase.

-Marion…Froid…

Ce murmure d’outre-tombe a l'effet salvateur d'un électrochoc.

-Ok…Ok…voilà, je te couvres…- elle parle, à toute allure- ça va aller, t’inquiètes pas…je …je…vais appeler du secours !

Elle traverse la mer d’immondices qui entoure son père pour s’éloigner un peu, trouver un peu d’air.

-Marion…Marion…

- Je suis là….attends…attends une seconde…j’appelle les pompiers…

-Non…Marion…pas la peine... seul.

- t’es pas tout seul…juste une…Oui allo, j’appelle pour mon père…Il est…euh…blessé…malade…Les deux, merde !...oui, oui…pardon je me calme…un bras euh…cassé, peut-être…c’est que je sais pas…c’est tout noir, y’a du pus ! Oui, voilà…58 ans…10 place du Trianon, 2ème étage…Dans cinq minutes…Ok, je vous ouvrirai !

- Marion…

-Oui, oui, les secours arrivent, t’inquiètes pas.

-Marion…s’il te plait…

, elle le regarde de loin, elle voudrait revenir à son chevet mais elle ne peut pas. Elle n’y arrive pas ! Elle essaie de se secouer, se traite de lâche. A sa grande surprise, une pensée noire lui traverse l’esprit. La lâcheté, c’est de famille. S’il y a bien quelqu’un qui ne peut pas lui reprocher ça, c’est bien son père.

Elle se souvient, il y a quinze ans, quand elle s’est décidée à venir le rencontrer après des années de relations épistolaires pour essayer de comprendre ce mot qu’on lui répétait pour lui expliquer l’absence et le manque d’intérêt de son père : le syndrôme Hikikomori. Elle n’avait pas compris,. Juste l’excuse bidon d’un égoïste asocial…voilà ce qu’elle en avait pensé.

Elle était ressortie de leur dernière rencontre, dix ans plus tôt, partagée entre la pitié et le dégoût. Elle pensait avoir réussi à faire une croix sur lui. Mais, elle avait, finalement, répondu, à chacune de ses lettres. Elle l’avait rappelé les trois seules fois où il avait cherché à la voir. Et, elle est là, aujourd’hui.

-Marion…

Les sanglots douloureux émis à son corps défendant, lui répondent. Elle serre les dents.

-Papa…arrêtes de geindre…je vais péter les plombs !

Elle se mord les lèvres pour se forcer à se taire. Ils n’ont jamais réussi à s’approcher, sans se blesser. Leurs rares échanges verbaux ont toujours fini par s’envenimer. Même aujourd’hui.

-Marion…sur la table…cuisine…

-Quoi ?

-quelque chose…pour toi…

Tandis qu’il gémit doucement, elle se dirige vers la table de la cuisine. Elle y trouve une feuille et un stylo. Une lettre…une putains de lettre !!! Elle le déteste pour ça. Mais elle s’assoit et ne peut s’empêcher de lire.

« Marion,

Je suis désolé de ne pas avoir assisté à ton mariage. Tu ne me croiras sûrement pas mais j’ai essayé, vraiment, mais je n’ai pas pu. J’avais même acheté des chaussures et un costume. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir eu assez de courage…j’espères que tu me pardonneras, encore.

En tout cas, toutes mes félicitations, j’espère que la fête était belle et te souhaite d’être très heureuse avec celui que tu as choisi. Peut-être pourras-tu m’envoyer quelques photos… »

Elle essuie, d’un geste, les larmes qui lui brouillent la vue. Elle n’arrive plus à lire. Elle se penche à nouveau, sur la feuille et se rend compte que ce ne sont pas seulement ses yeux. D’autres larmes ont gondolé la trace écrite qui s’est fait tremblante.

« Marion, je me suis cassé le bras. Je t’ai appelé… J’ai pris rendez-vous chez le docteur mais je n’y suis pas allé. Je crois que ça s’est aggravé…J’ai de la fièvre…mon bras est violacé et gonflé. Je crois que je n’en ai plus pour longtemps.

Alors, je voulais que tu saches que, même si je ne suis pas et n’ai jamais été le père que tu mérites, je t’aime. Tu es mon fil d’Ariane, ma lumière dans la nuit. Avoir contribuer à ton existence est ma seule fierté…même si je l’ai pas fait exprès.

Tu es, ma chérie, une belle personne. Ne laisses pas mes manquements et mon absence t’en faire douter !

Tu as été mon unique raison de continuer. Je ne voulais pas te faire de peine et je trouvais assez de bonheur et d’énergie vitale dans tes lettres. Alors, si je meurs aujourd’hui, ce n'est pas grave. Mon amour pour toi, lui, restera toujours vivant.

Je t’aime »

Les yeux bouffis de larmes, elle murmure : « espèce de salaud… »

L’interphone sonne. Comme un robot, elle se lève pour aller ouvrir aux pompiers. Ils arrivent, se dirige vers le canapé.

Un ange, peut-être, passe.

« Désolée, madame. Nous sommes arrivés trop tard »

TragédieContemporainDéfimort
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Table des matières

En réponse au défi

Le lit de mort

Lancé par Cassiopée .

Hey tout le monde! Ravie de vous revoir pour un nouveau défi!

Hier soir, je n'arrivai pas à dormir (vous allez voir où je veux en venir ;)) alors, comme tous les soirs où je n'arrive pas à dormir, j'ai écouté ma musique (avec les violons, pianos et tout.) Puis mon esprit a imaginé une scène où un vieil homme prononçait ses derniers mots à un proche sur son lit de mort. J'ai tenté ce matin de l'écrire, en vain. Les mots ne me venaient pas, je n'arrivai pas à bien imager la mort et tout ça. Donc, je vous propose à vous, si vous le voulez bien, d'écrire cette scène. Je donne plus de précision:

Les personnages seront: -un vieil homme qui doit obligatoirement mourir à la fin de la scène soit par la vieillesse naturelle soit par une maladie (c'est vous qui choisissez)

-Quelqu'un de sa famille (petits-enfants, fils, fille, femme, nièce, oncle enfin bref, ce que vous voulez, mais je ne veux qu'une personne)

Le proche doit s'approcher du lit de mort, puis écouter les derniers mots du souffrant. Vous avez le choix sur la mort: brusque, lente, agonisante etc. Je vous donne aussi le choix sur l'époque: vous pouvez autant situer l'histoire au 16ème siècle qu'à nos jours, pourquoi pas remonter jusqu'au Moyen-Age avec la mort d'un riche compte ou d'un roi (donc vous avez liberté totale sur ce point.)

Je veux ressentir la mort dans ses paroles, la souffrance dans ses gestes, quitte à pleurer devant la scène. L'ambiance dans la pièce est aussi importante que le discours: vous pouvez décrire une ambiance putride, une odeur de malade, de mort, de sang, ou rien du tout si le personnage meurt simplement de vieillesse. Lorsqu'il meurt aussi, comment est son corps? Ses yeux vides, son visage blême, marquée par une terreur soudaine...

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à mes les poser dans les commentaires, j'y répondrai avec plaisir.

Bonne chance!

Commentaires & Discussions

La dernière lettreChapitre16 messages | 3 ans

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