CHAPITRE 55 : Le marché
Samaël avait fait appeler Djezabelle sous sa tente. Elle traversa un large cercle fait de piques sur lesquelles étaient fichées les têtes de nombre de Messiens.
- Alors général que pensez-vous de cette journée ?
- Elle est notre Saigneur ! Pourquoi ne pas lancer d’autres assauts contre leurs positions ?
- Oui, pourquoi ? Je me le demande et je te le demande aussi, pourquoi cette sollicitude envers cet Aymeris, pour ne pas dire plus ? N’oublie pas ceci, ne laisse pas ennemi prochain te marcher sur le pied, de crainte qu’il ne te marche sur la tête.
- Je ne sais que répondre Prophète. Si ce n’est que je n’ai jamais trahi, jamais fait quelque chose dont j’ai à rougir.
- Suffit ! je te crois, biens que tu ais omis de me conter bien des choses, je pars méditer au sommet de la dune haute, nous reparlerons de cela à mon retour. J'ai besoin de solitude. La solitude rend sage. Mais je sais que le cœur de l'homme est semblable à la source qui reste transparente et fraîche dans le creux du rocher, mais qui se trouble et s'évapore dès qu'elle se partage en mille filets. Pour punition à mon retour tu chanteras devant les troupes l'hymne de la victoire.
En fait de pénitence c'était plutôt le plus grand des honneurs. Mais il impliquait une condition qui fit frémir la noble Djezabelle. En sortant sa face d'ogre était barrée de quelque chose qui ressemblait à un large sourire, il chassa une pie du désert qui sur un crâne picorait un œil.
Il était là-haut, debout sur la haute dune de sable blanc. Son front était levé vers un ciel sans nuage, il fixa un instant un soleil aussi blanc que la dune.
Toutes ses blessures ne s'étaient pas encore toutes refermées, Aymeris l'avait tout de même pas mal entaillé, ses longs cheveux verdâtres, rougis du sang des combats flottaient sur la cuirasse qu'il avait revêtu, sa large poitrine palpitait sous la cote de maille dont les brillants anneaux couraient sur le hoqueton en limpides réseaux.
Il était grand très grand et sa bouche entrouverte parlait aux quatre vents et ses oreilles écoutaient le désert.
Son épaule couverte d’un large écu de cuir et d’airain était troué de traits. Il écoutait au loin les cris qui là-bas troublaient le silence.
C’est vrai son armée encerclait les Salamandrins.
Alors tranquillement il s’assit, il tenait par l’anse une gargoulette d’un vin capiteux, qu’à longue rasade il vida presque.
Là-haut sur la dune un géant s’endormit enfin sous un soleil implacable.
De l’autre côté, derrière le cordon dunaire, à l’abri des gour, sa ville de tente était dressée, le fier camp du Saigneur.
Dans le camp, victorieux, en son centre sous une des plus grandes tentes, aux bords rabattus, sur des coussins de taffetas et de soie brodé, Djezabelle la vierge démêlait avec un peigne de corail les tresses de ses cheveux aussi noirs que les plus profonds puits du désert. Elle chantonnait une vieille comptine. Puis, elle croisa son blanc k’sa* (boubou) sur sa chemise de fin brocard. Elle enfila dans des sandales de cuir jaune ses pieds rougis par le henné et elle dit devant son père qui aiguisait une épée et à Sarah la mulâtresse :
- Sarah, mène-moi au bain…
Lorsque Djezabelle la vierge et Sarah la jeune mulâtresse passèrent dans les allées du camp des soldats aux chèches blancs, puis dans celles aux chèches couleur indigo. C'était l'heure du noir kfé aux arômes de cardamone et de girofle, beaucoup retirèrent de leurs lèvres, les tasses fumantes, ou le bec d'ambre des chibouques* (pipe) et soupirèrent tout bas dans des panaches bleutés :
« Heureux celui qui serrera sans voile, cette taille plus souple que le roseau. »
beaucoup reçurent le coup de coude mérité de leurs voisines et compagnes.
Mais Djezabelle ne les regarda pas en passant devant ceux-là qui continuaient à fumer et à boire à l’ombre fraîche des tentes où l'on chantait où l’on contait les hauts faits des hérauts.
Elle ne détourna pas la tête non plus lorsque les dresseurs de varans à deux têtes passèrent devant elle, ni quand elle passa devant les chameliers, Djezabelle, la gazelle du désert, aimait Aymeris, le faucon des Salamandrins, dont le cheval est fier. Elle aimait Aymeris aux cheveux pareils au soleil, ce chevalier qu’elle avait vu pour la première fois sur la plage.
Elle pensait :
« Aymeris pour toi mon cœur brûle comme la roche noire au soleil. Je voudrai que tu me saisisses dans tes bras et que sans mot dire, sans un baiser, que tu me couches sur la crinière de ton destrier et parte loin au galop. »
Elle vit au sommet de la plus haute dune, Samaël son seigneur endormi.
Elle changea d’idée.
- Sarah retourne fait ce que tu veux, va au bain si tu veux, je prendrai mon bain plus tard.
- Bien maîtresse.
Djezabelle prit le chemin du corral où l’attendait sa cavale. Elle l’enfourcha et galopa vers la dune...
En ce lieu désolé, comme un cauchemar des dieux. Bientôt à son oreille une voix, un murmure doux, qui l'éveille. Une vision blanche apparaît à ses yeux. Et comme dans la tempête il arrive parfois que l’on aperçoive, dissipant l'ombre grise des lourds nuages, un clair rayon de soleil embellissant la mer sombre. Ainsi lui apparut la vierge Djezabelle, qui se pencha lentement et au bruit du vent, elle mêla son souffle doucement. Ses longs cheveux de jais libérés des nattes, en flots volaient au vent. A ses côtés son coursier charmant grattait du sabot.
Elle chuchota, et sa voix était la mélodie que jette le doux zéphyr dans les blanches gorges de Aïn-Birr-El-Kilifa.
- Que loué soit le nom sacré de Samaël, notre guide immortel. Par ce danger certain ta gloire est plus encore affermie. Lui dit-elle. Mon cœur, est rempli de crainte. Ainsi commença sa prière. Prends pitié de moi. De ton repos doux et tranquille je te réveille. Écoute l'humble prière de ta servante en plein désarroi. Je m'incline, oui je baisse la tête. En m'adressant à toi, j'ose dire que j'aime Aymeris. D'un pur amour j'en suis la prisonnière. Et si j'aime pourquoi ne pas le dire ? Que dois-je faire ? c'est notre ennemi et je l'aime. Commande et j'obéirai.
- Je t'entends, je te crois, cette histoire de dot, c’est donc lui ?
- Oui, mais il n’en sait rien. C’est plutôt un vœu pieu. Et pourtant j’ai appliqué vos sages préceptes. Ne disiez-vous pas si tu aimes un homme, éprouve le d’abord et ensuite prends le pour amant. Je l’ai éprouvé mais il ne veut pas de moi pour femme.
- Ma fille, ne t’oublie pas sur des voies détournées, toi qui espère commerce avec celui qui est chaste.
- Mais comment ?
- Ma fille, ton adversaire viendra au-devant de toi, vas au-devant de lui pour le bien et reçois le pour notre bien à tous.
- Je ferai selon ta volonté.
- Qui sait, il ne me déplairait pas d’avoir un pareil soldat parmi nous. Aussi je ferai tout pour l’épargner, à toi de le convertir. Il pensa « serait-il mon Hercule ?»
- Autan demandez au soleil d’arrêter sa marche.
- Pauvre petite, ne sais-tu pas que cet astre est immobile dans le ciel et que c’est nous qui tournons autour.
- Heu !
- Qu’importe, un jour je prendrai le temps de vous instruire sur toutes sortes de choses. Il ne m’amuse guère de gouverner sur un peuple inculte. Pour en revenir à notre discussion, tu sous estimes tes charmes et son amour. Et puis je puis t’affirmer qu’à ta beauté de femme on peut ajouter ton bon sens et que ta parure suprême c’est les paroles de ta bouche. Tu pourrais damner un de leurs saints dont ils ont plein la bouche. Mais au fait. Pour lui, sacrifierais-tu ta vie ? Ne répond rien, ma question, je vois bien qu’elle est stupide.
- Jamais il ne rompra son serment. Il est trop droit. Il n'a qu'une parole.
- Le crois-tu libre de refuser ?
- Je ne sais Saigneur.
Samaël finit de boire le vin de sa gargoulette, puis il la posa devant lui.
- Vois cette cruche, l'homme est pareil à elle.
- Je ne comprends pas.
- Regarde bien, je la pousse elle roule dans la pente, elle continuera à rouler après que j'eus fini de la pousser. Cette entêtement de la gargoulette dans la roulade est une contrainte. Parce qu’elle est produite par la poussée et par la pente, tu comprends que ce sont là des causes extérieures ; et ce qui est vrai de la gargoulette, l’est aussi pour tout objet ou personne. Quelle qu’en soit la complexité et quel que soit le nombre des possibilités : toute chose est nécessairement déterminée par des causes extérieures à exister et à agir selon une loi précise et déterminée. Tu comprends ?
- Oui Seigneur, mais je ne vois pas où vous voulez en venir. Le Comte n'est pas une gargoulette à ce que je sais.
- Sans doute, mais imagine maintenant que la cruche, tandis qu’elle roule, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de descendre. Cette gargoulette, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort croira être libre et ne persévéra dans son mouvement que par la seule raison qu’elle croira le désirer. Hors il a bien fallu la pousser pour la mettre en branle. Telle est cette liberté humaine dont tous les hommes se vantent, c'est celle qui consiste à croire qu'ils sont libre. Les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. À cause de cela un enfant croit désirer librement le lait de sa mère. C'est ainsi qu'un ivrogne croit dire en toute conscience ce qu’ensuite il aurait voulu taire. Et comme ce parti pris est naturel chez tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas facilement. Cherche les ressorts, cherche les freins qui agissent chez ton Aymeris et tu le gouverneras.
- Certes Seigneur, le cœur des hommes comme leur désir, leur volonté, leur souhait ne tournent qu'autour de besoins simples ; mais si le cœur de cet homme m'est acquis, je ne sais comment le libérer de sa parole.
- Le plus dur tu as fait. Le cœur humain, est un lieu insondable et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être expliqué comme un fait démontrable. Mais avant ce soir, je te promets que ton Comte sera sous ta tente. J'agirai sur les bonnes personnes, celles qui tiennent la laisse de ton cher ami. En me quittant demande à ce que l’on arrête les exécutions. Notre discussion est pour toi seule le comprends tu ?
- Oui Saigneur je ferai selon ta volonté.
Elle alla vers la tranchée qu’on avait fait creuser aux prisonniers. Déjà des monceaux de corps décapités y étaient amoncelés pêle-mêle.
- Père faite surseoir aux exécutions. Ordre de Samaël.
- Bien ma fille. Et bien Duc Fillon on dirait que vous et ce qui reste de vos bannerets* (Seigneur qui comptait un nombre suffisant de vassaux à conduire à l’armée sous sa bannière) ayez de la chance. Les enfants vous aurez d’autres occasions pour vous faire la main. Rompez.
Alors les jeunes adolescents des deux sexes qui faisaient office de bourreaux s’égayèrent dans le camp, certains étaient soulagés de n’avoir pas eu encore l’occasion de trancher une tête, d’autres non.
Quelques heures s’écoulèrent sans que rien ne bouge. Tout semblait figer dans ce désert de feu.
- Comment allez-vous Papesse ? demanda Aymeris.
- Cela ira. Si Dieu est l’auteur de l’infortune comme de la prospérité il nous a bien gâtés. Mais pourquoi ? Mais pourquoi n’attaquent-ils pas ? Mais que font-ils ?
- Il apprend à ses troupes à se battre Madame. À se battre contre une vraie armée. C’est pour cela qu’il nous ménage Madame. Il est le chat nous sommes sa souris.
- Je vous remercie pour tout à l’heure, vous vous êtes battus comme un lion.
- Madame il vaut mieux être un renard vivant qu’un lion mort et je puis vous dire que nous sommes passés près du trépas.
- Que devons-nous faire ?
- Attendre Madame. Nous sommes dans la main de Dieu. Pour l’instant il ne sert à rien d’attaquer. Il vaut mieux refaire nos forces et attendre. De la constance, une conscience droite, il n’y a rien de meilleurs que cela. Nous bougerons à l’aube il nous faudra retraiter en bon ordre.
Il sembla à tous qu’Aymeris avait pris l’ascendant sur chacun tant son combat avec Samaël avait impressionné, tant son sang-froid avait soutenu l’armée des Salamandrins et les avait garantis de la déroute. Plus personne ne songeait à remettre en doute ses capacités de commandant, pas même la Papesse. Il avait su conserver la presque totalité des fantassins ainsi que les bagages même l’eau avait été épargnée.
De nouveau les trompes sonnèrent.
Aymeris cria à ses hommes :
- Messieurs. Je crois qu’il est temps d’accueillir comme il se doit ces païens
Mais au lieu du combat attendu les troupes ennemies se retirèrent à bonne distance et c’était un reflux impressionnant, silencieux...
Une ambassade demanda à être reçue. Des pour parler s’engagèrent. La demande du Prophète était des plus étrange.
Il demandait la présence d’Aymeris dans son camp et sa soumission totale et inconditionnelle tant qu’il y resterait, en échange les prisonniers seraient libérés. Pour cela il eut l’approbation et l’absolution de la Papesse. Aymeris ajouta une demande supplémentaire ; la possibilité que son armée puisse retraiter sans être inquiétée. À sa grande surprise cela lui fut accordé pour toute la durée de sa présence dans le camp de Samaël. Ainsi donc il fut flatté de constater qu’il valait la vie 3500 chevaliers.
Il croisa la longue file des prisonniers, qui en chemise, pieds nus, et corde au cou s’en retournaient vers son armée qu’il quittait.
Lui était fier et à cheval, eux allaient pieds nus sur le sable brûlant, tête baissée. Il arriva sans aucune difficulté devant la tente de Samaël. Il sauta de cheval et se signa devant le macabre spectacle. Parmi les trophées il reconnut un grand nombre de ses amis.
- Bien venue chevalier ! Soit mon hôte et le bienvenu sous ma tente.
- Je n’ai qu’une parole. Je suis à ta merci. Que veux-tu de moi ?
- Nous avons le temps. Mais tout d’abord laisse-moi t’offrir de quoi te désaltérer… il lui tendit un hanap de cristal empli d’un vin rubis. Et te poser cette question : Suis-je le diable pour que toute la noblesse Salamandrine vienne déranger mon séjour ?
- Je ne sais… mais à coup sûr un démon, oui.
- Penses-tu ton Dieu infaillible ?
- Oui !
- Crois-tu au destin ?
- Je crois à la volonté du très haut.
- Alors médite bien sur ceci, jadis tu m’as sauvé d’une mort certaine.
- Je m’en souviendrai !
- Il est vrai que je n’avais pas cette apparence, mais moi je t’ai reconnu. Je te dois donc la vie. Alors penses-tu qu’un démon doive reconnaissance à un humain ?
- La reconnaissance est un sentiment humain, uniquement humain. Tu ne me dois rien. Je porte en mon cœur la certitude d’une âme droite et l’orgueil du devoir accompli. Si comme tu le dis je t’ai sauvé dois-je m’en excuser ?
- Tout doux, comme tu y va. Ce n’est pas moi qui suis venu porter le fer en se désert, ma terre promise. Et en parlant de reconnaissance, je sais des animaux qui en ont bien plus que certains humains.
- Je te l’accorde, et si je m’en excuse c’est uniquement en mon nom. Et est-ce le lieu et le moment de parler philosophie ?
- Je sais cela. Comme je sais que les peuples sont petits et laids, s’ils ne sont pas bien dirigés. Voudrais-tu la tiare Salamandine.
- Quand bien même le pourrais-tu, que je n’en voudrai point. Malgré ces temps funestes, je saurai rester debout dans la défaite. Je subirai tout mon sort, quel qu’il soit.
- Que d’orgueil. C’est ton plus grand péché. Mais je saurai t’en guérir.
- Et c’est pour cela que tu m’as fait venir sous ta tente ?
- Sous ma modeste tente ? Non pas ! Mais médite cela, plus le faste est grand, plus grande est la ruine et puisque je suis un Démon comme tu le dis si bien, je vais te montrer le paradis, car il n’y a que les Démons et les Dieux pour bien connaître ce séjour. Entre Djezabelle. Tu n’as que trop attendu celui à qui tu as offert ton collier. Souviens-toi encore de ceci chevaler, tu as promis de te soumettre à ma volonté, aussi je t’ordonne de complaire à mon général Djezabelle.
- Je n’ai qu’une parole et il faudra t’en contenter, car je n’ai pas de kafil* (caution).
- Ta parole me suffit car n’es-tu pas un noble ? Mais tu sembles vraiment bien connaître nos coutumes ?
La jeune femme entra, elle était toujours aussi belle, elle s’inclina profondément devant Samaël.
- Tu sais que je n’aime pas ces marques de soumission Djezabelle. Voilà les lauriers que je t'avais promis car tu t’es bien battue et tu n’as pas démérité, cet homme est notre hôte, mais il t’obéira en tout car il en va de son honneur.
Samaël regarda Aymeris devinant qu’il allait quand même faire une objection, il lui dit :
- On ne remet pas l’or dans sa manche, après l’avoir montré au mendiant. Ce qui est promis doit être tenu. Et en parlant de manche, la vie est courte humain et il faut parfois savoir saisir le plaisir par la manche ! Suis-la !
- J’ai tenu ma parole, je suis venu te chercher Aymeris Comte de Brûnhaut.
- Je te suis puisque tel est ton désir.
- Et moi j’ordonne qu’à l’aube mon général Djezabelle ne soit plus une pucelle. Allez et ne me décevez pas.
Ils sortirent de la tente. L’air était encore muet de chaleur. Le soleil rougissait à peine dans le bleu d’un ciel ayant des profondeurs d’océan. Le sable tapissait de ses reflets fauves jusqu’à l’horizon lointain une mer de dunes qui n’en finissait pas.
- Tu comprendras que je ne puis t’honorer tant que mes frères n’auront pas de sépultures décentes.
- Qu’il en soit fait selon ta volonté !
Elle frappa dans ses mains et nombreux furent ses gens qui firent fuir les oiseaux et portèrent les têtes en terre.
Le couple se retirera sous la tente de Djezabelle. Elle entra et se déchaussa, Aymeris en fit autant. Elle caressa tendrement la toile comme si elle était vivante, sensible.
- Demain il fera grand vent. Viens sur ma couche qui sent la rose et le jasmin. J’apprendrai de ta bouche la langue de ton cœur. Mais avant buvons ce vin, il vient de lointaines contrées où on le vénère comme un dieu.
Elle lui tendit un hanap d’un vin blanc aussi transparent que de l'eau, presque glacé.
- Et oui cher ange, tu nous prends pour des demis sauvages, mais tu serais surpris de notre raffinement. Raconte-moi plutôt ton pays, d’où viens-tu ?
- Que te dire ? Ma patrie se nomme La Comté de Turan c'est une contrée où règne les verts et les gris, où le ciel est souvent brumeux, où un épais brouillard ensevelit les vallées et couronne les collines, où la matinale rosée goutte sur de l’herbe grasse presque bleue à force d'avoir trop bu. Où à l’automne, la pluie tombe plusieurs semaines durant, sans jamais se fatiguer. Où il y a tant de rivières, tant de cascades, qu’on ne peut toutes les nommer. C’est un pays aux vastes horizons, fermés ça et là de rideaux de pluie. C'est un pays aux étés courts mais brûlants, aux durs hivers, où le souffle blanc du vent passe en tempête sur la pleine. C’est une terre de prairies, de forêts moussues. Elle est attirante et sévère tout à la fois. Son atmosphère est d'une parfaite limpidité après la pluie et c'est alors que la vue porte loin. Ses horizons sont mouvants sous le frisson de la caresse des vents, cela lui donne l'enchantement de la mer, la mélancolie du large. C'est elle que l'imagination m’évoque lorsqu’au milieu des foules des marchés, des rues bondées de Salamandragor, le désir me vient soudain, irrésistible, de retrouver l'espace vierge, et l'air pur que je désir aspirer à pleine poitrine. Cette vision de la plaine herbeuse déroulée à l'infini, balayée par les rafales du nord m’obsède au début de l'automne lorsque, je suis en ville enfermé au monastère. Maintenant je me tais ta chevelure lourde m’enchaîne à toi. Le fruit qui ressemble à ta bouche a mûri et je veux y mordre et qu’importe s’il est amer, ou doux, pour moi il sera toujours exquis.
Il la plaqua sur le sofas les bras en croix. Cette femme lui évoquait la noblesse altière des cygnes noirs des lacs du Turan. Il pensait que le désert, comme les femmes avaient des ombres et des chaleurs mystérieuses. Il s’instruisit avec des lenteurs sensuelles du corps de cette déesse du désert. - Ma crucifiée ma belle crucifiée, mon amour impossible.
- À Aymeris aimez moi toujours ainsi, faite moi languir de pur amour. Comme une femme oublieuse d’elle-même.
Elle le prit ainsi, poussiéreux, sale, couvert de blessures, il était encore imprégné de l'odeur âcre des combats et la sueur qui gouttait de ses tempes, de son front se mélangea aux larmes des beaux yeux de gazelle de Djezabelle.
Il la cajola pour qu’elle reprenne cet élan d’amour, il posa la main sur son sein.
- C’est ton plaisir que je veux goûter. Lui chuchota-t-il
Ils furent éblouis l’un de l’autre.
(ouf !!! fin du chapitre.) - k’sa* (boubou)
- chibouques* (pipe)
- bannerets* (Seigneur qui comptait un nombre suffisant de vassaux à conduire à l’armée sous sa bannière)
- kafil* (caution
Annotations
Versions