Le duel, deux morts. (complet) (corr. Anne, encore qqs phrases à ajouter)

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Le soleil du désert, radieux et très chaud, qui brillait là-haut, égayait le camp des Salamandrins. Des coqs chantaient dans les enclos, des chiens aboyaient. Par on ne sait quel petit miracle, un grand chapiteau multicolore avait été érigé : il abritait tout un bataillon de putains. Sa toile murale était largement ouverte, il en sortait des musiques, des chansons à boire, tout ce que la vie peut émettre de sons. Les vibrations qui s'allongeaient en longs échos contre les pans des autres tentes, s'en allaient jusqu’à celles, princières, du centre du camp.

Là-bas, après les mâtines, Aymeris vint à la rencontre de son ami, le Père chevalier Thibaut, au beau visage de cire et aux longs cheveux en boucles blondes.

  • "Cela ne peut plus attendre, monseigneur Comte", dit le second.

Ils étaient tous deux sur le seuil du pavillon de la Papesse. Ils laissèrent sortir des moines rances, le chapiteau était rempli ce matin de tout l'encens d’une grand-messe, qui flottait encore, en léger nuage gris, jusqu’à mi-hauteur des mats polychromes.

  • "Mais où est le Duc Fillon, pour une fois que sa présence est nécessaire ? s’enquit Aymeris.
  • Depuis qu’il est rentré du camp de Samaël, il ne pense qu’à boire. Il n’est qu’aigreur et ressentiment.
  • Je m’en vais le quérir, sa place est auprès de la Papesse, souffrante.

Aymeris n’eut pas à le chercher longtemps. Il le trouva assis à l’ombre d’un velum, devant une chopine, en train d’aiguiser ses lames.

Bien vite, la discussion s’envenima. (rajouter une phrase pour amener la réplique)

  • Le Seigneur Samaël m'avait ordonné, pour votre vie sauve, de prendre femme. Et j'ai obéi au Seigneur Sa­maël pour le bien de tous...
  • En désobéissant à la Papesse ?
  • Il vaut mieux obéir à un faux Dieu qui croit en l’homme, qu'à une Papesse usurpa­trice et sororicide. D’autant que je l’ai sauvée, comme je vous ai sauvé aussi, et c’est peut-être ce qui vous marie le plus.
  • Alors pourquoi as-tu trahi la foi de tes pères, pour t'affilier à une secte qui ne compte parmi ses membres que des impies, des esclaves et des pillards ?
  • Je n’ai point renié ma foi en Messi. Mais qui sont les impies ? Qui écoute la voix des passions et adore le dogme et non la foi ? Où sont les prêtres les plus avides de sang ? Qui sont les plus avares de bonté et de compassion ?
  • Insolent ! Je voulais, à notre retour, adoucir ton châtiment, et tu m'insultes.
  • Et toi, tu outrages Messi, notre Dieu, et ma vaillance.
  • J'aurai raison de ton opiniâtreté ! je jure que, rentré au Royaume, il t’en cuira...
  • Duc, je te répète les paroles que tu as entendues sur le cordon de dunes. Tu es maître de tes hommes ; mais tu ne peux rien ni sur mon âme, ni sur mon libre-ar­bitre.
  • Ton âme appartient à la Papesse, comme ton corps.
  • À laquelle des deux sœurs ?
  • Assez de jactance, ce coquin de Samaël nous envoie une ambassade.

C’était le quinzième jour de siège, l’ennemi se présenta avec le bayada* (drapeau blanc).

Elle était seule. De loin, Aymeris, en armure de combat, observait Djeza­belle qui s’avançait vers son camp.

Le Duc Fillon, qui avait malgré tout encore les faveurs de la Papesse, eut la mis­sion d’aller à la rencontre de l’émissaire.

Il sortit du camp, avec une petite arbalète à son coté.

Ils s’arrêtèrent à portée de voix l’un de l’autre. Mais tous pouvaient en­tendre.

  • Mon maître Samaël est prêt à vous laisser la vie sauve, à plusieurs conditions.
  • Que veut ce chien de païen ?

Elle ne releva pas l’insulte.

Calmement, elle reprit en criant, pour que tous l’entendent :

  • Mon maitre est prêt à vous laisser la vie sauve, car vous vous êtes bravement battus. Grâce à vous, nous avons beaucoup appris. Mais il veut que tous vos chevaliers soient mis à rançon, à titre d’exemple et de re­présailles. Il veut que vous déposiez vos armes, il veut vos che­vaux, il veut aussi que vous juriez sur votre saint livre de ne jamais revenir, que vous soyez …

Non, ce n’était pas le soleil qui frappait le casque et l’armure du Duc, mais sous son heaume, le sourcil froncé, la mâchoire serrée, son visage s’empourprait, dans ses tympans résonnait la chamade de son cœur. Ses narines se dilataient, sa rapide et ample respiration créait même une fine buée sur les bords du nasal de son casque.

Elle n’eut pas le temps de terminer, le Duc l’avait mise en joue et tiré un car­reau qui se ficha droit dans son cœur.

Elle s’affaissa lentement sur l’encolure de sa jument qui, au petit trot, re­gagna les guerriers de Samaël, alors que lentement, elle glissait de sa selle. Elle tomba au milieu des rangs des siens amis. Elle roula sur le sable. Le carreau de son adversaire avait fait mouche à l’endroit indiqué.

  • Moi, je veux qu’il nous fiche la paix ! Ce n’est pas un monstre qui va nous dic­ter ses conditions. Alors que notre flotte intacte peut nous soutenir et nous recueillir ! cria le Duc.

Des deux côtés, les deux armées accueillirent en silence cet acte odieux.

Aymeris, fou de douleur et de rage sauta sur son cheval, galopa au-devant du Duc.

  • Chien ! Je te jette mon gant et bats-toi, canaille ! (pas assez fort, vu le crime odieux)
  • Contre toi ? que nenni… Je tiens d'abord, poursuivit le Duc, à prouver mon affirmation. Après votre faute impardonnable, votre trahison, que dis-je, après votre lubrique relation avec votre maîtresse, à cause d'elle, le terrain de l'honneur vous est interdit. Un chevalier ne saurait ni vous frapper d'insulte, ni être atteint par les vôtres, et si, dans son ignorance, il consentait à croiser le fer avec vous, des voix de prudes hommes s'élè­veraient, pour l'avertir que vous êtes à couvert d'un duel à armes loyales. En tant que simple Comte, reconnaissez que votre vie m'appartient. Je l'entends ainsi et je suis libre de choisir l'emploi que j'en veux faire.
  • Va te faire foutre, canaille ! Ton beau discours, je te jure que tu vas le regret­ter ! Sans attendre, je vais te faire rendre gorge ! Que tu le veuilles ou non, tu vas te battre contre moi.

Et dégainant le sabre haut, il piqua des deux. Pour l’un des deux, il est sûr que la rencontre serait fatale.

Les deux adversaires s’étaient battus souvent. Sans en faire une habitude quotidienne, chacun connaissait bien les armes. Chacun comptait des douzaines de duels ou de joutes, tant à l'épée qu’à la lance.

Le Duc de Fillon de Copé eut le temps de tirer une seule fois avec son arbalète. Le carreau se ficha dans l’écu qu’il fendit. Aymeris le laissa choir, objet désormais inutile. Le Duc resta en place. Le Comte déboula sur lui, comme un sanglier de Cimmérie. Les deux chevaux se heurtèrent si fort, que le choc déforma les bardes*. Les montures se cabrèrent tant qu’elles désarçonnèrent leurs cavaliers, avant, elles-même, de plier et rouler dans un nuage de poussière.

Les chevaliers, tous deux à terre, se relevèrent promptement. Dans sa chute, Aymeris avait perdu son épée, mais il lui restait encore à la ceinture son long fouet et sa miséricorde*. Sans colère, Il se battrait avec, froidement. Le Comte connaissait le caractère de son ennemi, il savait que parmi ceux qui vont sur le terrain, il y a les violents qui s’emportent, le Duc De Fillon de Copé, était essentiellement de ceux-là : courageux, téméraire, c’était un homme de premier jet, et l'attente lui était mauvaise. Il palliait son manque de finesse par la rudesse de ses coups. Pour Aymeris, il en allait différemment, d’un naturel plutôt gai, les duels l'amusaient et il avouait que cette lutte, poitrine contre poitrine, lui donnait des joies incomparables. Cependant, en ce jour-là, il n’était qu’une boule de haine, ivre de vengeance. Son sang cimmérien n’y était pas pour rien. Tandis que le Duc moulinait sans cesse, le chargeant à fond, Aymeris, sans difficulté, rompait toujours. Il eut la vague impression de rejouer son combat contre Samaël, ou plutôt le brouillon de ce duel. Et, son adversaire, quoique fort au demeurant, n’était ni de taille ni d’estoc. Pourtant, il persévérait, incontinent des coups rués dans le vide. Il se couvrait le visage, de sorte que, pensait-t-il, le Comte ne lui pouvait porter les dommages d’une lanière d’un cuir coupant comme un rasoir. Aymeris s'avisa d'une finesse : lorsque le Duc De Fillon de Copé leva le bras pour porter un coup, Aymeris recula rapidement, assez pour donner de l’élan et de la force à sa lanière. Le Duc tint la taille en l'air, sans avoir le temps de jeter son coup. Alors le Comte, en homme assuré, fit claquer son fouet qui s’enroula au poignet du Duc. Se faisant désarmer, Fillon de Copé au loin jeta son écu, et s’en courut saisir au corps Aymeris, qui l’attendait et lâcha son fouet. Ils se prirent ainsi comme par une manière de lutte. Dans ce pugilat cliquetant de leurs armures, ils se promenèrent si bien, qu’ils tombèrent genoux en terre, l'un près de l'autre. Tous deux, libres de leurs mains, saisirent leur dague. Le Comte, à un moment donné, ennuyé de rompre, plus diligent et brutal, prit finalement l’avantage et désarma le Duc. Puis, d’un violent coup de pommeau, il fit voler son heaume, tout près de l’estourbir. Alors, Aymeris se prépara à lui donner un si merveilleux coup d'estoc dedans la gorge que la miséricorde, sans la bonté du gorgerin d’acier, serait entrée dans son cou de trois bons pouces. Tout de même, la lame s’y coinça et il ne la pouvait retirer sans la casser. Ainsi, mettant deux doigts dans les naseaux de son ennemi, il lui cria :

  • Rendez-vous, Seigneur Duc, ou vous êtes mort ! Votre conscience devrait vous tourmenter d'avoir tant de torts ! Si elle ne vous permet pas de les réparer, lâche, vous ne méritez pas d’être Chevalier, cria-t-il, vous êtes un objet trop indigne pour que je souille ma lame. J’ai tout juste de la pitié pour un être si abject, vous avez cessé d’exciter ma colère. Ce n’est pas moi qui prendrai votre vie, je me contenterai de vous livrer aux Samaëliens. Je veux défendre mon honneur et celui de notre armée."

Ce faisant, il ramassa son épée, la planta devant lui, en reconnaissant la grâce que Messi lui avait faite. Il se mit à genoux, le remerciant très-humblement, puis baisa la terre.

Le Duc, humilié ô combien, réussit à décoincer la miséricorde, il s’en saisit, et empli de cette rage qu’ont les perdants, il se précipita sur Aymeris en prière. Mais celui-ci, dans le miroir de sa lame, vit le méchant. Pour lui, sa supériorité dans la plupart de ses duels venait surtout de son inaltérable sang-froid. Il s'y montrait absolument maître de lui-même, et trouvait même moyen d'y décupler ses forces, au lieu de les voir diminuer par l'émotion. Il n’eut aucun mal à parer et son épée entra un peu au-dessous du sein droit, mais, un de ces hasards voulut qu’aucun organe essentiel à la vie ne fût touché.

En tombant à genoux, le Duc ne put s'empêcher de dire :

  • Vous tirez bien !
  • Pas mal, comme vous voyez, mais ce coup-ci... point de grâce !

Il retira son épée, le sang gicla, puis il se plaça devant lui, et à deux mains et grande force, il la lui enfonça dans la nuque. Elle ressortit par la gorge. Le coup fut si fort que le Duc resta inerte, épinglé à genoux, comme un papillon.

***

  • Mon ami Thibault, je m’endormirai bientôt d’un sommeil si profond que le vacarme des armes ne pourrait me réveiller.
  • Pourquoi me faites-vous entendre de si funèbres paroles ?
  • Regardez mes humeurs, le vilain frère que voilà m’a tué. Elle lui désigna l’inquisi­teur attaché à un des mats de la tente. Il m’a empoisonnée avec des hosties consacrées.

Elle commença son oraison, qu’elle interrompit prise d’une violente quinte de toux, une écume blanchâtre déjà coulait à la commissure de ses lèvres, son vi­sage était couvert d’une sueur froide.

  • Donnez-moi à boire et soulevez-moi pour m’aider à respirer.

Thibaut soutint la moribonde entre ses bras, et reçut sa tête languis­sante sur sa poitrine.

  • Mon père, j’aurais dû écouter Aymeris. Je me meurs de mes fautes. Mais qui pensera à mon âme dans ce désert étranger ? Qui priera pour moi ? Comment réparer ? j’ai fait tant de mal. Dites au Comte Aymeris que je le délivre de son serment.
  • Sur ma foi, je suis certain que le Comte Aymeris, fera en sorte que notre armée rentre au royaume. Et si à Dieu ne plaise qu’ici vous mourriez… vous aurez un tombeau digne d’une reine. Je vous absous.
  • Faites au mieux, mon Père.

Elle sombra dans une torpeur qui semblait la figer. Ce n’était pas encore la mort, mais cela y ressemblait.

Aymeris, qui était rentré de son duel, se retourna vers Thibaut.

  • Frère, tu es témoin de la félonie de Nicohélas Sacrésis, toi dont la parole vaut tout l’or du trésor, fais en sorte de retrouver la Papesse Salamandra. Mais pour moi c’est trop tard, rien de bon ne m’attend.
  • Oui frère, mais, devant l’ost, il convient que cet inquisiteur chante sa chanson et que ton honneur te soit rendu.

Sur cet entrefaite, une estafette entra sous la grande tente.

  • Mes Seigneurs, un messager des Samaëliens vous fait dire qu’ils ne comptent pas en rester là. Ils sont rangés en bataille et marchent sur nous. Leurs étendards sont si nombreux que c’est une forêt qui s’avance.
  • Et nos navires ?
  • Ils ont trop à faire. Une flottille de galères de combats a franchi le cap et cingle vers nous. Elle arbore le pavillon Samaëlien.

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La barde* : est l'ensemble des différentes pièces d'armure destinées à protéger un cheval sur un champ de bataille.

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