« Aide-moi. J’ai peur. »

Cinq mots. Le 5 novembre. C’est la première fois qu’il reçoit un message aussi court et inquiétant d’elle.

Cela fait des années qu’ils s’écrivent. Ils ont échangé des milliers de mails. Une rencontre sur un forum, des messages banals d’abord, qui dérivent en un jeu érotique de photos et de défis. Une complicité qui grandit de jour en jour, jusqu’à faire naitre des sentiments. Troublant, perturbant, ce qui se passait entre eux ne cessait de les questionner. Mariés chacun de leur côté, heureux, fidèles, ils se retrouvaient dans une situation plus qu’ambigüe. Comme des centaines de gens sur internet, leur relation presque innocente du départ devenait forte, trop forte. Les sentiments ne devaient pas être exprimés. Tout garder pour soi, et même refouler ce qui se passait au plus profond d’eux-mêmes…jusqu’au jour où cela devint trop difficile. Des sous-entendus, une ponctuation qui laisse en suspens une phrase, des mots bien choisis, et ils basculèrent, franchirent la limite dont ils avaient tant parlé.

Ils ont vécu une histoire d’amour hors norme. Elle, fraiche, fragile, intimidée. Lui, puissant, rassurant, romantique. Des mois durant, leurs échanges ont été la seule chose qui comptait pour eux. Ils se précipitaient sur leur téléphone ou leur ordinateur, et discutaient des journées entières, de tout, de rien, d’amour. Les messages s’enchainaient à une vitesse folle. Alors qu’ils étaient sur leur lieu de travail, chez eux, en vacances, ils ne se quittaient jamais.

Et puis le moment des rencontres réelles est arrivé. Ils ne pouvaient plus gérer la frustration, le manque de contact, l’envie grandissante et insoutenable l’un de l’autre. Trois fois, ils se sont vus. Et chacune a été un immense et intense bonheur, mêlant habilement sexe et sentiments, tendresse et érotisme. Leur histoire était parfaite.

Jusqu’au jour où, il y a quelques semaines, ce trop plein d’amour finit par déborder, où la culpabilité s’est mêlée à tout ça, et où leur relation redevint plus amicale. Ils avaient essayé de stopper leurs échanges, mais c’était impossible. Les sentiments avaient changé, mais il persistait un attachement, quelque chose de rare et de difficilement explicable. Comme dans beaucoup de relation virtuelle, les émotions étaient amplifiées, par la distance, la frustration. Et si le rythme des échanges avaient fortement diminué, il n’en restait pas moins régulier.
La teneur des messages avait aussi changé, mais la tendresse, parfois un soupçon d’amour encore, refaisaient surface de temps en temps. Ils parlaient littérature, écriture, cinéma. Il pouvait se passer des jours sans qu’ils s’écrivent. Et puis des jours sans qu’ils ne se lâchent.

Mais cette fois, ce message…qu’a-t-elle voulu dire ?

Il lui a répondu bien sûr, et cela fait maintenant six jours. Six jours qu’il passe son temps à se demander ce qu’elle a. Elle a peur ? mais de quoi ? de qui ? Qu’il l’aide ? comment ? Ils vivent à des centaines de kilomètres l’un de l’autre. Cette incompréhension commence à le rendre fou. Il passe en revue les raisons qui auraient pu la pousser à écrire ce message.