3 - LUI
Grégoire est un homme de 50 ans qui bénéficie de l’avantage du temps qui n’a pas d’emprise sur lui. Il est bel homme, sans être sûr de lui. Il est intelligent, sans jamais trop en faire. Il sait avoir de l’humour sans être lourd.
Sa petite vie tranquille a été bouleversée au fil de ses discussions avec Fanny. Elle occupait énormément ses pensées, et parfois, il se méprisait à penser à elle alors qu’il était chez lui, avec sa femme. Un mariage de vingt ans, sans encombre si ce n’est les aléas de la vie à deux que tout couple traverse. Il avait lutté, longtemps, contre ce qu’il sentait arriver, contre cet amour qui grandissait dans son cœur. Et puis il a abandonné tout combat, au fur et à mesure que Fanny dévoilait son corps à travers les photos, et son âme à travers les messages.
Il s’est habitué à masquer certaines de ses émotions, à les déguiser quand il était trop joyeux alors qu’il n’avait pas de raison de l’être, si ce n’est qu’il avait passé deux heures au téléphone avec sa belle dans la journée. Ou à feindre un moment pénible au travail, alors qu’il n’avait pas eu de nouvelles pendant quelques jours.
Mais cette fois, cette interrogation et l’angoisse qui montaient en lui, c’était différent. Il était crispé, prenait des risques en se connectant sur sa boite mail pour vérifier encore et encore s’il avait enfin reçu une réponse de Fanny. Chez lui. Avec Sabine qui continuait de mener leur vie, paisible, qui lui parlait de son bureau, ses collègues, alors que lui n’attendait que d’être seul pour pouvoir tenter de résoudre l’énigme du dernier message de son amie, amante, aimante.
Ils ne parvenaient plus à définir qui ils étaient l’un pour l’autre, mais cela leur importait. Etre là, sans mettre de mots sur cette relation interdite et pourtant chaste et sage.
Il est 2 heures. Grégoire ne dort pas. Dans quelques heures, cela fera une semaine. Sa femme respire lentement près de lui. La maison est silencieuse. Pourquoi ? Pourquoi ce message ? Cette question l’obsède. Il a eu souvent des insomnies à cause de Fanny, des envies d’elle, des rêves éveillés, mais celle-ci, il s’en serait bien passé.
Quand le réveil sonne, il agit avec de tels automatismes que sa femme se moque gentiment de lui. Un robot, un pantin, oui, c’est ce qu’il est depuis qu’il n’a plus de nouvelles de….non, il ne faut rien montrer. C’est simplement de la fatigue, du surmenage.
Dans sa voiture, une pression s’enlève de ses épaules. Il est seul et peut enfin soupirer, râler, froncer les sourcils sans risquer de provoquer une avalanche de questions, auxquelles il devrait répondre en inventant d’improbables mensonges.
Un feu rouge. Une connexion. Aucun nouveau message.
Ce n’est plus possible, il faut qu’il sache si elle va bien. Il connait son emploi du temps par cœur. Nous sommes jeudi. Elle doit travailler à 10h. Il ne peut pas appeler avant, on ne sait jamais, si elle est encore chez elle, pas seule. Hors de question de la mettre dans l’embarras, d’autant qu’elle a l’air d’y être déjà…
Quand Grégoire arrive à son travail, il court jusqu’à son bureau. S’asseoit, allume son PC et reste quelques secondes figé sur l’écran qui ne montre aucune petite enveloppe fermée. Toujours rien.
Il renvoie un message. On ne sait jamais.
« Tout va bien ? »
L’espoir d’une réponse qui arriverait dans l’heure lui ôterait le fait de devoir utiliser le numéro de téléphone. Si elle répond, elle sera furieuse. Peu importe, il préfère la savoir en colère que ne pas savoir du tout. Plus que 55 minutes à attendre. Il se lance dans ses dossiers, espérant faire défiler le temps.
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