Vive le Roi

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Ce n'est jamais assez bien.

Toujours mieux plier, mieux sourire, mieux encaisser. Les clients sont rois, disent-ils et ô, qu'ils le sont! La roue doit tourner. Plus vite. Plus vite. Les caissons sont à remplir, les clients à satisfaire.

Savez-vous à quoi ressemblent les coulisses d'une marque en déclin ? Nous sommes ses machines. Des collaborateurs transformés en robots. Toujours mieux vendre, mieux prétendre, encore et encore. Et, dit-elle, vous devez vivre, respirer, rêver pour nous et de nous. Taisez vos plaintes. Refoulez vos exaspérations : le client est roi, qu’il vous traite de putain ou pas (oui, oui!).

Nombreux à venir. Nombreux à repartir.

Certains, piégés par le manque de billets, s’obligent à suffoquer derrière les portes de cette prison rouillée.

Comme les temps ont changé, racontent-ils. Par quel miracle parvient-on à se complaire dans les couloirs de ce palais de ronces, sans relâcher un peu plus chaque jours, l’emprise sur les rênes de nos vies respectives ?

Par quel miracle, demandez-vous ? Je n’ai rien demandé car je connais le secret. Tout n’est qu’une question de porte-monnaie.

Je le jure sur la vie des Rothschild, des Gates et des Dangote. Tout est une question de porte-monnaie, de billets verts et de chèques signés.

Le client est roi. Il ne te regarde pas. Cesse d’attendre les bonjours. Après tout, un roi ne s’abaissera pas devant une simple esclave. Et pourtant, Roxelane

Sois polie et pardonne, que l’on t’interroge sur ta virginité ou que l'on s’indigne de ta couleur de peau. Est-ce le soleil qui m’a brûlée?

J'accepte, j'encaisse, tout ça pour des billets verts, et roses, et jaunes.

Car pour moi aussi, c’est la seule chose qui importe.

Et je la revois pleurer dans les cachots du palais car elle n’a pas le profil désiré. Et elle part et je demande, à quoi bon puisque tout est pour les billets ? A quoi bon puisque nos vies s’élèvent et se détruisent à cause de ces bouts de papier.

A quoi bon prendre le large, crier nos adieux et attendre une vie meilleure si notre bateau s’échoue sur les rives d’un énième royaume?

Tout pour les billets, j’vous dis.

Sommes-nous heureux? Et d'ailleurs, qu’est-ce que la vie sans argent? Guerres et famine enterrés, pauvreté et inégalités dépouillées. Mais alors, qu’en serait-il de ces beaux palais et de ces rois? De ces serviteurs qui se brisent les reins et se cassent les côtes et s’effritent les mains.

Fermez les yeux et imaginez. Qui peut oser envisager un tel affront à notre monde ?

Majesté, ça pue. Ça pue le mort et la faim.

En quoi cela me concerne-t-il : l’argent n’a pas d’odeur.

Écoute, écoute le son des cloches, écoute le tintamarre et la harpe et le luth. Voici entrer le roi des rois. Et les rois, les catins, les esclaves se pressent dans la cour, s’allongent à plat ventre pour baiser bien fort les pieds dorés de Sa Majesté.

Qu’on apporte des empiffreries, des tuniques de couleurs et des étoiles brillantes. Qu’on chausse les pieds des rois, qu’on peigne leur visages et qu’on leur offre les clés de l’avenir. Qu’on vide leurs pensées, qu’on taise leur voix, qu’on masque leurs peurs et qu’on détruise leur foi. Vive Sa Majesté, scande-t-on depuis les palais.

Longue vie au Roi des rois.

Et on chante, on danse, on hurle de joie et d’orgasmes.

Et on s’échappe, on se rattrape et le Roi se nourrit de nos vies criblées de matérialisme et d’individualisme.

Vive le Roi.

Et on attend que la terre tremble et qu’elle s’effondre, que les cieux nous avalent et nous recrachent, que les serres des vautours percent nos chairs.

Vive le Roi.

Aimes-tu l’argent? Est-il-t-on maître? Es-tu prêt à sacrifier ton père, ta mère, ton sang pour quelques billets verts?

Non, certainement pas.

Oui.

Vive le Roi.

Ô, comme le monde a bien changé. Ou a-t-il toujours été le même? Je ne sais pas. Je ne sais plus. À cause d’une femme, raconte-on, et désormais on nous rabaisse dans la boue et chacun de nos gestes devient tabou.

Vive le roi, n’est-ce pas ?

Vive Sa Majesté.

Colère. Débauche. Bande d’abruties. Comme le monde a changé, disent-ils.

Je m’étouffe et je meurs et je pense à ce monde qui aurait pu être meilleur.

Sans Roi. Sans argent. Sans maux.

Vive le Roi.

Car je suis son humble serviteur.

Réveille-toi maintenant.

Les rois du palais t’attendent.

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