Chapitre 12

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Camille Brunet ruminait, allongée sur son transat blanc et bleu. Son maillot de bain n’avait visiblement eu aucun effet – ou bien Alix cachait ses impressions, professionnel. Oui, c’était cela. L’animateur, professionnel, ne pouvait pas se permettre de flirter ouvertement avec une résidente, qui plus est mineure. Parler avec les vieilles, il le pouvait, c’était juste être cordial avec les clients, comme disait Joséphine. Camille ne put cependant empêcher un pincement au ventre en pensant à la « cordialité » récurrente et appuyée d’Alix avec cette anglaise, là. D’ailleurs, la voilà qui se levait, prétentieuse et fière, dans son maillot blanc et doré, pas du tout adapté à son âge.

Camille lorgna du côté de Pauline Border qui rejoignait le groupe de zumba aquatique. L’animatrice, Chloé Jeunet, s’enthousiasma à l’approche de la nouvelle recrue, visiblement incrédule quant à ce revirement d’attitude. Camille, qui passait la majorité de son temps à la piscine, n’avait en effet jamais vu Pauline Border y participer. Chloé ouvrit les bras, poussa un cri joyeux comme un gloussement de dauphin et indiqua à Pauline un emplacement libre dans l’eau.

Chloé frappa dans ses mains, sautilla sur ses jambes massives puis appuya sur un des boutons de la grosse enceinte noire. Une nouvelle musique rythmée s’en échappa, couvrant tous les sons alentours. La demi-douzaine de femmes s’agita dans l’eau, calquant leurs mouvements sur ceux de Chloé.

Amère, Camille Brunet constatait qu’Alix ne quittait pas des yeux Pauline Border et ne les ramenait jamais vers elle, Camille, celle avec qui il avait pourtant le moins d’années d’écart. Elle commença à sentir les tentacules de la Pieuvre l’enserrer, la saisir et la tirer très loin dans les fonds sombres de l’abîme.

Elle voulut lutter, et essaya sincèrement, se remémorant les exercices de respiration indiqués par sa sophrologue, et que Joséphine refaisait avec elle, chaque soir, avant le coucher – vingt et heure trente, pas plus tard, dans la jolie chambre douillette qu’ils avaient pris soin d’aménager juste pour elle – une toute nouvelle pièce, que personne avant elle n’avait investie, une pièce rien que pour elle, pour cette nouvelle vie.

Cela avait été véritablement difficile pour elle les premiers temps, elle qui traînait jusqu’à plus de deux heures ; elle avait tant tourné dans ce lit trop grand, trop chaud, trop accueillant, qui incitait au sommeil paisible… Mais la Pieuvre empêchait sa respiration. Elle ne voulait pas que l’esprit de Camille s’apaise. Elle remuait ses tentacules, fouillait dans les entrailles de Camille, tentait d’en faire remonter la colère sourde, jusqu’à la faire exploser. Finalement, après plusieurs nuits dans cette chambre, Camille avait trouvé « un rythme », comme disait encore Joséphine, et ce rythme, en effet, vexait la Pieuvre, qui se retranchait et ramenait ses tentacules sous elle, défaite.

Aujourd’hui, tout était parfait. Camille avait entendu les oiseaux en se réveillant, le soleil l’avait réchauffée dès le petit déjeuner, il flottait dans l’air de cette journée un impression lénifiante. Les vacanciers partaient à la plage, ou pour une promenade à vélo, le long des sentiers ensablés, ombragés par des essences d’arbres inconnues à Camille. Paul, lui saurait lui nommer la nature qui l’entourait. Elle lui demanderait tout à l’heure.

Malgré cette atmosphère de vacances inédite pour elle, Camille luttait. Elle luttait doublement, car elle ne voulait pas que la Pieuvre gâche ce cocon protecteur. Néanmoins, les sentiments de Camille pour Alix semblaient prendre l’ascendant, sur l’été, le soleil, les vagues au loin, les feuillages paisibles, la nature éveillée et joyeuse. Alix devait l’aimer. Elle.

C’était elle qu’il devait regarder, pas cette vieille peau de toute façon mariée. Elle devait attirer son attention. Alors Camille plongea dans l’eau, côté nageurs, sans même sentir la fraîcheur de l’eau sur sa peau chauffée par le soleil, la colère et la frustration. Elle s’élança dans un crawl énergique, relevant la tête tous les trois temps mais se forçant à ne pas croiser le regard d’Alix. Elle repartirait pour la prochaine longueur en dos, et se cognerait délibérément la tête contre le mur, au 25e lancé de bras, contre 24 en temps normal.

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