Hypocrisie
La vie est une longue suite de déceptions. Surtout pour l’honnête homme qui n’a plus sa place dans le monde féminin actuel. C’est une évidence consternante.
Dans un petit Coffee Shop coquet, Lorenzo se chauffait les mains sur son gobelet hors de prix contenant… un thé ! Oui, Lorenzo n’aimait point le breuvage couleur de deuil qui tache les dents et donne des palpitations. Ne jamais faire ce qu’il est convenu, ne jamais être ce que l’on attend de vous… C’était la huitième règle de vie.
Une femme en tailleur, une taille trop juste, probablement qu’il lui allait il y a quelques années avant que la vie de couple ne lui laisse quelques kilos sur les hanches, se présenta, salua dans un souffle et s’assit sans plus de préambule.
— Lorenzo, je t’avais dit de ne plus m’appeler ! On ne s’est pas quitté en très bons termes… Tu veux quoi ?
— Bah… Juste te voir, avoir des nouvelles… Les amis, c’est ça, nan ?
— Des amis ? Vraiment ? Sérieux ?
— Ouais… La vérité !
— Mmmm…
Elle l’observait, faisant son possible pour rester le plus froide possible. Mais elle ressentait bien une envie de rire monter en elle avec ce type trop improbable.
Une serveuse, à la poitrine généreuse, s’approcha de la table :
— Le buveur de thé veut autre chose ? Un gâteau, peut-être, une douceur ?
— Hein ? fit-il, sursautant, fronçant un seul sourcil, sa spécialité.
— Une pâtisserie ? C’est un Coffee Shop, ici !
— Comme ça on parle aux pauvres ? Comme ça on parle aux clients ?! Appelez-moi le manager ! clama Lorenzo, haussant délibérément le ton pour être entendu dans la salle.
Un type demi-chauve, gringalet, maladif à force de tracas administratifs et fiscaux, un franchisé saigné à blanc quoi, se pointa.
— Un problème, monsieur ?
— La grognasse est insultante avec les pauvres ! C’est un pays socialiste ici ! On aime les pauvres, non ?
— Mais oui, mais oui ! Évidemment ! balbutia le pauvre manager.
— Tout ça parce que je bois un thé… Le café m’est interdit par le docteur… Il a dit « si tu bois un caoua, tu claques ». Je suis malade, moi !
Dans la salle on commençait à jaser, on prenait parti pour le pauvre malade. On avait pitié !
— Mélanie, je vous ai dit combien de fois d’être aimable avec les clients ! Combien de fois…
— Mais m’sieur Maurice… Ce type… C’est Lorenzo ! C’est un mytho ! Il ment ! Faut le voir courir… Une fusée ce mec ! Les flics peuvent pas le choper !
— Mélanie, présentez vos excuses !
— Mais… Je suis sûre qu’il a pas de quoi payer… ce… ce…
— Mélanie !
— Mes excuses, monsieur ! fit la serveuse, avec des éclairs dans les yeux.
— Portez un croissant au miel à monsieur. C’est offert par la maison.
— Peu de croissant et beaucoup de miel. C’est bon pour ma gorge, compléta Lorenzo.
La divorcée périmée, larguée par son mec, boudinée dans son tailleur, n’en perdait pas une.
— Lorenzo… Tu veux quoi ? Du fric ? Ma voiture ? C’est quoi ce plan encore ?
— Tu me prends pour qui ? fit Lorenzo, scandalisé.
Comment faire pour ne pas rire avec ce type. Il le fallait pourtant. C’était un salaud, un menteur, un voleur, un… Le pire du pire : aucune moralité, aucun respect pour aucune règle. Elle parvint à garder son sérieux.
— Tu fais quoi dans la vie en ce moment ? demanda-t-elle.
— Moi ?
— En effet… Tu vois qui d’autre ?
— Je suis intermittent. Un coup, je bosse… Un coup, je chôme.
— Je vois… Merci et au revoir, le looser !
La quadra se leva.
— Comme ça on fait avec les amis dans la dèche ?
— On n’est pas amis ! Tu m’en as trop fait Lorenzo ! Trop ? Je te hais !
— Moi ? Moi ? Comment c’est possible ?
Avant qu’elle ne puisse répondre, la serveuse intervint :
— Le croissant au miel de môssieur !
Un vilain croissant tout tordu flottait dans une mélasse… Une grimace se dessina sur le visage expressif de Lorenzo.
— Tu veux ma mort ? Tu veux que je fais un coma diabétique ? C’est ça ?
— C’est pas à ton goût ? Sale Français immigré clandestin !
Faut-il préciser que la scène se passait en Belgique ?
— Mais qu’est-ce que je t’ai fait à toi ? demanda Lorenzo.
— Pfff ! Fais pas semblant de pas savoir !
— Je ne reste pas une minute de plus dans cette auberge rouge ! Bzzz !
— Mais… Il se tire sans payer… Le… Le… Voleur ! Français voleur !
En quelques bonds Lorenzo avait disparu, laissant le tailleur boudiné, consternée, fusillée du regard par la serveuse. Elle soupira et sortit sa carte bancaire.
Elle était socialiste, écologiste, elle aimait les animaux et les vidéos de chatons tout cons, elle se faisait du souci pour la planète, pour les baleines… Enfin, en un mot comme en mille, elle avait la tête farcie de conneries.
— Madame, vous ne devriez pas traîner avec ce sale type, fit la serveuse tout en remettant le ticket.
— Écoute chérie, plus aucun vêtement ne me va, j’ai des vergetures, je suis seule avec un chat et j’ai… Merde ! Quand tu auras mon âge, tu comprendras !
Ce qui tue ce monde c’est l’hypocrisie. Partout c’est le même refrain, des bons sentiments affichés partout. Mais la réalité c’est que le monde n’aime pas les pauvres immigrés Français. Voilà !
Lorenzo attendit son « amie » et l’alpaga, arborant son fameux sourire.
— Tu veux que je te raconte un truc ouf ? fit-il.
— Tu sais pas où crécher ?
— Voilà.
— Mon lave-vaisselle est en panne.
— No problemo. Je savais bien qu’il y avait une opportunité pour moi… Un Lorenzo, c’est toujours utile…
— Ouais…
— Mais si, mais si… Et de toutes façons, je vais me refaire et tu sais quoi ??? Tu seras la première servie !
— Ben voyons.
— Juré, craché ! J’ai un plan…
— Oui, oui, je sais, tu vas conquérir le monde…
— Voilà ! Tu veux que je te raconte ? Alors...
Dans son tailleur trop juste, elle se mit à rêver…
Pour un rêveur comme Lorenzo, le monde ne suffit pas.
Bzzz !
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