Marques Méprisantes
Kassandra s'éveilla. Autour d'elle ses camarades du dortoir s'affairaient, bordant leurs lits, préparant leur sac, se recoiffant à l'aide des miroirs sur les murs et pour les plus avancées, enfilaient leurs robes d'uniformes. C'était le dernier jour de cours avant les vacances d'Hiver. Elle s'assit sur le côté de son lit, se frotta les yeux et observa son amie qui dormait paisiblement dans le lit à sa droite. Ses cheveux blonds étaient sales, ses habits jetés en boule au pied de son lit, maculés de poussière cuivrée. Une expression inquiète s'installa sur le visage de Kassandra. De toute évidence, Alice s'était encore promenée cette nuit, n'arrivant pas à dormir. Peut être qu'elle montait simplement sur le toit du Pavillon et qu'elle observait les étoiles, en pensant à sa sœur traquée qui devait se terrer quelque part ? Mais d'où pouvait donc venir cette poussière rougeâtre ? Elle était sûre de ne jamais avoir vu pareille couleur dans les Jardins.
C'est à ce moment là que Kassandra remarqua un détail, anodin au premier abord. La chemise de nuit d'Alice avait légèrement glissé, révélant son épaule. Son amie étouffa un cri. Creusées dans la chair de la petite blonde, d'étranges lignes sombres semblaient remonter de son bras, s'entremêlant sur son épaule. Les marques s'arrêtaient à la base de son cou.
- Coucou Kass ! Alors comme ça t'es pas encore levée ? l'interpella vivement une charmante métisse bien plus âgée qu'elle, aux cheveux noirs bouclés.
Sa robe d'uniforme bleu-pâle s'accordait à la perfection avec ses yeux. Un insigne doré représentant un cygne luisait sur sa poitrine.
- Oh si ne t'inquiète pas Clem...
Kassandra bailla à s'en détacher la mâchoire.
- Mais oui c'est ça, un peu d'aide ne te fera pas de mal !
Avant qu'elle puisse avoir le temps de protester, la Tutrice du dortoir la traîna sous la douche. L'eau était froide. Elle y retrouva Julie qui faisait la grimace, apparemment victime du même traitement.
Les cheveux encore mouillés, elles attrapèrent les robes que leur jeta Clémentine, puis se précipitèrent sur leurs effets personnels pour s'habiller.
- Allez dépêchez-vous ! Ce que vous êtes lentes les filles ! s'impatienta la Tutrice en s'adressant à toutes les occupantes de la pièce. Pour rappel les cours commencent dans cinq minutes, alors la course jusqu'au Palais n'est plus en option !
Il y eut des petits cris aigus et l'agitation déjà présente se mua en vacarme assourdissant. On se poussait devant les miroirs, criait sous la douche qui n'avait pas le temps de chauffer, les esprits s'échauffaient et les mots d'esprits pleuvaient. Les deux amies remarquèrent l'absence de Margot.
- Et puis vous direz à votre copine d'utiliser autre chose qu'un sortilège de Sommeil Profond si elle n'arrive pas à dormir, je n'ai pas le temps de la réveiller, dit Clémentine à l'attention de Kassandra et de Julie, en désignant le lit d'Alice de la tête, avant de sortir dans le couloir.
- Tu sais pourquoi elle dort pas ? demanda Julie en s'approchant du lit où Alice dormait toujours, insensible au tumulte ambiant.
- Non je sais pas...depuis quelques temps elle a l'air bizarre...répondit Kassandra de façon évasive, en remarquant que l'horrible blessure sur l'épaule de la petite blonde avait disparu.
Après tout je n'étais pas vraiment réveillée avant la douche, j'ai du rêver... songea Kassandra.
Un peu rassurée, elle tenta de peigner rapidement les cheveux flamboyants de son reflet dans l'un des miroirs de la pièce, attrapa son sac, sortit du dortoir et couru aussi vite qu'elle le put pour rattraper Julie qui se hâtait déjà sur le chemin du Palais.
Le vent fouetta les fenêtres de l'école pendant une bonne partie de la journée. Une, deux, trois puis une dizaine de gouttes vinrent humidifier sa tenue sombre. La pluie était quelque chose que l'on pouvait qualifier de rare au sein de l'Académie. L'orage qui se préparait l'était encore plus. Sans que l'on puisse vraiment l'expliquer, le domaine entier de l'école possédait une sorte de micro-climat : la plupart des végétaux gardaient leurs feuilles vertes tout au long de l'année et fleurissaient avec abondance au printemps. Les brèves averses qui survenaient quelques fois n'avaient aucun impact sur leur cycle de vie. La neige qui tombait profusément en Décembre et en Janvier ne perturbait pas non plus leur développement. En réalité, le département de Botanique de l'Académie gardait jalousement ce secret qui intriguait leurs confrères du monde entier.
- Hé Kass, t'es avec nous ?
Le capitaine des Serres Vengeresses, Thomas Rajden, avait réquisitionné le terrain de Quidditch pour une séance d'entraînement supplémentaire en fin de journée. Alice ne s'était pas montrée en cours. Kassandra était de plus en plus inquiète.
La balle passa à deux mètres devant elle. Trop tard. Elle avait raté la passe d'Hugo Hoffmann, son coéquipier des Serres Vengeresses.
- Putain Kass fais gaffe ! rugit ce dernier, avant de plonger et de récupérer le Souafle en plein vol.
- Désolé ! répondit-elle.
Les trois poursuiveurs repartirent à toute vitesse à l'autre bout du terrain, adoptant tour à tour diverses formations de vol. La balle rouge circulait entre eux de façon fluide, mais Kassandra peinait à se concentrer. L'image de l'épaule meurtrie de son amie s'imposait désormais dans sa tête.
Elle est peut-être à l'infirmerie, pensa t-elle.
En arrivant devant les anneaux dorés, la plus jeune titulaire de l'équipe arma le bras puis tira lamentablement, perturbée. Son tir manqua l'anneau de droite de cinq mètres.
- Kassandra ! cria Thomas, hors de lui.
L'intéressée se posa à côté de lui, toute penaude.
- Qu'est ce que tu fous aujourd'hui ? Tu n'as pas réussi un seul tir, sans parler de ta façon de voler !
- Je suis désolée, j'ai pas vraiment la tête à ça aujourd'hui...
- On a tous nos problèmes Kass, mais ce match est extrêmement important ! T'as conscience que si on perd, le haut du classement devient hors d'at...
L'attrapeuse de l'équipe, Lucie Leroy, le coupa dans sa tirade :
- Fous lui la paix Thomas ! Tu vois pas qu'elle ne va pas bien ? Oublie un peu ton match deux minutes et occupe toi du moral de tes joueurs ! Surtout avec ces connards de Lynx qui nous pourrissent la vie !
- Mais...
- Viens avec moi ma chérie, tu vas me raconter ce qui ne va pas.
Sur ces mots elle passa d'un geste protecteur un bras musclé autour de l'épaule de Kassandra, puis tourna les talons, entraînant cette dernière avec elle, sous le regard hébété de leurs coéquipiers.
- Bon alors qu'est ce qui se passe ma petite Kass ? C'est ces enfoirés de mauvais joueurs ? T'en peux plus ? demanda gentiment Lucie en s'asseyant sur le banc des vestiaires.
Kassandra, tendue, jouait avec une mèche de ses cheveux. Elle se sentait bien avec Lucie, mais elle n'était pas sûre qu'elle pouvait lui parler d'Alice.
- Oui...mais ça fait des semaines que ça dure...il y a autre chose...
- Tu peux tout me raconter tu sais, faut se serrer les coudes entre filles !
Kassandra ne pouvait pas parler de ce qu'elle avait cru voir sur l'épaule d'Alice. On la prendrai pour une folle, ou pire, elle attirerait des ennuis à son amie, et elle en avait bien assez comme ça. À la place Kassandra répondit simplement, en baissant les yeux :
- Mon amie Alice est bizarre en ce moment...
- Ah...et qu'est ce qui te fait dire ça ?
- Elle ne dort plus du tout...elle paraît complètement ailleurs...
Lucie parut très concernée.
- Ouh là oui c'est pas super ça...quelque chose doit la préoccuper...
- Oui...mais elle ne veut pas dire quoi !
- Il faut que tu parles avec elle, tu peux pas la laisser comme ça, c'est ta pote non ? dit Lucie en retirant son maillot, exposant son corps athlétique.
- Oui t'as raison, il faut que je trouve le bon moment juste...
- Exactement ! s'écria la grande blonde en changeant de soutien-gorge.
Kassandra observa furtivement la poitrine de Lucie.
Je vais en avoir des comme ça ? se demanda t-elle en enfilant son propre uniforme.
- Et puis clairement ça te soulagera aussi, t'auras plus à t'inquiéter pour elle ! Faut que tu fasses ça ma belle ! conclut l'attrapeuse des Serres Vengeresses.
Sous les gouttes de pluie qui tombaient maintenant de manière continue, Lucie et sa protégée rentrèrent au Palais. Elles se séparèrent une fois à l'intérieur, Lucie incitant une énième fois Kassandra à parler à Alice, avant de s'éloigner vers l'escalier menant au sous-sol. Kassandra se rendit dans l'aile Est, et se retrouva juste derrière son professeur de Potions qui parlait avec l'une de ses collègues. Cette dernière paraissait très inquiète.
- Vous vous rendez compte ? Toute cette agitation...certains deviennent fous ! dit-elle.
- Bienvenue dans le monde moderne ma chère, où il suffit d'une étincelle pour enflammer toute une population...
- Mais que fait le Ministère ? Protéger les gens n'est donc pas la priorité ?
- Le problème c'est qu'ici c'est clairement le Ministère qui est visé. Cela reste entre nous, mais voyez vous j'ai un membre de ma famille au département de la Sécurité Intérieure. Et il m'expliquait qu'ils ne peuvent pas faire grand chose. D'une part car une importante mobilisation de moyens amène un grand risque pour le secret de notre monde, d'autre part car le sommet de la hiérarchie leur interdit formellement.
- Réellement ? Le Ministère ne fait rien pour empêcher cette « chasse aux terroristes » ? s'exclama la femme, profondément choquée.
- Je vous avoue qu'il y a très probablement des choses que l'on ne nous dit pas dans cette affaire, à commencer par cette soudaine activité des Aurors partout en Europe.
- Vous pensez alors...que les...les Aurors paricipent à la traque des Héritiers de Pinkstone ?
- Je ne me prononcerai pas ma chère, mais si c'est le cas, notre gouvernement aura à répondre de ses agissements devant la Confédération... conclut le professeur de Potions en ouvrant une porte.
Il fit signe à sa collègue de passer et aperçut Kassandra.
- Mademoiselle Rosales, vous ne devriez pas être en cours ? s'étonna t-il.
Brusquement arrachée à sa réflexion, Kassandra se rendit compte qu'elle s'était aventurée dans les locaux administratifs sans raison valable. À vrai dire l'explication qu'elle allait devoir avoir avec Alice avait occupé ses pensées depuis qu'elle avait quitté Lucie.
- Euh...je reviens d'un entraînement spécial...j'avais un parchemin à rapporter... bredouilla t-elle rapidement en rougissant avant de tourner les talons, marchant le plus vite possible sur le damier au sol.
Elle ne ralentit qu'une fois arrivée dans le couloir des vestiaires de danse. Elle s'appuya contre un mur et attendit que la cloche sonne. Enfin l'une des portes s'ouvrit. Kassandra allait se précipiter à l'entrée du vestiaire lorsqu'elle s'aperçut que les filles qui sortaient de ce dernier n'étaient pas de son âge. Sara lui dit bonjour en passant à côté d'elle.
- Tu diras à ma sœur que les épreuves de sélection des Beaux-Arts vont bientôt commencer, c'est Camille qui me l'a dit ! lui dit-elle gaiement.
La jolie rousse acquiesça.
- Oh Sara tu vas raconter ou pas ? s'écria l'une de ses amies qui s'étaient arrêtées à l'entrée du couloir.
- Oui oui j'arrive ! À plus ! répondit la grande sœur de Julie en se précipitant en gloussant vers ces-dernières.
Kassandra observa avec intérêt les Sixièmes-Années qui sortaient du vestiaire. Elles jacassaient, certaines en triturant leurs cheveux avec leurs baguettes, d'autres en ajustant leur uniforme. Quelques minutes après que la dernière d'entre elles - élégante avec des petites lunettes et un ruban bleu dans les cheveux - se soit éclipsée, une autre porte s'ouvrit. Et cette fois c'était la bonne. Julie émergea du vestiaire, furibonde. Le haut de sa robe bleu-pâle était attaché n'importe comment. Kassandra insista pour arranger sa tenue, pendant que son amie lui narrait les raisons de sa colère.
- L'autre m'a donné un coup de canne dans les jambes ! Ça fait super mal ! Et je me suis pas laissée faire ! explosa t-elle.
- Si t'étais pas rentrée dans le jeu d'Emma aussi... intervint Margot.
Contrairement à Julie, son uniforme était impeccablement enfilé et ses longs cheveux blonds rassemblés en une natte parfaite. Le même blond qu'Alice. Cela ne rassura pas Kassandra qui enfila son sac sur ses épaules et s'exclama :
- Il faut qu'on trouve Alice, j'en ai marre, je veux savoir ce qu'elle a !
- Où tu veux qu'elle soit ? On est allées à l'Infirmerie ce midi, elle n'y était pas ! répondit Margot.
- Pareil au Pavillon ! dit Julie qui en avait complètement oubliée sa fureur, même s'il en restait des traces sur son visage.
- On a forcément oublié un endroit...elle a pas pu s'envoler enfin ! se concentra Kassandra en se grattant la tête.
Margot se frappa le front.
- Je sais où elle est ! On aurait dû aller tout de suite là-bas ! s'écria t-elle en s'élançant au pas de course.
- Mais tu vas où ? lui cria Kassandra avant de la suivre.
- Tu vas comprendre ! lui répondit son amie en grimpant un escalier à toute vitesse.
- Et c'est reparti...elle s'est pas assez dépensée à la danse celle là ? grogna Julie en se mettant à son tour à courir.
Lorsqu'elles débouchèrent dans la Rotonde, Kassandra comprit. Elle était déjà venue chercher son amie il y a quelques mois ici. Tout était plus simple à ce moment là. Il n'y avait pas toutes ces choses qui s'amassaient en même temps. Elle empruntèrent le couloir majestueux qui se terminait par les deux grandes portes perle-noires de la Bibliothèque.
- Bon maintenant elle est où ? haleta Julie en tentant de voir à travers les titanesques étagères de bois.
- On peut demander aux bibliothécaires, proposa Kassandra en montrant de la tête le bureau massif de ces derniers, qui se trouvait face à l'entrée.
Mais ces derniers ne leur apportèrent aucune réponse. En voyant la taille et la configuration de l'endroit, il devenait logique qu'ils étaient incapables de repérer distinctement chaque élève qui entrait et sortait de la Bibliothèque, encore moins tenir un trombinoscope précis de ces derniers. Julie soupira.
- On aura deux mots à lui dire à celle-là quand on va la trouver... grommela t-elle.
Kassandra se rapprocha de l'entrée d'une allée, tentant de discerner quelque chose à travers ce labyrinthe de connaissances.
- Excusez-moi ? demanda une petit voix qui la fit sursauter.
Julie et Margot la rejoignirent. La voix se révéla être celle d'un petit tableau accroché sur un mur adjacent. Il s'agissait de la représentation d'une pièce, ou du moins le peu que l'on voyait d'elle, celle-ci étant presque remplie du sol au plafond de livres. Un petit homme avec une grande barbe argentée et des lunettes en demi-lune leur faisait signe, assis à un bureau.
- Euh oui ? répondit Kassandra, surprise.
- Vous m'excuserez, mais je n'ai pu m'empêcher d'entendre votre échange avec les archivistes... Et il se trouve que j'ai vu une jeune personne qui semble parfaitement correspondre à votre description tout à l'heure... continua le petit homme.
- Vraiment ? s'exclama Margot.
- Où ? s'écria Julie.
- Attendez ! Est-ce qu'elle avait des boucles d'oreilles dorées avec du diamant ? le questionna Kassandra, prudente.
En effet, certains tableaux s'amusaient pour se distraire à faire tourner en bourrique les élèves, afin de briser la monotonie de leur existence d'oeuvre d'art. Le sujet de cette peinture réfléchit quelques instants en se grattant la barbe, puis affirma :
- Oui définitivement ! Il y a longtemps que je n'avais pas été captivé par un tel éclat...
- Et donc vous l'avez vu où ? s'impatienta Julie.
Le petit homme sembla subitement retomber les pieds sur terre et s'excusa :
- Oh oui...mes excuses charmantes demoiselles...j'oubliais le principal ! C'était dans la section F4...on y trouve tout ce qu'il faut savoir sur la Médecine Magique...je cherchais quelque chose sur un cas étrange d'éclabouille...d'autant plus que je n'étais pas complètement convaincu par cette histoire de crapaud et de plongeon à la pleine lune dans un tonneau de yeux d'anguilles...j'ai donc emprunté l'allée A38...
Mais les trois amies ne restèrent pas jusqu'à la fin. C'est tout juste si elles remercièrent le tableau avant de s'élancer dans la dite allée. Quelques indications supplémentaires leur permirent d'atteindre la section réservée au savoir médical. Arpentant les différents rayons de cette dernière, elles parvinrent à trouver Alice, assise à une table. On ne voyait plus le bois de cette dernière à cause du nombre d'ouvrages qui la recouvraient. La petite blonde rabaissa furtivement la manche de sa robe d'uniforme qui était retroussée. Son visage était agacé.
- Eh bien la voilà la feignasse ! s'écria Julie en posant ses deux mains à plat sur la table.
- On peut savoir ce que tu fabriques ? l'interrogea Kassandra, les lèvres pincées.
- On t'as cherchée partout ! expliqua Margot.
- Oui j'ai un peu trop dormi... lâcha Alice en scannant une page de l'un des nombreux livres ouverts qui se tenaient devant elle.
- Arrête ça enfin, et dis nous plutôt ce qui ne va pas ! s'énerva Kassandra.
- On est pas débiles hein, c'est pas dur de voir que tu ne dors plus en ce moment, et que tu vas te balader dehors ! renchérit Julie.
- Tes vêtements sont plein de poussière, et t'as vu tes cheveux ? ajouta Margot en approchant une main de la chevelure sale de son amie.
Celle-ci la repoussa d'un geste et consentit enfin à lever les yeux de son livre.
- Ça vous regarde pas...
- Tu rigoles ? On a le droit de savoir ce qu'il ne va pas, pourquoi tu n'arrives plus à dormir, on est tes amies ! tempêta Kassandra.
- Vous ne pouvez pas comprendre...c'est quelque chose...que je dois faire...
- Faire quoi ? demanda Julie.
- Et pour qui ? s'écria Margot.
Alice se leva soudainement. Malgré sa petite taille, il émanait d'elle une impression caractéristique. Une impression que quelque chose grondait en elle. Les traits de son visage se durcirent.
- Je ne sais pas ce que vous attendiez, mais ce qui est sûr ce que tout cela vous dépasse les filles...alors lâchez-moi...j'ai vraiment besoin d'être seule ! Partez ! Partez !
Elle hurla les derniers mots. Ses yeux s'étaient embrasés. Julie ouvrit grand la bouche, les yeux écarquillés.
- Non mais je rêve...tu te prends pour qui merde...
Son visage exprimait du dégoût comme si Alice était brusquement devenue quelque chose de très repoussant, comparable à un Scroutt à pétard. Elle retira lentement ses mains de la table et se détourna. Sa queue-de-cheval tressaillit lorsque qu'elle commença à s'éloigner mollement. Ses jambes vacillaient à chacun de ses pas, trahissant le trop plein d'émotions qui avait envahi son esprit. Kassandra garda ses yeux plongés dans ceux de son amie pendant quelques instants, puis ses lèvres se tordirent dans une moue distinctive. Les lignes de son visage se voûtèrent comme si elle était prête à pleurer. Mais aucune larme ne coula.
- Viens Kass, t'as entendu...mademoiselle veut qu'on la lâche, alors c'est ce qu'on va faire hein, on va la lâcher... lui dit Margot, l'incompréhension envahissant chacun de ses traits comme si elle avait elle même beaucoup de mal à croire à ce qu'il se passait.
Comme l'intéressée ne bougeait toujours pas, Margot entrepris de la prendre par les épaules et de la tirer gentiment en arrière. Kassandra n'opposa aucune résistance mais ne détourna pas pour autant son regard. La scène aurait pu être comique si une telle intensité ne transparaissait pas autant dans l'émeraude de ses yeux. Alice se sentit faiblir au moment où ses amies allaient disparaître au coin d'une étagère. Lorsque que l'éclat des yeux qui la transperçait comme des poignards s'évanouit, elle se prit la tête dans les paumes de ses mains. Son regard plongea dans l'obscurité de sa peau métamorphosée.
Ce n'était pas elle. Comment avait-elle pu infliger cela à ses amies ? Pendant un bref instant, elle fut submergée par un torrent d'émotions qui ne demandait qu'à s'échapper des limbes de son esprit tourmenté. Puis tout disparut d'un seul coup. Elle ne voyait plus que le chemin incertain conduisant à son objectif. Ses bras l'élancèrent. Dehors, il faisait nuit noire. Alice releva pour une énième fois ses manches et observa les entailles continues qui accaparaient sa peau. Elle se rassit à la table et compara ses blessures avec un croquis.
De l'essence de dictame...où j'ai déjà vu ça déjà...hum ici ça devrait pas être trop compliqué à obtenir... se dit-elle en reprenant sa lecture.
Alice passa la première semaine des vacances à fuir tout regard, passant ses journées à examiner le fruit de sa dernière et terriblement éprouvante escapade, tentant de percer les secrets de ce langage inconnu. Une lettre de la Direction qu'elle reçut un matin n'améliora pas son humeur. Le dimanche suivant, elle traîna des pieds jusqu'au dernier étage de l'aile Administrative du Palais.
- La discipline est la raison de la victoire des armées, du génie des hommes et de la réussite de toute société civilisée.
Le siège était confortable. Le sol aussi reluisant que les murs. Les cheveux de l'élève en faute n'auraient rien eu à envier au plafond s'ils n'étaient pas maculés de poussière.
- Votre comportement est inacceptable. Vous êtes dans une école réputée mademoiselle Jauns, et non dans un marché de la connaissance où vous choisissez ce qui vous plaît. Les rouages de l'Académie de Magie de Beauxbâtons sont parfaitement huilés pour former les Sorciers et Sorcières parmi les plus illustres au monde. Cette mécanique d'horloger implique des cours portant sur les matières essentielles composant le savoir magique, accumulé depuis des millénaires. Mais elle requiert surtout des horaires précises que chacun doit respecter et honorer chaque jour de l'année scolaire. Se lever tous les matins comme ses camarades en est une pièce maîtresse.
Alice fixait le sol.
- Je...je n'arrive pas à dormir monsieur, dit-elle rapidement.
Le Directeur Adjoint fronça les sourcils.
- Je peux comprendre cela. Mais voyez-vous jeune fille, utiliser un sortilège de Sommeil Profond n'est pas commun lorsque l'on est victime d'insomnies, encore moins pour un élève de deuxième année.
Alice resta muette.
- Vous savez certainement qu'il s'agit là d'un sort particulièrement difficile à réaliser, les effets secondaires pouvant être désastreux, tel le risque par exemple que le sujet ne se réveille jamais. Mais je ne remets pas en cause vos aptitudes qui, comme nous le savons depuis votre première année ici, sont excellentes. C'est plutôt le fait de ne pas vous réveiller à l'heure et de ne pas vous en soucier plus que cela qui m'ennuie.
Elle tenta vainement de protester :
- Mais...
- Il existe une pléthore de moyens pour combattre les insomnies, mais certains sont bien plus efficaces que d'autres.
- J'ai essayé beaucoup de choses ! L'hypnose, les sortilèges de Fatigue, les philtres Somnolents... et même les médicaments moldus ! s'écria la petite blonde.
- Il y a bien quelques breuvages puissants...mais strictement réservés aux cas extrêmes. Avec un mot signé de ma main cependant, vous pourrez y avoir accès à l'Infirmerie.
Alice ne croyait pas s'en sortir à si bon compte.
- Ne vous méprenez pas mademoiselle, l'insomnie doit être traitée à la source, c'est à dire comprendre ce qui la déclenche. Avez vous des problèmes psychologiques ?
Alice ne savait pas ce qu'elle devait répondre. Elle savait juste qu'il fallait qu'elle oriente la Direction sur une piste quelconque. Et la compassion serait son arme. Comme l'élève ne répondait pas, le Directeur Adjoint insista :
- Peut-être des problèmes familiaux ?
Quelque chose s'alluma dans l'esprit de la jeune fille. C'était évident. Elle tenait son alibi.
- Ma sœur... commença t-elle en baissant les yeux, se falsifiant un air triste.
- Bien, je vais vous faire voir un psychologue s'il s'agit de ça.
- Non...je vais vous le dire...pas besoin ! Ma sœur est pourchassée...c'est une... dit-elle dans un souffle.
- Stop ! s'écria le Directeur Adjoint. Je ne dois pas savoir. Mais je ne peux ignorer les troubles qui agitent actuellement notre société. Vous n'êtes pas la seule dans votre cas. Nous recevons tous les jours des lettres de parents qui nous demandent de nous assurer que « l'école est bien à l'abri de ces dangereux terroristes » . Sans parler du Ministère qui a insisté pour renforcer drastiquement les défenses du domaine...
Il marqua une pause, perdu dans un semblant de contemplation des Jardins de l'Académie à travers l'imposante fenêtre de la pièce. Alice déglutit avec difficulté. Ce qu'elle redoutait s'était produit. Toute cette affaire de terrorisme qui lui rendait bien service venait également de se retourner contre elle. Le responsable reprit, en fronçant de nouveau les sourcils :
- Mais revenons en donc à votre cas mademoiselle. Vous n'avez pas parlé de vos problèmes à qui que ce soit dans cette école. Les Tuteurs, les Surveillants et, peut-être dans une moindre mesure, les Professeurs, sont ici pour vous aider. Tenter de régler vos problèmes de la sorte est extrêmement dangereux, en plus d'être une transgression manifeste au Règlement. Nous veillerons donc à vous faire suivre par un spécialiste des perturbations familiale. Comme c'est également la règle en cas de manquement à vos obligations, vous aurez une retenue.
Alice sortit du bureau, très contrariée. Comme si ce n'était pas déjà assez, on allait lui coller quelqu'un dans les pattes qui lui posera tout un tas de questions stupides auxquelles elle devra trouver une réponse.
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