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Incapable de résister à la pression exercée sur ses bras par les policiers qui l’empoignaient, Gaëlla hurla de toutes ses maigres forces, tandis qu’elle était entrainée jusqu’au fond d’un fourgon, qui démarra un instant plus tard.
Un affolement indescriptible entrainait la jeune fille dans une vicieuse boucle de panique. La boule d’angoisse dans son ventre semblait prendre plus de place que ses organes, et elle tremblait si fort qu’elle en voyait flou.
Malmenée par chaque cahot sur la route, elle se cogna à de nombreuses reprises aux parois rigides et glacées autour d’elle, jusqu’à en avoir des bleus sur tout le corps lorsque le fourgon s’arrêta.
Les portes s’ouvrirent violemment, et avant qu’elle n’ait eu le temps de protester, des hommes vêtus de noir du casque aux bottes la saisirent avec fermeté. Elle reconnut les policiers du Quartier de la Sécurité, les agents de l’unité anti-terroriste.
La lumière du jour disparut quelques instants plus tard quand on la mena de force dans un immense bâtiment impersonnel et humide, où les fenêtres étaient obscurcies par d’épais stores. Des couloirs gris et sordides se succédèrent. À chaque pas, Gaëlla craignait de défaillir, mais elle lutta contre ses émotions pour ne pas flancher.
Je ne peux pas finir dans un trou, je ne veux pas terminer ma vie au Quartier de la Sécurité ! se révolta-t-elle intérieurement. Tout le monde sait que les suspects qui y entrent n’en ressortent jamais, ça ne peut pas m’arriver… Pas toutes ces peines, tous ces efforts, pour ça, non !
Mais son éreintement physique tout autant que moral réduisaient ses espoirs combattifs au niveau le plus faible, et elle savait qu’elle n’oserait jamais se rebeller face à l’autorité dans un environnement où tout lui était hostile et inconnu.
Au bout d’une interminable série de couloirs ponctués de portes closes, un ordre fusa et les agents s’immobilisèrent devant une cellule. Les ultimes forces de Gaëlla s’évanouirent en même temps que les bruits de bottes sur le ciment froid.
Aucune allusion à une potentielle garde-à-vue. Direction la prison, sans passer par la case interrogatoire.
L’un des agents sortit un trousseau fourni et déverrouilla la porte, qui s’ouvrit dans le grincement le plus funeste que Gaëlla ait jamais entendu. Le bruit de sa vie broyée par une poignée de fer.
On la balança sans ménagement dans le cachot sombre et sale, et elle ne put s’empêcher de noter qu’il était deux fois plus petit que la cabane de Romickéo.
Refusant de céder au désespoir, la jeune fille se plaqua tant bien que mal contre la porte blindée et glissa ses mains dans l’entrebâillement pour tenter d’empêcher les policiers de l’enfermer. Elle s’époumona en frappant dans l’acier et lutta jusqu’à ce que l’un des agents lâche, glacial :
– Ça suffit, reculez au fond de la cellule ou on claque la porte sur vos doigts.
Gaëlla discerna autant de froideur dans son regard que dans son ton, et pressentit qu’il ne se répèterait pas. Elle lâcha prise à contrecœur, exténuée et au comble de la détresse.
– Mais qu’est-ce que vous me reprochez ? Qu’est-ce que j’ai fait, bordel ? s’écria-t-elle, au bord des larmes.
Le policier, qui refermait la porte en acier, interrompit son geste momentanément pour lui répondre, d’un ton dégoulinant de sarcasme :
– Pas mal, le coup de balancer ton petit copain terroriste, mais tu dois être sacrément idiote pour oublier d’effacer les documents confidentiels de vos conversations avant de venir le dénoncer.
Il esquissa un rictus malveillant, et claqua la porte au nez de Gaëlla. Cette dernière resta interdite quelques instants, soufflée par la cascade de malheurs qui lui tombaient dessus.
Le mail que je m’étais envoyé depuis la messagerie de Romickéo, pour avoir les preuves des crimes de l’Etat en ma possession… Comment j’ai pu me jeter dans la gueule du loup à ce point ? se lamenta-t-elle, dépassée par les événements.
Une vague d’émotions, charriant terreur, colère mêlée de chagrin, abattement et regrets, déferla sur son cœur tel un raz de marée dévastateur.
Cette fois il n’y avait pas d’issue. Elle n’allait finalement pas moisir dans la cabane de Romickéo, mais dans un cachot du Quartier de la Sécurité.
Tout ce qu’elle avait pu faire au cours de sa vie n’avait plus la moindre importance. Protester, réfuter les accusations, se justifier, n’étaient que de dérisoires pertes d’énergie et de temps en ces lieux. Son dossier était déjà classé, elle en avait conscience, avec les fichiers top-secrets dans sa messagerie, elle était considérée comme une terroriste, une dangereuse anarchiste.
Personne n’entendrait plus jamais parler d’elle.
Mon destin maudit semble scellé pour de bon, à présent…, se résigna-t-elle, les joues baignées de larmes.
Autour d’elle, l’obscurité avait envahi chaque recoin de la minuscule cellule, et le silence s’était fait.
Elle sut à cet instant qu’elle ne rentrerait jamais chez elle.
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