— Finalement je suis déçue, déclara Gaëlla lorsqu'elles ressortirent du bâtiment.

— Ils nous avaient dit à l'école, que ça ne méritait pas une sortie scolaire, répliqua Lasia. C'est juste l'un des avantages que nous procure le pass qu'ils nous ont distribués. Moi je suis plutôt contente d'être venue, même si c'est vrai qu'il n'y avait pas grand-chose à faire, ni à voir.

Elles marchèrent une dizaine de minutes avant de rejoindre leur arrêt.

— Notre bus passe dans douze minutes, annonça Gaëlla, en regardant le panneau digital d'affichage qui s'étalait sur toute la longueur de l'arrêt.

Elles s'assirent sur un banc, regardèrent la ville qui s'activait sous leurs yeux et dont l'agitation résonnait autour d'elles. Le quartier des grands carrés était derrière elles, les jeunes filles n'y étaient jamais allées auparavant, même si elles habitaient à seulement cinq minutes des lieux. Voisines depuis toujours, elles fréquentaient la même école et étaient de proches confidentes. Dans trois ans, elles se retrouveraient propulsées dans la vie d'adulte, elles quitteraient obligatoirement la bulle dans laquelle elles vivaient, celle de leurs parents éleveurs. Elles seraient alors relogées dans un nouveau quartier en fonction de ce qu'elles étaient disposées à faire, ou de ce que l'Etat leur imposerait. Selon leurs compétences respectives, elles pourraient poursuivre leurs études dans la branche de leur choix ou travailler directement, en trouvant parallèlement un mari ou une femme.

— Je ne savais pas qu'il y avait un restaurant, par ici, dit Lasia en désignant un bâtiment dans la rue d'en face.

— Moi non plus, ça doit être nouveau, supposa Gaëlla.

Leur lycée n'était qu'à quelques centaines de mètres, depuis l'arrêt de bus elles pouvaient le voir dépasser des autres bâtiments. En effet, leur établissement comptait quatre-vingt étages et dominait largement les autres immeubles du quartier, dont la moyenne était d'environ cinquante étages. La capitale, la pétalopole dans laquelle elles vivaient, s'étendait sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés et couvrait un quart de la surface du pays. Ailleurs en Frangleterre, d'autres mégalopoles se développaient encore depuis deux-cents ans. Seul un quart du pays était vierge de toute ville. Propriété de l'état, cet immense espace dénudé servait à cultiver les ressources agricoles ou à élever le bétail. La mer qui séparait les deux parties du pays était un point de pêche et d'exploitation maritime essentiel. Après la guerre survenue deux-cents ans plus tôt, le gouvernement avait mis en place d'urgence des démarches permettant de repeupler les océans et les campagnes, où la plupart des animaux avaient disparu.

**

— Je suis rentrée, annonça Gaëlla en poussant la porte d'entrée de la bulle, qui reconnut son empreinte digitale et s'ouvrit à son contact.

Seule son éleveuse, Jady Strage, était rentrée du travail. Son père adoptif, Orent Strage et son frère aîné d'adoption, Gullien, n'étaient pas au domicile. Sa mère dictait des notes dans la cuisine, que le système de la bulle intégrait.

— Je peux... commença Gaëlla en pointant du doigt un gâteau, que le four venait de concocter.

— Tais-toi, la rabroua son éleveuse d'un ton sec. Tu ne vois pas que je reconfigure ?

— Pardon, dit la jeune fille en sortant de la cuisine.

— Annulation, reprit sa mère d'adoption d'un ton irrité, un doigt posé contre un mur de la cuisine. Demain, pour seize heures, je veux que la table soit rangée. Oubli du repas de dix-neuf heures trente, remplacement : apéritif à dix-sept heures.

Gaëlla se demanda si ses parents éleveurs préparaient une fête. Elle n'en savait rien, ils ne lui parlaient jamais et ne communiquaient même pas entre eux. Si sa mère avait prévu quelque chose, c'était d'ailleurs sans doute seule. La jeune fille entendit la voix suave de la bulle tandis qu'elle s'éloignait pour rejoindre sa chambre :

— Entendu. Modifications sauvegardées. Contenu de l'apéritif ?

— Sandwichs aux algues, chips de criquets, pizzas aux orties pour huit personnes, sodas style kéfir et kombucha, amuse-bouches d'insectes...