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 Lorsque Gaëlla rejoignit sa bulle, ce soir-là, elle avait tout sauf l’esprit à plonger dans ses devoirs.

La pièce-à-vivre, qui regroupait la salle-à-manger, le salon et l’espace cuisine dans six mètres carrés, était en bazar, toutefois elle n’avait pas non plus la motivation de ranger la moindre chaussette. À droite de l’entrée, la petite salle-de-bain avait cruellement besoin d’un tour de ménage ; et au fond de la bulle, sa chambre en désordre n’était pas dans un état plus heureux, mais ce n’était pas la préoccupation qui ternissait l’humeur de Gaëlla en cet instant-là.

Elle se laissa choir sur son lit dans un soupir frustré, et alluma son EC pour reprendre le cours de sa série, déterminée à oublier cette journée démoralisante.

Elle n’avait pas le choix. Elle devait trouver un ou une partenaire de vie, et vite. Elle n’avait aucune piste, ni aucun espoir d’avoir le coup de foudre avant son dix-neuvième anniversaire, mais elle préférait de loin choisir elle-même son sort que de se le voir imposé, à vie.

Mais pour le moment, la jeune fille avait juste envie de se vider la tête et de ne pas penser aux responsabilités qui l’attendaient…

Malgré l’heure tardive, elle enchaina épisode sur épisode, jusqu’à temps que ses yeux se ferment tout seuls et que sa tête roule en arrière sur son oreiller.

Lorsque la douce sonnerie la tira du sommeil, au petit matin, il lui semblait n’avoir fermé l’œil que quelques minutes. Pourtant, bien qu’elle fût au fond de la mer, elle savait qu’il faisait déjà jour dehors, et qu’une nouvelle journée de cours l’attendait à l’Académie des Valeurs Citoyennes.

Comme elle ne pouvait plus faire confiance au système électronique de sa bulle, elle avait programmé son réveil sur son e-wrist, de manière à éviter la mauvaise surprise d’une nouvelle panne.

La fatigue liée au manque de sommeil la clouait au lit, mais elle ne tenait pas à empirer sa situation scolaire en manquant des cours essentiels. Une fois de plus, elle devait se lever. Une fois de plus, il fallait travailler.

Le souvenir du choc de la nouvelle loi lui revint en mémoire alors qu’elle se préparait un café aussi fort que possible. Son moral tomba d’un cran supplémentaire. Il n’y avait pas d’issue…

Pour couronner le tout, ce soir-là, elle enchainerait avec son service au Bitonio jusque tard dans la nuit, après l’école.

Génial, je m’éclate vraiment, dans la vie d’adulte…, songea-t-elle, les dents serrées. Et bientôt, je n’aurai même plus de liberté du tout, coincée entre un couple arrangé et un marmot qui ne m’appartient pas.

Même si elle avait envie de pleurer, de frapper les murs pour laisser éclater sa colère et son indignation, la résignation reprenait toujours le dessus, et sa raison lui rappelait que c’était ainsi, qu’elle n’y pouvait rien.

Après tout, même si ce schéma de vie la déprimait depuis toujours, elle avait grandi avec l’idée d’être répertoriée avec un partenaire peu après sa majorité et de devenir éleveuse, comme tout le monde. Elle avait beau avoir nourri un mince espoir que les choses évoluent différemment toute son adolescence, il n’en restait pas moins qu’elle était formatée pour accepter son sort, elle en était consciente.

Jamais elle n’avait rencontré qui que ce soit qui pensait de la même façon qu’elle ; dans son entourage les autres filles se contentaient de suivre le parcours tracé pour elles, et les garçons ne se posaient pas plus de questions. Personne mis à part elle ne semblait remettre en cause le système en place.

Et puis elle pensa aux manifestants, ainsi qu’aux étudiants qui se révoltaient contre la nouvelle mesure. Elle se rendit compte avec tristesse qu’elle n’était finalement pas la seule, à ne pas approuver l’ordre établi, mais qu’elle s’était toujours entourée de personnes qui adhéraient au système par défaut, sans réfléchir, même si ça ne leur plaisait pas.

Petit à petit, elle réalisait que ses amitiés étaient, à bien y réfléchir, assez superficielles. Les liens qu’elle entretenait avec ses proches étaient simples, sans profondeur ni réelle connexion émotionnelle.

Tandis qu’elle prenait conscience de cela, la jeune fille se dit que c’était sans doute pour cette raison qu’elle avait tant de mal à garder contact avec ses amis, à présent qu’ils étaient tous dispersés dans des coins différents du pays, loin de leur ancien mode de vie et de pensée préconçu.

En réalité, elle n’avait jamais tant compté pour eux, ni eux pour elle. Ils s’étaient accommodés les uns des autres au fil du temps depuis leur rencontre à l’école. Leur amitié n’était pas vraiment un choix mais plutôt une voie par défaut qu’ils avaient emprunté ensemble sans se poser de questions, parce que les circonstances les y menait naturellement.

À leurs côtés, je n’étais jamais tout à fait moi-même, réalisait-elle avec amertume, je ne me sentais pas comprise, je me forçais toujours à rire lorsqu’il le fallait…

Malgré son aigreur, elle avait toutefois espoir de commencer à diriger son attention ailleurs, sur des causes qui valaient à ses yeux, la peine qu’elle y consacre son temps.

Son avenir professionnel en faisait partie, et elle souhaitait très fort trouver une voie qui lui plairait, à l’issue de ses études. Même si elle ne se sentait pas à sa place à l’Académie des Valeurs, elle gardait bon espoir de pouvoir poursuivre un autre cursus par la suite, si elle parvenait à définir ce qu’elle aimerait faire.

Hélas, depuis petite, c’était le même vide qui creusait son cœur. Aucune vocation ne l’animait, nulle passion ne faisait briller ses prunelles lorsqu’elle évoquait ses activités. Ses amis de l’école intermédiaire s’étaient orientés avec aise au moment des vœux définitifs pour leur poursuite d’étude ; Dacy avait décidé de devenir infirmière, tandis que Tiano s’était engagé dans les forces de l’ordre sans un soupçon d’hésitation. Mais Gaëlla n’avait choisi l’Académie des Valeurs Citoyennes que par dépit, et se demandait à quoi ressemblerait sa vie si elle trouvait un sens à ses journées en étant portée par un véritable projet, elle aussi.

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