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 Trois ans plus tôt, comme des millions de personnes avant elle, Gaëlla avait découvert l'origine de son existence en se rendant au quartier des pouponnières, aussi surnommé celui des "Grands Carrés".

– C'est impressionnant... C'est gigantesque, s'extasia Dacy à côté d'elle, les yeux écarquillés devant l'immensité des bâtiments qui leur faisaient face. Et dire qu’on vient tous de là…

Gaëlla les apercevait de loin depuis la bulle de ses parents éleveurs, mais ne s'en était jamais autant approché. Devant son amie et elle, s'étalaient des rangées d’immenses gratte-ciels carrés, dont la largeur était tout aussi démesurée : ils devaient faire plus de trois kilomètres de long. Les constructions mastodontesques, principalement étalées en longueur, étaient toutes accompagnées d'un grand immeuble, dans lequel vivaient les mères porteuses.

– On visite celui-là ? proposa Dacy en s'approchant du carré le plus proche. De toute manière, c'est tous les mêmes...

– D'accord, allons-y. Mets ton pass en évidence, dit Gaëlla en dégageant de sa veste le badge qu'elle portait autour du cou, afin qu'il soit bien visible.

Ce dernier avait été distribué par leur école, pour leur permettre d'avoir accès aux pouponnières, l'endroit où ils avaient tous grandis durant les trois premiers mois de leur vie, avant d'être distribués à des couples éleveurs. Le gouvernement mettait ces visites en place afin que chacun puisse, à partir de quinze ans, comprendre et voir d'où il venait, retracer sa naissance.

Les deux jeunes filles se présentèrent à l'entrée du gros bâtiment carré, où des caméras scannèrent leur puce et le badge qu’elle portait au cou, avant qu'un bip ne retentisse. La porte devant elles s'ouvrit alors. Elles pénétrèrent dans un sas d'un blanc immaculé.

Une voix féminine et douce résonna à leurs oreilles tandis que la première porte se refermait derrière elles :

Analyse et désinfection dans cinq secondes. Restez immobile durant l'analyse. Fermez les yeux. 5, 4, 3, 2, 1.

Gaëlla et Dacy obéirent et gardèrent les yeux clos, tandis qu'un laser les balayait de haut en bas puis de bas en haut. Une vapeur très fine émergea des murs blancs et Gaëlla pinça les lèvres pour ne pas en recevoir dans la bouche. Elle savait d'expérience que ce désinfectant spécial était très désagréable au goût.

Analyse et désinfection effectuées. Veuillez enfiler les blouses et les surchaussures d'hygiène. Désinfectez-vous les mains.

Gaëlla et Dacy rouvrirent les yeux et suivirent les indications. Les jets de vapeur s'étaient arrêtés, à présent deux blouses blanches sortaient d'un mur latéral, ainsi que deux sachets transparents contenant les paires de surchaussures jetables. Devant elles, un carré blanc destiné à leur distribuer du gel hydroalcoolique bipa deux fois lorsqu'elles passèrent leurs mains dessous.

Fixez vos badges sur vos blouses. Prenez le formulaire. Validez vos informations personnelles. Passez une agréable journée.

Deux formulaires et deux badges ronds tombèrent dans un bac à leur gauche, elles s'en saisirent et se tournèrent vers un écran plat digital. Il affichait un document indiquant des informations sur l'identité de Dacy, dont son nom, son âge, son lieu de résidence, sa taille et ses caractéristiques physiques principales. Elle n’avait qu’à remplir la case de son numéro d'identification, pour confirmer qu'elle était bien la personne identifiée dans le formulaire.

Les informations de Gaëlla s'affichèrent ensuite, lorsque Dacy eut fini. La jeune fille entra à son tour son numéro puis valida en cochant une dernière case à la fin du document. Elle confirmait ainsi qu'elle était bien Gaëlla Strage, quinze ans, résidant à Parseille Ville, recensée à l’école intermédiaire du Varech, mesurant un mètre soixante-sept, ayant les yeux bleus et les cheveux châtains bouclés.

Tout était en ordre et elles avaient scrupuleusement suivi les instructions, alors la porte du sas s'ouvrit devant elles en coulissant vers la droite. Les deux amies pénétrèrent dans le grand hall qui s'ouvrait à elles. À l’image du sas qu'elles venaient de traverser, tout était d'une blancheur immaculée.

– Regardons le formulaire, dit Dacy en baissant les yeux sur le papier qu'on leur avait distribué.

Il indiquait le règlement à respecter et donnait une carte précise des lieux. Gaëlla fit de même et promena son regard sur tout le document. Un point rouge indiquait « Hall d'entrée » pour les aider à se repérer. Le bâtiment se divisait en nombreux étages qui étaient tous absolument identiques, eux-mêmes divisés en cellules carrées elles-mêmes divisées en rangées.

Gaëlla pointa du doigt des lignes sur la carte.

– La légende indique qu'il y a un parcours réservé aux visiteurs qui permet de passer au-dessus de toutes les cellules pour avoir une vue d'ensemble sur l'étage. Allons-y.

Le hall était vide, à l'exception d'un bureau blanc derrière lequel il n'y avait personne. Les deux jeunes filles se présentèrent donc devant les grandes portes fermées, qui s'ouvrirent conjointement pour les laisser passer. Une flèche en direction d'un escalier les mena à un tunnel en plexiglass transparent, au-dessus de plusieurs mètres de vide.

– Ben ça alors ! s’exclama Gaëlla, déstabilisée.

Elles avancèrent à pas lents le long de la passerelle, qui leur donnait une vue plongeante et à perte de vue sur l'étage, divisé en trois parties distinctes. De chaque côté, d’innombrables cellules séparées par des cloisons transparentes s’étendaient ; seuls un numéro et une lettre peints au sol au centre de chacune permettaient de les distinguer.

Dans chacune d’elle se trouvait un berceau, et au milieu des deux rangées de cellules, dans l’espace central de l’immense pièce, deux tables, dont l’une trouée par intervalles d'un mètre, s’étalaient sur toute la longueur. Gaëlla devina qu’il s’agissait de chaises hautes pour nourrir tous les bébés à la fois en ligne. Quant à la première table, où étaient disposées des serviettes blanches par intervalles d’un mètre, elle déduisit qu’il devait s’agir d’une table à langer géante.

– Ils sont minuscules, remarqua-t-elle en détaillant les bébés. Ils ont l'air si fragiles…

– Ouais, et ils ne sont pas très beaux, enchérit Dacy. On dirait qu'ils sont chauves !

C'était la première fois qu'elles voyaient de si jeunes enfants. Tous les nourrissons de la ville étaient âgés de trois mois au minimum. Les deux jeunes filles poursuivirent leur visite, décontenancées par l’allure repoussante des poupons endormis.

– Oh ! Regarde, l’horloge là-haut est gigantesque !

Gaëlla suivit le regard de son amie mais n'eut pas à chercher longtemps. Au-dessus d’elles, un hologramme d'horloge géante flottait dans les airs. En dessous du cadran était affiché un compte-à-rebours en rouge, qui rappela vaguement à Gaëlla celui des bombes dans les films.

– Quatre minutes et vingt secondes, lut Dacy. Tu crois que ça correspond à quoi ?

– On verra bien quand il arrivera à zéro.

– Est-ce qu'on peut visiter les immeubles à côté des carrés ? demanda Dacy en regardant sur le plan du formulaire.

– Je ne pense pas, ce sont les résidences des mères porteuses, répondit Gaëlla. Il n'y a rien à voir.

– Quel affreux métier ! Être obligée de vivre sans cesse ce cycle infernal, jusqu'à ce qu'elles soient trop... usées pour ça.

Gaëlla avait ouvert la bouche pour répondre, mais une voix résonna soudain autour d'elles dans le tunnel.

À quatre mètres sous vos pieds, la future génération de notre espèce dort paisiblement. Les cellules au-dessus desquelles vous évoluez accueillent les nouveau-nés de zéro à deux semaines. Avant leur naissance, la grossesse des mères porteuses à partir de sept mois, se fait au sein des centres prévus à cet effet. Des parcs et des piscines sont à leur disposition. Elles passent leur temps dans les bâtiments et les espaces qui leur sont attribués avant leur accouchement.

– Tu parles, elles sont exploitées... Elles ne rêvent que de se tirer de là, j'en suis sûre, marmonna Gaëlla.

Dacy hocha vivement la tête en signe d'assentiment, tandis qu'elles poursuivaient leur marche le long du tunnel transparent.

Du premier mois de la grossesse au sixième, les mères porteuses travaillent au sein des structures préparant les nourrissons à leur future adoption. Formées à ce métier depuis leur entrée dans le quartier des pouponnières, elles assurent, encadrées par des puériculteurs certifiés, le rôle d'auxiliaires de puériculture...

Soudain, les chiffres rouges du cadran géant se mirent à clignoter. Le compte à rebours était terminé.

Un instant plus tard, des dizaines de portes, de chaque côté de l'immense salle, s'ouvrirent simultanément. Les deux jeunes filles s'arrêtèrent pour observer l'agitation qui s'ensuivit sous leurs pieds.

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