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Le lendemain matin, la jeune fille se réveilla en sursaut. En jetant un regard à son réveil digital, incrusté dans le mur de sa chambre, elle s'aperçut qu'il était neuf heures du matin. Elle aurait déjà dû être en cours depuis une heure.
Comme si la foudre venait de la frapper, Gaëlla bondit de son lit et s'activa pour trouver des vêtements convenables. Elle se débarbouilla prestement, attrapa de quoi déjeuner, puis se rua sur son sac de cours pour le balancer sur ses épaules. Un instant plus tard, elle courait ardemment le long du tunnel de verre qui la séparait du port, en broyant contre elle son petit-déjeuner. Hors d'haleine, elle sauta dans la première navette venue, sans même en vérifier la destination.
Lorsque Gaëlla s'autorisa à souffler, elle regarda autour d'elle dans le but de connaitre le nom du prochain arrêt du bus, le cœur battant à tout rompre. Avec un soupir de soulagement, elle constata, d'après l’hologramme qui faisait défiler les arrêts, que la navette passait non loin de l'Académie des Valeurs Citoyennes. Rassurée, elle mordit dans le beignet aux dattes qu'elle avait serré dans sa paume pendant sa course. Un message d’annonce de prolongement de la grève générale des transports succéda alors aux noms des prochains arrêts, et Gaëlla se demanda une nouvelle fois si cette mesure avait un lien avec la manifestation qui avait bloqué le Quartier des Manufactures la veille.
Comme elle ne regardait que peu les informations, elle ignorait tout de ce qui se passait dans le monde si elle n’apprenait pas l’actualité par ses camarades d’école. Ce jour-là, en dépit de sa panne de réveil, la jeune fille avait tenu à venir au plus vite en cours car un examen approchait en économie, et son niveau dans cette matière n'était résolument pas éminent.
Une fois arrivée dans l’amphithéâtre principal du campus, où avaient lieu ses cours de la matinée, elle s’installa aux côtés de Rob, un camarade avec qui elle s’associait souvent pour les devoirs communs.
– Dis donc, t'as une sacrée tête, aujourd'hui, la salua-t-il en la dévisageant sans complexe.
– En voilà, un beau compliment. Merci pour ta délicatesse, Rob.
– Non mais avoue, t'es échevelée comme un chanteur de metal sous amphétamines !
Gaëlla leva les sourcils, offusquée, et refusa de lui répondre, touchée dans son amour-propre. Elle se demanda pourquoi elle choisissait de côtoyer quotidiennement cet impertinent tas de guano.
Irritée, elle tapota son poignet, qui vibra légèrement, et l’hologramme de son fond d’écran apparut sur la peau de son avant-bras. Elle s’apprêtait à réduire son e-wrist en silencieux pour sa journée de cours comme elle le faisait chaque matin, mais une notification attira son attention avant qu’elle n’effleure son avant-bras.
Mince, pesta-t-elle en lisant le message automatiquement planifié par l’agenda de son e-wrist, on avait un devoir à rendre en ethnologie cet après-midi, ça m’était complètement sorti de l’esprit ! Je vais devoir le faire à la pause déjeuner… Hors de question de demander les réponses à Rob, ce goujat !
Avant de sortir de l'amphithéâtre, à midi, elle organisa ses cours sur l'écran digital qui composait l'espace de son bureau. En quelques clics adextres, elle fit basculer ses notes, prises sur l'écran durant le cours, dans son dossier personnel "À réviser", synchronisé avec son propre Ecran de Commandement, puis ferma la fenêtre du manuel d'économie ouvert à la page 216, ainsi que sa session.
Prostrée sans bouger devant son assiette d'amarante bouillie et de seitan grillé, Gaëlla se morfondait, les yeux dans le vague. Même si elle s’y mettait dès à présent, elle n’aurait sûrement jamais le temps de terminer ce devoir exigé pour le cours suivant. Une fois de plus, elle allait se coltiner des pénalités et se retrouver avec encore plus de travail sur les bras…
En outre, elle se faisait du souci pour les jours à venir. Si le système automatique de sa bulle ne fonctionnait plus correctement, comment allait-elle faire pour se débrouiller seule, subsister sans la cruciale technologie qui assurait son confort depuis toujours ? Son réveil ne s'était pas déclenché ce matin-là, ce pouvait être un simple hasard, mais Gaëlla avait peur que ça ne cache des défaillances plus sérieuses.
Les habitations sous-marines, assez anciennes, paraissaient vétustes en comparaison avec les logements suréquipés, flambant neufs et aux tarifs mirobolants, du centre-ville. L'entretien des bulles immergées, moins onéreuses et rutilantes, était donc souvent négligé.
Autour de la jeune fille, les conversations s'envenimaient et prenaient un ton d'insurrection. Elle sortit de sa torpeur et porta son attention sur un groupe d'étudiants rassemblé autour de quelque chose qu'elle ne pouvait voir. D'après les bribes de phrases étouffées par des grésillements, qui lui parvenaient de la chose en question, elle déduisit qu'il s'agissait d'un EC. En étirant le cou pour vérifier son hypothèse, elle entraperçut l'Ecran de Commandement, posé sur une chaise au milieu des étudiants en plein débat. Des images de journalistes se succédaient et le bourdonnement ténu de leurs discours lui parvenait de manière irrégulière. Gaëlla prêta alors une oreille plus attentive à la palabre des jeunes.
– Tu comprends rien, t'es juste borné ! Cette mesure, c'est encore une restriction de nos libertés !
– Comme si on en avait encore, de la liberté ! Tu parles, on est des esclaves, des pantins de l’Etat ! Moi, il me reste moins de six mois !
– Bande de complotistes, vous faites juste peur à entendre ! Avec vous, l'Etat est toujours un ennemi, hein ? Vous savez parfaitement que c'est pour le développement du pays, le bien général, pas pour provoquer votre petit ego !
– Oui, ça suffit, arrêtez un peu de voir le mal partout et de vous soucier de votre nombril ! Moi, il me reste que deux mois mais je me plains pas !
– C'est vrai ça, les gens comme vous veulent pimenter leur existence en inventant des théories foireuses pour semer la terreur, c'est bien connu ! Et c’est avec des imbéciles comme ça qu’on s’est retrouvés dans la Guerre Propre !
– Tu te penses sans doute très malin, n'est-ce pas ? Tous ces gens qui manifestaient, tu crois que c'était pour revendiquer des droits imaginaires ?
– Absolument, tout le monde sait ça !
– T'es qu'un attardé, tu...
– Traite-moi encore une fois d'attardé et...
– Va bien...
– …Politique !
– …Ta grosse mère éleveuse...
– …Dégénérés qui...
Gaëlla s'éclipsa à temps pour esquiver la chaise qui vola à travers la pièce et s'empressa de rejoindre l'espace détente du bâtiment, où elle pourrait réviser son économie dans le calme. Parfois, les jeunes de son âge manquaient cruellement de sang-froid, songeait-elle. Le stress des examens, sans doute. Mais cette histoire de manifestation avait bien fait parler... Les médias devaient se régaler d'engendrer et de nourrir une polémique qui divisait ainsi les citoyens.
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