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 Enervée par son premier échange, Gaëlla resta un moment à respirer seule dans l’espace central toujours bondé de monde, puis se tourna vers la première personne venue.

– Salut, tenta-t-elle.

La fille à qui elle avait adressé la parole la regarda de bas en haut, avant de lui répondre :

– Désolée, je suis hétéro.

Et elle se détourna sans un mot de plus.

Ravalant son amertume, Gaëlla pivota de quelques degrés pour essayer d’entrer en contact avec un garçon à la musculature imposante, qui achevait une conversation avec une fille de deux têtes plus petite que lui.

– Tu fais quel sport ? le questionna-t-elle, obligée de crier pour couvrir le brouhaha environnant.

Sa phrase d’accroche lui paraissait tristement pathétique, mais la face du jeune homme s’illumina d’un sourire réjoui à ces mots.

– De la muscu, de la natation, de la boxe et du lancer de poids, énuméra-t-il fièrement.

Gaëlla aurait parié qu’il avait bombé le torse au rythme de sa liste. Sa large mâchoire carrée était pigmentée de poils de barbe brune et ses épais sourcils faisaient ressortir le bleu de ses yeux.

– Impressionnant, rigola-t-elle, et elle vit le type se rengorger. Dis-moi, tu veux tester un de ces jeux ?

Elle désigna les étagères dans le coin droit de la salle, où des dizaines de jeunes étaient en pleine partie de divers jeux de société.

– Pas vraiment, rétorqua le sportif, ils sont pourris. Tu veux pas plutôt discuter ?

Gaëlla accepta, mais se rendit bien vite compte que par « discuter », le grand costaud entendait surtout « discuter de lui ». Il ne la laissait pas en placer une et se vantait de toutes les compétitions qu’il avait remportées dans les sports qu’il pratiquait, sans doute persuadé de lui faire grande impression.

Lorsque la jeune fille parvint enfin à placer quelques phrases à propos d’elle, il montra une absence totale d’intérêt pour ce qu’elle racontait, et sauta sur la première occasion pour ramener le sujet à sa dernière victoire au lancer de poids.

Agacée par son ego surdimensionné, Gaëlla trouva une excuse pour se soustraire à son nouvel interminable monologue, et le planta au milieu de la salle. Elle se retourna pour s’assurer qu’il ne la poursuivait pas dans le but d’achever l’explication détaillée de sa meilleure performance en natation. Heureusement, il était resté immobile au milieu de la masse, bras ballants. L’expression d’incrédulité stupide sur son visage manqua de la faire pouffer de rire.

La jeune fille tenta alors sa chance auprès de plusieurs autres personnes, mais sans plus de succès qu’aux précédents essais. Elle se rendit vite compte qu’une grande partie des garçons présents, tel que l’avait insinué le rouquin avec qui elle avait échangé en premier, n’était là que pour faire des rencontres peu sérieuses. La majorité ne semblait que vaguement concernée par l’urgence de trouver un réel partenaire de vie, argumentant qu’« on verrait bien plus tard ».

C’est pour ça que j’avais l’impression que tout le monde était si joyeux et insouciant, comprit Gaëlla. Beaucoup s’en fichent, de rencontrer leur âme sœur, de trouver l’amour. C’est juste pour eux une bonne occasion de ramener des tas de filles dans leur lit… Et le reste, c’est secondaire.

– Tu recherches vraiment quelqu’un ou tu veux juste du cul ? demanda-t-elle en guise de salutation à un jeune homme blond qui passait près d’elle.

Face à la mentalité qu’elle découvrait chez nombre des participants, elle avait conclu qu’il valait mieux ne pas perdre de temps à tergiverser, si c’était pour au final se rendre compte qu’elle ne partageait pas les mêmes aspirations que ses interlocuteurs.

Pris par surprise par sa question sans détour, le garçon cligna des yeux plusieurs fois, l’air sonné.

– Euh…, bredouilla-t-il en rougissant, sans savoir comment réagir.

Gaëlla comprit tout de suite qu’il n’avait pas l’habitude d’être confronté aussi frontalement. C’était sans doute la première fois qu’il se rendait à une Séance d’Approche, lui aussi.

– Désolée, dit-elle, pour couper court à sa gêne, c’est juste que ça me soûle de tomber sur des gars qui n’ont que le sexe en tête.

– Non, pas de problème, je comprends, répondit le jeune homme en passant une main dans sa chevelure blonde, plus détendu. C’est un peu le marché, ici, non ?

– Oui, approuva-t-elle, j’ai les oreilles qui bourdonnent. On va s’installer dans un coin ?

Une fois tous deux assis dans des fauteuils, autant que possible à l’écart du reste du groupe, ils se dévisagèrent dans un silence embarrassé. Faute d’être frappée par une illumination pour engager la conversation, Gaëlla l’interrogea :

– Comment tu t’appelles ?

– Lucien. J’ai eu dix-huit ans le mois dernier, alors j’imagine que j’ai un peu de temps devant moi pour trouver quelqu’un, mais je préfère m’y prendre à l’avance… J’ai tout sauf envie de me retrouver avec une personne avec qui je n’aurais pas d’atome crochu. Ou pire, avec une peste, rigola le jeune homme.

Ils discutèrent un bon moment, se sentant de plus en plus à l’aise à mesure qu’ils échangeaient sur leur quotidien et se posaient mutuellement des questions pour faire connaissance. Gaëlla sentait qu’ils étaient sur la même longueur d’onde et était soulagée d’enfin rencontrer quelqu’un qui partageait sa frayeur de finir avec un inconnu pour le restant de ses jours.

Ils s’amusèrent à quelques jeux de société ensemble ; Monsieur Trellot, le facilitateur référent, passa près d’eux pour vérifier si tout se passait bien. Lorsqu’ils se lassèrent des jeux, ils entamèrent une conversation sur la hideur des nourrissons.

– Je me souviens comme si c’était hier, de ma visite du Quartier des Grands Carrés, gloussa Gaëlla, ils étaient affreux ! Je n’imagine pas devoir m’occuper d’un truc pareil…

– Oui, je préfère laisser ça aux mères éleveuses du quartier des pouponnières et m’en charger une fois que ça a un peu grandi, enchérit Lucien. En plus, lorsqu’ils ne dorment ou ne mangent pas, ces laiderons passent leur temps à baver, déféquer, crier et vomir. C’est pas ce qu’on peut appeler une partie de plaisir…

Le temps passa, ils rirent ensemble, puis Lucien dit :

– Je trouve qu’on s’entend bien, mais ça te dérange si on change de partenaire, maintenant ? Histoire qu’on rencontre d’autres personnes, avant la fin de la séance…

Gaëlla ne montra pas qu’elle était un peu froissée (elle savait qu’il avait raison, il était conseillé de tourner, mais elle commençait presque à s’attacher au jeune homme), et répondit avec un sourire crispé :

– Oh, non, évidemment. De toute façon, on pourra toujours se revoir une prochaine fois, si on se coche mutuellement dans le compte-rendu.

– Oui, rien ne presse, confirma Lucien. Bon courage pour la suite !

Après un sourire, il se leva du coussin sur lequel il était assis, et la laissa au milieu des duos de jeunes qui bavardaient avec grand bruit autour d’elle.

Quelques instants plus tard, un garçon dont les cheveux lui tombaient sur les épaules, l’aborda et prit la place de Lucien. Ils papotèrent un temps, puis se séparèrent, et Gaëlla fit la rencontre de plusieurs autres jeunes hommes jusqu’à ce que Monsieur Trellot annonce la fin de la session.

Il invita le groupe à se réunir au milieu de la vaste salle, et fit un rapide bilan de la séance, évoquant les points positifs et les quelques comportements problématiques que les autres facilitateurs et lui avaient eu à gérer au cours de l’après-midi. Il avertit des conséquences de ce genre d’attitude et encouragea une nouvelle fois quiconque ayant vécu des expériences similaires, à en parler.

– N’oubliez pas de remplir votre compte-rendu en partant, leur rappela-t-il ensuite. N’ayez crainte si vous n’avez pas retenu les noms des personnes qui ont piqué votre intérêt, les photos de chacun sont affichées à côté des noms sur le document, pour éviter toute confusion. Eh bien, jeunes gens, je vous souhaite une bonne soirée, et faites des choix avisés !

La cohue qui suivit la fin du discours du facilitateur référent, entraina malgré elle Gaëlla du mauvais côté du couloir, lorsqu’elle quitta la pièce. Elle se retrouva dans l’aile droite de l’étage, et quand la masse se dispersa autour d’elle, elle comprit pourquoi tout le monde s’était dirigé dans cette direction : le panonceau à côté de la porte par laquelle bon nombre s’étaient engouffrés indiquait « cafétéria ».

La jeune fille n’avait pas mangé grand-chose à midi et mourait de faim. Elle n’hésita qu’une demi-seconde et poussa le battant de la porte à son tour.

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