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« D’après les premières constations, la bombe aurait été déclenchée dans l’aile sud du bâtiment, au 37ème étage, au niveau de la plus grande salle de l’édifice. À l’heure de l’explosion, une activité particulièrement populaire, les Karaokés des Cœurs, avait lieu dans la pièce.

L’horaire choisi par les terroristes n’était d’ailleurs pas anodin : à 17h, point culminant de fréquentation du site dû au chassé-croisé de nombreuses activités, des milliers de jeunes se trouvaient dans l’immeuble, en pleines sessions de rencontres organisées en simultané.

On déplore pour le moment plus de huit cents victimes, près de deux cent trente blessés, et des centaines de disparus, encore sous les décombres. L’estimation de ce lourd bilan continue d’évoluer à mesure que les équipes de secours poursuivent les fouilles de l’immense étendue de ruines qu’est devenu le Centre des Séances d’Approche.

Certaines parties de quelques-uns des étages les plus bas, dont une zone de l’aile nord du rez-de-chaussée, sont néanmoins encore sur pied. Les matériaux d’une résistance exceptionnelle utilisés à la construction du quartier, ont prouvé une certaine efficacité face à la puissance de l’explosion, préservant relativement ce secteur et permettant la survie de dizaines de jeunes présents dans les étages inférieurs, qui ne se sont pas entièrement écroulés sur eux-mêmes…

La piste de l’attentat terroriste s’était confirmée, après le piratage massif de toutes les chaînes de cybervision, quelques minutes après le drame, diffusant en boucle le préoccupant message suivant :

"La peur commence à changer de camp. Les rats sortent de l’obscurité du trou dans lequel on les a poussés, et ils viennent réclamer justice. L’égalité a un prix, que chacun doit maintenant payer."

Les criminels revendiquaient ainsi le terrible massacre, et avaient signé leur message : "Les Édiles de l’Ombre."

Actuellement, aucun suspect n’a encore pu être appréhendé, mais il a été révélé qu’un appel anonyme aux forces de l’ordre, quelques instants avant le drame, avait prévenu qu’une bombe était sur le point d’exploser au Centre des Séances d’Approche. Passé depuis un modèle d’appareil téléphonique datant vraisemblablement de plus de trois cents ans, la communication n’a pas permis de retracer l’identité du suspect. Hélas, les équipes alertées par cet appel sont arrivées quelques minutes trop tard sur les lieux.

Malgré les recherches activement… »

D’un geste las, Gaëlla coupa l’hologramme projeté au milieu de la pièce-à-vivre de sa bulle.

Terrassée par l’ampleur des dégâts, elle n’avait pas la force d’écouter plus longtemps les informations affligeantes diffusées sur toutes les chaînes nationales, et également répandues dans les médias à l’étranger.

La jeune fille sentit ses yeux la brûler, comme à peu près une dizaine de fois par heure depuis deux jours.

Elle était sortie de l’hôpital peu après Hona, une fois ses blessures les plus sérieuses soignées dans l’ensemble. Son genou, sa mâchoire et d’innombrables autres zones de son corps la lançaient sans répit, depuis qu’elle ne prenait plus d’antidouleurs. Tout son corps était couvert d’éraflures, de plaies plus ou moins profondes, qu’elle n’avait remarquées qu’une fois à l’hôpital.

Depuis leur prise en charge par les secours, les images traumatisantes du drame ne cessaient de tourner en boucle sous son crâne.

Lorsqu’elle fermait les paupières, elle entendait le bruit tonitruant de l’explosion, qui l’avait assourdie plusieurs instants ; elle sentait les intenses vibrations du choc secouer son corps, et se revoyait tomber sur le sol en criant, impuissante. Elle avait de nouveau l’odeur métallique du sang dans les narines, mêlée à celle de l’étouffante poussière qui flottait dans le sous-sol. Puis elle était agressée par d’abominables flashs des corps sans vie au milieu des gravats, du silence de mort dans le couloir jalonné de cadavres.

Le visage de Lucien jaillissait par intervalles réguliers dans son esprit, entre le souvenir d’une main ensevelie sous les débris et d’un tronc ensanglanté, mutilé par un bloc de ciment.

À certains moments, la jeune fille avait l’impression de devenir folle, et que les images qui tourbillonnaient dans sa mémoire étaient de nouveau sous ses yeux, imprimées dans la réalité.

Chaque fois que ses oreilles sifflaient, elle croyait entendre le bruit des sirènes d’ambulances. La puissance de la déflagration avait impacté son audition, et elle était régulièrement assaillie par des acouphènes, qui la tourmentaient la nuit, dans le silence de sa bulle.

Lorsqu’elle se sentait défaillir, elle serrait le collier qui leur avait permis de s’en tirer, elle et Hona, et caressait la dent lisse et beige pour apaiser son angoisse.

Une seconde, et tout peut basculer…, répétait inlassablement une voix dans sa tête, au milieu de ses insomnies.

Le cri victorieux de Hona au moment où elle avait mis la main sur la dent de requin, juste avant que leur journée ne vire au drame, résonnait encore à ses oreilles…

Quand elle parvenait enfin à fermer l’œil, au bout de longues heures à pleurer dans le noir, son sommeil était troublé par d’atroces cauchemars, dans lesquels elle revivait chaque scène de la catastrophe encore plus intensément qu’éveillée. Ces horribles rêves la réveillaient en sueur, le cœur battant, et elle ne parvenait plus à se rendormir jusqu’au matin.

Même si elle se sentait désormais très proche de Hona, compte tenu de l’épreuve bouleversante qu’elles avaient traversé ensemble, elle n’avait pas beaucoup échangé avec cette dernière depuis leur séparation. L’épisode avait tout autant chamboulé la jeune fille, qui préférait se murer dans le silence pour affronter le quotidien.

Gaëlla ne pouvait pas lui en vouloir, elle-même vivait chaque contact avec le monde extérieur comme une agonie. Depuis son retour de l’hôpital, elle n’avait pas mis les pieds hors de sa bulle, dont le système défaillait de plus en plus fréquemment, et évitait toute interaction sociale. Rob et quelques autres camarades de l’Académie des Valeurs Citoyennes avaient tenté de la joindre, mais elle avait réduit son e-wrist en silencieux. Elle ne désirait qu’une chose : oublier sa réalité.

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