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Consternée, elle appuya sur le bouton vert affiché par l’hologramme sur son avant-bras, pour décrocher.

– Oui ? fit-elle, en guise de salut.

Le silence lui répondit.

– Allô ?

Songeant que son ancienne tutrice avait dû l’appeler par erreur, elle fit mine de raccrocher, mais la voix de son éleveuse s’éleva de son e-wrist au même moment.

Je… J’espère que je ne te dérange pas. J’ai pensé que… Que ça pouvait être bien que je prenne de tes nouvelles.

Gaëlla, consciente que Romickéo entendait la conversation, tenta de se montrer polie envers elle.

– Ah oui ? Eh bien, ça fait plaisir.

J’ai vu ta photo, aux informations. Enfin, je crois l’avoir reconnue, au milieu des dizaines qu’ils diffusaient. Tu étais dans l’immeuble, quand le Centre des Séances d’Approche a explosé, n’est-ce pas ?

Gaëlla sentit sa gorge se nouer et laissa un silence passer pour toute réponse.

Alors… C’était bien toi, reprit son éleveuse, l’air de ne pas savoir comment exprimer sa pensée. Ça a dû être horrible.

– Ça l’était.

J’imagine que tu es très secouée. Forcément, c’est… dramatique.

– Oui.

Hem… J’espère que ça ira.

– Merci.

Un ange passa, puis, comme si c’était la réelle finalité de son appel, son ancienne gardienne l’interrogea avec empressement, une forme de fièvre dans la voix :

En fait… Qu’est-ce qu’il s’est passé, exactement, au moment où, tu sais… au moment où la bombe a explosé ?

Gaëlla laissa échapper un rire dénué de joie. Voilà, je la reconnais mieux…, songea-t-elle, amère. L’espace d’un instant, j’ai presque cru qu’elle était devenue une bonne personne.

Je… je sais que ça ne doit pas être évident de raconter tout ça, reprit son éleveuse, d’un ton faussement compatissant qui ne pouvait plus la tromper. Tu ne dors sans doute même pas, la nuit. Avec tous les souvenirs, les images de ce dont tu as été témoin… Non ?

– Comment ça se passe, à la maison ? la questionna Gaëlla, éludant délibérément sa tentative pour la faire parler.

Pas si mal, répondit son ancienne tutrice.

Son ton contrarié laissait entendre son désappointement face au mutisme de la jeune fille.

– Ton conjoint va bien ?

Si Gaëlla n’avait jamais pu considérer sa tutrice comme sa mère, elle avait encore plus de difficultés à ressentir le lien paternel censé l’unir à celui qui l’avait élevée. Elle ne partageait rien avec lui, et l’avait très peu vu au cours de son enfance. L’homme qui vivait sous le même toit qu’elle à l’époque, travaillait beaucoup et sortait presque tous les soirs pour voir ses amis ou faire la fête. Il n’avait été un éducateur pour elle que lorsqu’il s’agissait de la réprimer dans ses libertés, et la rabaisser quand elle n’agissait pas de façon conforme à sa vision des choses.

Il… Il est décédé.

Stupéfiée, Gaëlla dût faire répéter son éleveuse, afin d’être sûre de l’avoir bien entendue.

C’est arrivé il y a deux mois, à peu près. Un accident, au boulot, précisa-t-elle. Une mauvaise chute dans les escaliers, il était seul, c’est un collègue qui l’a trouvé. Je ne t’ai pas contactée pour les funérailles, j’imagine que…

– Je ne serais sans doute pas venue, non, affirma Gaëlla. Mes condoléances. La bulle doit être bien vide, maintenant.

Même si elle ne nourrissait aucun lien d’affection envers son éleveur, l’annonce de sa mort impactait tout de même la jeune fille. Elle ne pouvait pas se sentir indifférente à cette nouvelle, bien que la tristesse ne soit pas l’émotion dominante qui l’assaillait à cet instant-là.

Sous le choc, elle s’arrangea pour rapidement mettre fin à sa correspondance avec son ancienne gardienne. De toute façon, cette dernière ne semblait pas très disposée à poursuivre leur conversation, à présent que sa chance d’obtenir ce qu’elle voulait était passée.

Gaëlla raccrocha, puis retourna derrière le comptoir du bar, égarée. Elle avait bien dessoûlé.

– Je suis désolé, pour ton père éleveur.

Elle leva les yeux et rencontra le regard de Romickéo. Dans sa confusion mentale, elle avait oublié sa présence.

– Merci, mais il n’avait rien d’un père pour moi, répondit-elle après s’être éclairci la gorge. Ni sa compagne. Je pense que ça se sent, non ?

Romickéo émit un rire gêné.

– Plutôt, oui. Et… quand je parlais des gens qui te poussent à témoigner, tout à l’heure, je ne pensais pas que ta propre mère éleveuse serait aussi…

– … Aussi vicieuse, oui, compléta Gaëlla. Ce n’est pas quelqu’un de bien. Je ne me suis jamais entendue avec elle, et elle ne me supportait pas non plus. Son compagnon n’était pas mieux, mais au moins, il m’ignorait, la plupart du temps. Ils ne m’ont jamais aimée.

Romickéo lui adressa un regard empli d’empathie.

– Je ne dis pas ça pour que tu aies pitié de moi, rigola la jeune fille, pour dédramatiser ses paroles. Je m’y étais faite depuis longtemps. Eux-mêmes ne s’aimaient pas vraiment, ils avaient été casés ensemble aléatoirement à leurs vingt ans, à défaut d’avoir trouvé un partenaire qui leur plaisait. Ils ont été forcés de m’élever peu après, alors que c’était encore des ados dans leur tête.

– Bien sûr, comme tout le monde. Mais ils n’avaient pas à te faire payer l’injustice de leur situation…

– Non, évidemment, mais ç’aurait pu être pire. Je connais des personnes dont les éleveurs les haïssaient tellement qu’ils les battaient sans cesse, ou les abusaient.

– On en connait tous, malheureusement, des victimes de ce système pourri, marmonna Romickéo, les mâchoires serrées.

Malgré le sérieux de leur échange, Gaëlla eut un sourire à ces mots. Elle avait réussi à raviver en lui son hostilité envers le gouvernement. Surprenant son expression, il l’interrogea, dérouté :

– C’est un sujet qui t’amuse, les violences intrafamiliales ?

– Pas du tout, rétorqua-t-elle, mais tu avais retrouvé ce regard brûlant de haine, quand tu parlais du système. Je croyais que c’était un truc de rêveurs.

– Tu ne vas pas lâcher l’affaire, pas vrai ? s’exclama le jeune homme, les yeux écarquillés. Qu’est-ce que tu veux savoir, exactement ? Oui, je désapprouve les lois appliquées dans notre pays et je méprise les rouages immoraux de notre société. Je ne vois pas en quoi ça t’avance d’en être assurée…

– Je ne suis pas dupe, le provoqua Gaëlla avec une étincelle de malice dans le regard, ça se voit que tu as accès à des sources que la plupart des gens ne connaissent pas. Tu l’as laissé entendre au cours de notre premier échange, et même si tu prétends que l’alcool te faisait affabuler, je ne te crois pas.

Exaspéré, Romickéo paraissait à court d’arguments. Il la fixa, l’air de soupeser s’il prenait un risque à lui répondre.

– Tu veux vraiment mon avis ? Je te préviens, ce n’est pas ce à quoi tu t’attends, l’avertit-il, l’air irrité. Je vais te dire ce que je pense. Selon moi, il y a des chances que ton éleveur ait été assassiné.

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