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Gaëlla laissa passer un silence, considérant sa déclaration, éberluée.

– Comment ça ? Qu’est-ce que tu veux dire ? le questionna-t-elle. Et quel est le… rapport avec ce dont on parle ?

Romickéo la jaugea une fois de plus du regard, semblant se demander s’il ne ferait pas mieux de revenir sur ses paroles et de passer à un autre sujet. Il rapprocha le tabouret sur lequel il était assis plus près du comptoir, et se racla la gorge.

– Cela va te paraitre très étrange, commença-t-il avec réticence, mais des… groupes d’individus en dehors du système, ont développé une théorie. Ils sont partis du constat que la majorité des citoyens dépassant la quarantaine disparaissent de la circulation. Combien de vieilles personnes as-tu rencontré dans ta vie ?

– Beaucoup, répondit Gaëlla du tac-au-tac, je connais des gens qui ont des rides. J’en ai d’ailleurs vu récemment : mon patron ici, et un facilitateur référent du Centre des Séances d’Approche, Monsieur Trellot. Je lui donnais au moins quarante-cinq ans.

La jeune fille sentit son cœur se serrer en songeant que le pauvre homme avait dû périr dans l’attentat, comme de nombreux membres du personnel de l’immeuble. Elle chassa cette pensée pour ne pas laisser d’autres images envahir son esprit.

– Par personnes âgées, j’entends au minimum quinquagénaires, précisa Romickéo.

– J’en ai déjà croisé quelques-unes. Dans la rue, dans les magasins… Mais c’est rare, bien sûr.

– Eh bien, selon la théorie des groupes dont je te parle, l’Etat planifierait le décès de la majorité des citoyens atteignant plus ou moins quarante ans.

Gaëlla fronça les sourcils, méfiante. Que baragouinait-il là ?

– C’est l’espérance de vie moyenne de l’Homme, réfuta-t-elle avec un brin de sarcasme dans la voix, ce n’est pas étonnant qu’ils aient constaté que les gens disparaissaient, passé cet âge.

Romickéo s’agita nerveusement sur son tabouret, comme brûlant de lui expliquer tout ce qu’il avait en tête au plus vite.

– En réalité, dit-il, tentant manifestement de se contenir, ce serait un mensonge. On nous aurait conditionné à penser ainsi depuis des décennies, mais l’espérance moyenne de l’Homme serait de quatre-vingt ans environ. Des tas de preuves le démontrant ont été découvertes par les groupes en question.

– Quatre-vingt ans ? répéta Gaëlla, ahurie. Soit le double, selon eux. Et d’où tirent-ils cette conclusion ?

– C’est parti d’une simple action de piratage, par des jeunes qui s’ennuyaient. Ils avaient trouvé des ouvrages cryptés secrètement conservés dans les cybibliothèques, et se sont mis en tête de les décrypter. Ils ont découvert qu’il s’agissait de livres, de documents anciens, dans lesquels les auteurs faisaient référence à des personnes âgées de plus de quarante ans, sans les caractériser comme « vieilles ». Et apparemment, la majorité des écrits datant d’avant la Guerre Propre, ont ce point commun. C’était comme si, autrefois, il était courant que les individus vivent plusieurs décennies de plus, et qu’on faisait tout pour nous le cacher. Mais les jeunes qui sont tombés sur ces ouvrages ne se sont pas arrêtés là. Ils ont hacké d’autres archives, et ont trouvé un nombre incalculable de photos antérieures à la Guerre Propre, montrant des tas et des tas de personnes dites « âgées » selon nous, dans le quotidien, tout à fait capables de vivre normalement.

Le visage de Romickéo s’empourprait à mesure qu’il exposait passionnément sa croyance, les yeux brillant d’un éclat fasciné.

– Ils ont aussi pu remonter aux dossiers recensant les dates de naissance des citoyens nés avant le conflit, poursuivit-il, et la plupart d’entre eux avaient vécu jusqu’à plus de soixante-dix ans ! Il y avait même des centenaires ! Imagine des hommes et des femmes, avec plus de rides sur le visage que tu ne pourrais en compter, claudicants et rabougris… Et c’était loin d’être rare ! Dépasser les soixante ans était au contraire à leur époque, aussi commun que nos trentenaires actuels.

Lorsque le jeune homme marqua une pause dans son discours pour reprendre sa respiration, Gaëlla leva un sourcil, interloquée.

– Pourquoi ces jeunes ne diffusent-ils pas ces preuves, alors ? demanda-t-elle, sceptique. Cela ferait un tollé.

– Parce que l’Etat étouffe tout soupçon, contrôle scrupuleusement chaque information qui passe sur le web. Ses filtres ultraperformants censurent automatiquement tout ce qui pourrait être en lien avec ce sujet.

Gaëlla eut un sourire indulgent.

– Et tu crois à cette théorie, juste parce que des gens disent avoir trouvé toutes ces informations secrètes ? s’enquit-elle, sans chercher à masquer sa perplexité. Et de toute façon, pourquoi le gouvernement ferait une chose pareille ? Je peux lui trouver des tas de défauts, mais là, je ne vois pas l’intérêt qu’il aurait à cacher ça…

– Les individus dont il est question ne peuvent pas diffuser leurs découvertes au grand public par les canaux normaux, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne le font pas ailleurs, hors système, corrigea Romickéo. Et ce n’est que le premier point de la théorie, laisse-moi poursuivre.

Gaëlla pinça les lèvres, peu impressionnée, mais ne fit pas de commentaire. Elle se contenta de se resservir un verre de liqueur, tandis que le jeune homme reprenait le fil de ses explications.

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