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Le lendemain matin, lorsqu’elle se leva, elle avait un plan en tête.

Elle ne comptait pas retourner en cours ce jour-là non plus, mais elle avait dressé une liste mentale d’activités qu’elle avait envie de faire dans la journée.

Entre plusieurs souhaits parfaitement irréalisables, elle avait encerclé dans son esprit les options qu’elle avait une chance d’accomplir concrètement. Une balade à cheval – une activité dont elle avait entendu parler dans un film –, lui paraissait entre autres bien peu vraisemblable, étant donné que les chevaux étaient une espèce en voie d’extinction, protégée dans de rares réserves naturelles du pays ; mais un tour au parc d’attraction le plus proche semblait à ses yeux l’idée parfaite. Cette sortie à l’extérieur de sa bulle lui ferait du bien, en même temps de lui aérer l’esprit.

C’est ainsi qu’elle profita, seule, des manèges à sensation forte d’un parc situé à quelques pâtés de buildings de sa bulle sous-marine. Elle se gratifia ensuite d’une glace aux baies, puis fit une promenade le long du port, savourant la fraîcheur des embruns sur sa peau, que la douceur du soleil de janvier venait chatouiller.

La mer sous ses yeux était calme, seulement agitée de quelques vaguelettes éparses. Gaëlla imaginait l’autre partie de la Frangleterre, quelque part à l’horizon, loin devant elle.

Elle s’assit le long de la berge déserte, pour assister au coucher du soleil, dont les rayons déclinants coloraient l’étendue salée d’une teinte orangée, et embrasaient par la même occasion les nuages. Laissant ses jambes pendre au-dessus de l’eau, la jeune fille en écouta le reflux régulier et tranquille. Même si des pensées traversaient son esprit, ce dernier était apaisé.

Peut-être que je ne trouverai plus jamais le bonheur, songea-t-elle, détendue, mais je peux encore savourer les instants de beauté que j’ai la chance de découvrir. Je peux encore rire, et courir, et danser, et me sentir en vie… Et tant que je le pourrai, je ne renoncerai pas.

Sur le chemin pour rentrer chez elle, dans le tunnel sous-marin qui menait aux bulles immergées, Gaëlla sourit. Elle se sentait rassénérée.

Cette belle journée, en solitaire mais dans la présence de l’instant, lui avait offert un temps précieux de reconnexion avec elle-même et le monde extérieur. Dans un coin de sa tête, le malheur des tragiques événements ne la laissait pas complètement tranquille, mais il n’était qu’un bruit de fond, et non la voix principale de sa conscience.

La jeune fille avait profité de sa sortie pour faire quelques courses, aussi se cuisina-t-elle ce soir-là un met qu’il était peu commun de trouver en circulation, et qu’elle n’avait goûté qu’à quelques rares occasions : du poisson.

Elle prit le temps de faire revenir les filets opalins dans un assaisonnement citronné et d’herbes parfumées, et cuit du riz noir en guise d’accompagnement. Une fois à table, elle dégusta son plat en se délectant de chaque bouchée, qui submergeait ses papilles de saveurs inédites.

En se glissant dans ses draps, un peu plus tard dans la soirée, l’estomac agréablement plein, la théorie révélée par Romickéo revint lui trotter dans la tête.

Sans vraiment s’en rendre compte, elle avait observé les gens autour d’elle, au cours de sa journée. Nul visage flétri n’avait croisé son chemin, et quelque part, elle se demandait s’il pouvait être possible que l’espérance de vie normale de l’Homme fût de quatre-vingt-ans.

Quarante ans ne lui paraissait pas être une durée de vie particulièrement longue, rétrospectivement, mais cet âge était si lointain, si abstrait pour elle, qu’elle ne voyait pas tant la différence. Elle était curieuse de voir ces photos, même truquées, de vieilles personnes, dont avait parlé le jeune homme.

Et si sa croyance selon laquelle l’Etat assassinait les citoyens était véridique, ce serait une épouvantable découverte. L’envergure de la problématique serait démesurée, inconcevable. Y avait-il la moindre chance qu’une infime partie du discours de Romickéo fût vraie ?

Une telle révélation représenterait un bouleversement et un enjeu bien trop importants pour être ignorés… Et s’il y avait un doute, pensa Gaëlla, il devait être percé, pour s’assurer qu’il ne s’agissait que d’un complot. Le risque encouru dans le cas inverse, était beaucoup trop grand. Restait à savoir pourquoi le gouvernement s’impliquerait dans une besogne aussi effroyable…

Romickéo pense que je suis une rêveuse idéaliste ou je ne sais quoi, qui ne se soucie que de son petit bonheur personnel, et qui se fiche des problèmes du reste du monde, songea-t-elle avec une rancœur encore vive, mais il se trompe sur mon compte. Je ne veux pas d’un « ennemi tout-puissant » pour me donner des raisons de me plaindre de mes peines et décharger la responsabilité de ma vie sur un élément externe, comme il le croit. S’il est réel, cet ennemi doit être anéanti.

Elle se surprit elle-même en découvrant ces pensées combattives en elle.

Je ne suis plus la même qu’avant l’attentat du Centre, réalisa-t-elle alors, ma vision des choses a été tellement bouleversée… Ma vie compte peu, en réalité, par rapport à l’humanité entière. Et si je peux apporter ma contribution pour améliorer la société, et faire en sorte que le monde soit un meilleur espace pour tout le monde, j’ai envie de le faire, à mon niveau.

Quel serait le but de ma vie, sinon ? Trouver mon conjoint de vie et élever des enfants ? Pour quoi faire ? Hona a trouvé son propre objectif, mais il me parait que le seul sens que je puisse donner à mon existence actuellement, est de défendre la vie. Et si par ce biais, je dois décortiquer les rouages du système et mener ma propre enquête, je suis prête à le faire.

Sentant l’émotion lui nouer la gorge, la jeune fille serra les poings contre ses cuisses, dans ses draps. Une détermination toute nouvelle s’installait dans son cœur, et elle sentait que trouver une finalité à sa présence en ce monde, insufflait en elle un courage désintéressé, authentique.

En plus du danger que représentent les terroristes ces derniers temps, la population court peut-être un autre péril, au sein de son propre système, se dit-elle encore, et cette menace, même s’il ne s’agit probablement que d’un tissu de sornettes, mérite d’être prise au sérieux. Il faut lever le voile sur ce mystère, à n’importe quel prix.

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