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Incapable de retenir des exclamations de stupeur, la jeune fille ne put que constater l’affreuse vérité, lire les rapports officiels révélés sous ses yeux, les dizaines de fichiers compromettants, piratés directement dans la base de données des services secrets du gouvernement.

Médusée, elle songea que ces révélations dépassaient de loin ce qu’elle imaginait d’un complot de l’Etat contre la population. Cependant, de nouvelles interrogations germèrent dans son esprit, à la vue de tous ces documents.

– C’est complètement dément, souffla-t-elle, ahurie. Mais je ne comprends pas pourquoi, puisqu’il voulait initialement réduire la surpopulation, l’Etat met en place des mesures censées assurer le repeuplement dans le pays, depuis la fin de la Guerre Propre ? Notre Décret inclut des lois comme l’obligation de trouver un partenaire pour permettre d’élever des enfants au plus vite. C’est complètement opposé à ce qu’il voulait !

Romickéo hocha la tête. Il avait visiblement des arguments contre toutes ses parades.

– Lorsque la majeure partie de la population a été rendue stérile, les générations qui vivaient à ce moment-là, ont été condamnées à disparaitre sans successeurs. L’Etat s’est hypocritement dressé en héros, en rassemblant les stocks de dons de sperme et d’ovules de tout le pays, et en mettant en place le quartier des pouponnières, embauchant également par la suite des mères porteuses, sur les générations suivantes. Son but n’était pas de faire disparaitre tout le peuple, sinon à quoi sert un gouvernement et comment subsiste-t-il ? Non, une fois débarrassée de la vieille « version » de sa population problématique et trop nombreuse, il fallait tout de même se presser de repeupler un minimum le pays, sans quoi il aurait été à l’abandon. Tout le monde sait que ce ne sont pas les politiques qui font tourner les usines…

Romickéo précisa :

– Déclencher la Guerre Propre a été une issue d’urgence pour se sauver, un ultime recours désespéré. S’il l’avait pu, l’ancien Etat se serait mieux préparé, en faisant par exemple bâtir plus de centres de stocks de sperme et d’ovules, bien à l’avance.

Après un soupir de frustration, il poursuivit :

– Depuis ces deux derniers siècles, donc, le « nouveau » gouvernement prône publiquement qu’il est crucial de repeupler notre pays, mais il continue dans la plus grande discrétion, à réguler le nombre d’habitants en éliminant les citoyens vieillissants. Pourquoi eux ? Pour éviter de répéter le problème de surpopulation passé en privilégiant une population plus jeune, dynamique, qui travaille pour lui et n’atteint jamais la retraite, un système de redistribution qui existait autrefois et qui ne fonctionnerait plus. Se débarrasser des plus âgés permet ainsi également de préserver les ressources vitales qui se font toujours plus rares autour de nous, et de limiter la pollution à laquelle ces citoyens moins utiles que les jeunes participeraient sinon…

– D’accord, mais pourquoi l’Etat ne révèle-t-il pas tout simplement qu’il ne faut pas être trop nombreux, et qu’il est nécessaire de surveiller notre croissance pour ne pas nous auto-détruire, la Terre avec ?

– S’il disait une telle chose maintenant, ce serait presque comme admettre qu’il a lui-même injecté les produits chimiques pour réduire son propre peuple, on pourrait s’interroger et remonter à la source. En prêchant l’exact opposé de ses véritables intentions, il se rend insoupçonnable aux yeux du monde, tu comprends ? Il s’enferme dans son mensonge et cherche à tout prix à effacer l’histoire antérieure à la Guerre Propre comme il a balayé sa population à l’époque, pour qu’on ne se doute de rien. Mais des gens comme les antisystèmes qui ont démontré toutes ses machinations et attendent de rassembler assez de preuves pour dévoiler ces découvertes au grand jour, ne sont heureusement pas crédules.

– Wow, fit Gaëlla, secouée, c’est… vertigineux. Et complètement horrifiant. Je n’arrive toujours pas à concevoir toutes ces atrocités commises par… par notre propre régime, ces manipulations honteuses, ces crimes contre l’humanité impunis…

Elle frissonna et ajouta, la bouche sèche :

– Il faut vraiment agir. Exposer ces révélations, faire cesser les assassinats des citoyens vieillissants… Tout pourrait se retourner, si le peuple savait. S’il savait seulement…

Romickéo approuva ses paroles, mais expliqua que l’heure n’était pas encore venue. Ces découvertes étaient encore récentes et pour ne pas risquer de tout compromettre, il fallait patienter, le temps que les argumentations, appuyées de preuves tangibles, soient suffisamment fortes pour convaincre la population entière, sans qu’il n’y ait de doute possible dans les esprits.

Provoquer un vrai scandale, si impactant que le gouvernement ne serait pas en mesure de l’étouffer, tel était l’objectif.

Malgré ce qu’il disait, Gaëlla ne voyait pas pourquoi ces fameux groupes antisystèmes qui menaient cette enquête si compromettante, ne tentaient pas d’empêcher les meurtres planifiés de leurs concitoyens, pendant ce temps de latence.

Scandalisée, elle songea que c’était criminel de laisser commettre ces abominations, en prétendant qu’il fallait attendre

Tout se bousculait dans sa tête, son esprit bourdonnait tant il était en surchauffe, jusqu’à lui en donner le tournis. Elle s’assit sur le tabouret face à l’EC de Romickéo, toujours allumé sur les pages des documents top-secrets de l’Etat.

Des dizaines de pensées tourbillonnaient sous son crâne. L’horreur qui l’emplissait quand elle songeait à tout ce qu’elle venait d’assimiler sapait toutes ses forces.

Bouleversée, des larmes de rage, d’impuissance, lui montèrent aux yeux. L’espèce humaine était-elle donc condamnée à subir toujours plus de barbarie, jusqu’à s’éteindre, par sa propre bêtise et cruauté envers son genre ?

Le sifflement dans son oreille se déclencha alors. Si cela continuait, songea-t-elle, dévastée, elle allait finir par perdre la boule… C’était bien trop de poids qui l’accablait, depuis l’attentat.

Elle prit plusieurs inspirations et tenta de calmer les battements précipités de son cœur meurtri par tant de tourment. Elle réalisa que Romickéo avait une main posée sur son épaule, et la regardait d’un air désolé.

– Maintenant, tu sais ce que ça fait, de ressentir cette faiblesse, et à la fois cette rage dans tes tripes, murmura-t-il tristement, cet abattement et pourtant cette indignation qui te brûle en même temps. C’est beaucoup de souffrance, mais on finit par se faire une raison, au bout du compte.

Gaëlla, la vision troublée par ses larmes de désespoir, leva la tête pour rencontrer le regard du jeune homme. Elle l’avait tellement sous-estimé… C’était une perle rare, une pierre précieuse, qui recélait des trésors insoupçonnés. Il était intelligent, éveillé, plein de ressources – et charismatique, de surcroît.

Elle ne pouvait se permettre de laisser filer une occasion pareille, pensa-t-elle. Pourquoi ne pas oser, après tout ? Qu’avait-elle à perdre ? Elle était presque certaine de connaitre ses pensées à son égard. Elle ne risquait rien à demander… Et chaque instant pouvait être le dernier.

Emportée par l’élan d’énergie dans lequel son état fébrile l’avait plongée suite à tout ce qu’elle venait d’assimiler, elle saisit la main que Romickéo avait posé sur son épaule et souffla :

– Romickéo, est-ce que tu voudrais être mon partenaire de vie ?

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