Elle ignorait si c’était la bonne décision à prendre, mais elle ne pouvait pas se permettre d’hésiter trop longtemps. Elle savait que si elle voulait la mettre en pratique, elle n’aurait que quelques instants pour agir.

Et au pire, si je me rends compte après-coup que ce n’est pas raisonnable, je n’irai pas jusqu’au bout…, se dit-elle, pour se convaincre. Mais au moins, j’aurais les clés en main pour le faire, si c’est nécessaire…

Alors, sans perdre plus de temps, après un regard nerveux en direction de la porte des toilettes, elle se plaça face à l’EC de Romickéo, toujours ouvert sur les documents secrets qu’il lui avait montrés.

Inspirant un bon coup, les battements de son cœur s’accélérant, elle posa ses doigts sur le clavier digital. En quelques secondes, elle réalisa autant de captures d’écran qu’elle put, des dizaines de pages confidentielles, des fichiers compromettants impliquant la responsabilité de l’Etat dans les événements relatés par Romickéo.

Puisque les groupes qui avaient fait ces découvertes ne comptaient pas les révéler publiquement dans l’immédiat, Gaëlla préférait conserver ces preuves de son côté également, et envisageait de les diffuser elle-même s’ils prenaient trop de temps à agir, pour stopper les assassinats en série de milliers d’innocents. C’était selon elle un devoir moral, elle ne pouvait pas rester sans rien faire face à cette catastrophe : ce serait en devenir complice.

Les mains moites, une fois toutes les captures réalisées, elle s’empressa d’ouvrir une nouvelle fenêtre du web pour trouver la messagerie centralisée du jeune homme.

Si elle envoyait tout à son propre compte, et qu’elle se dépêchait de supprimer le message juste après, elle aurait toutes les preuves en sa possession, sans qu’il n’en soit au courant.

Tremblante de nervosité, elle commença à réaliser le transfert des captures d’écran. Elle jeta rapidement un œil derrière elle pour s’assurer que Romickéo n’était pas sorti des toilettes, et pria pour que tout s’envoie au plus vite.

En reportant son regard sur l’écran, un dossier au milieu des libellés de la messagerie du jeune homme, sur le bord gauche, lui sauta aux yeux. C’était le nombre de messages non lus qui avait attiré son attention, clignotant en rouge à côté du nom.

« Rats/opérations É.d.O. »

Ce titre remua quelque chose dans l’esprit de la jeune fille.

Un nouveau furtif regard en arrière lui apprit que la porte des toilettes était encore close. Laissant ses scrupules de côté, elle cliqua sur le dossier, tandis que ses captures terminaient de charger dans son message, qui s’envoyait lentement.

Elle tomba sur de nombreux fichiers cryptés, et, classés parmi eux, des profils avec lesquels Romickéo avait échangés. La bouche sèche, Gaëlla parcourut rapidement du regard les noms des documents et des comptes. Tous semblaient codés, mais un groupe de discussion, d’où provenait la majorité des 172 messages non lus, attira son attention : « Les rats sortent de l’ombre ».

Sa respiration s’accélérant encore, la jeune fille cliqua dessus d’un geste hésitant : en faisant cela, elle ouvrait les messages non lus. Mais ce nom de groupe… Elle devait s’assurer qu’il ne s’agissait que d’une trompeuse coïncidence.

« 164 messages non lus depuis le samedi 30 décembre », indiquait la fine ligne de démarcation entre les messages auparavant ouverts et les nouveaux, au milieu de la conversation.

Cette date réveilla les douloureuses visions dans l’esprit de Gaëlla. C’était le jour de l’attentat du Centre de Séances d’Approche.

Le dernier message ouvert par Romickéo, envoyé par un certain Rat_183 à 16h58, disait :

« Équipe 3 : Prête déclenchement -5 minutes. »