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Le tournis qui étourdissait la jeune fille s’estompa. D’un mouvement saccadé, elle se redressa, sans réduire son appui sur le comptoir, et fixa Romickéo.

Ce dernier ne la lâchait pas des yeux, toujours immobile. Son regard s’était voilé d’une ombre de douleur. Gaëlla remarqua que sa mâchoire tressautait nerveusement.

Le bar s’était chargé d’une incomparable tension, et la jeune fille sentit le danger. Qu’allait-il faire d’elle, à présent qu’elle savait ? Allait-il tenter de la tuer, pour l’empêcher de parler ?!

Elle devait fuir à tout prix, s’alarma-t-elle, quitter le bar au plus vite, avant qu’il ne décide de s’en prendre à elle ! Courir, donner l’alerte, trouver un lieu sûr avant l’arrivée des forces de l’ordre…

Là, à seulement une dizaine de pas d’elle, derrière la porte, des passants longeaient probablement la route, sur le trottoir baigné d’obscurité. Elle n’avait qu’à franchir ces quelques mètres, crier au secours de toutes ses forces… Gaëlla n’osait pas diriger son regard dans cette direction, de peur que Romickéo ne se précipite sur elle en comprenant ses pensées.

Et si elle tentait de prévenir les secours à l’aide de son e-wrist, il le remarquerait immédiatement aussi, elle le savait.

Une goutte de sueur perla du front de la jeune fille, dont tout le corps s’était contracté, prêt à saisir une opportunité de fuite. Que pouvait-elle faire, pour gagner du temps et éviter qu’il ne la rattrape lorsqu’elle bondirait vers la sortie ? Détourner son attention ?

Romickéo, les muscles de ses épaules tendus comme un arc, semblait réfléchir à toute vitesse.

Si seulement je n’avais pas rangé les verres qui trainaient sur le comptoir, j’aurais pu lui en balancer un au visage…, regretta Gaëlla, frémissant d’horreur.

Un klaxon résonna, quelque part dans la circulation, à l’extérieur. L’espace d’un court instant, le regard de Romickéo obliqua en direction de la caméra de surveillance, dans un coin de la pièce. Traversée d’une décharge d’adrénaline, Gaëlla saisit cette occasion pour s’élancer aussi vite qu’elle le put, vers la porte du bar, son salut.

Mais le jeune homme, prêt à réagir, avait anticipé sa réaction et se rua aussitôt sur elle.

Poussant un hurlement d’effroi, Gaëlla tendit la main vers la poignée, à quelques centimètres de ses doigts, et projeta son corps en avant dans un plongeon désespéré.

Les bras de Romickéo se refermèrent brutalement autour de ses épaules avant qu’elle ne percute la porte, avec une fermeté qui stoppa net son élan et lui coupa un instant la respiration.

– À l’aide !! beugla-t-elle à s’en déchirer les cordes vocales. Au secours !

L’étreinte qui l’enserrait lui comprima encore davantage le plexus, tandis qu’elle se débattait de toutes ses forces, épouvantée.

Avec une puissance contre laquelle sa lutte était vaine, Romickéo la souleva de terre, et bloqua d’une main ses jambes, qu’elle agitait fougueusement en tous sens. Son autre coude toujours passé autour de son thorax contraignait les mouvements de ses bras, tandis qu’elle tentait de l’atteindre au visage.

La panique de la jeune fille s’accentua encore davantage lorsqu’elle s’aperçut qu’il l’emmenait au fond du bar, en direction du local technique, loin de la sortie.

– Nooon !! Au secours ! s’époumona-t-elle, au comble de l’affolement. Aidez-moi !!

Le visage déformé par la terreur, elle redoubla d’effort pour se libérer, mais Romickéo ne lâchait pas prise. D’un coup de pied, il ouvrit la porte du local et entreprit de pénétrer dans la minuscule pièce plongée dans l’obscurité, tout en la maintenant toujours aussi fermement contre lui.

Gaëlla, sans cesser de hurler, tenta de bloquer ses jambes en travers de l’embrasure, mais ne parvint qu’à s’érafler les chevilles, et un instant plus tard, le claquement sec de la porte qui se refermait dans son dos scellait son sort : elle était à la merci du terroriste.

Ce dernier, grognant sous l’effort pour bloquer ses mouvements, s’agenouilla. La jeune fille cria et se démena de plus belle lorsqu’il la laissa tomber sur le sol de la petite pièce aussi sombre qu’étroite. Sans lui laisser le temps de se redresser pour se défendre, il appuya violemment son corps contre le sien et s’étala sur elle, paralysant ses jambes dans un crochet de sa cuisse.

Des manches à balais tombèrent sur eux et divers produits d’entretien voltigèrent, tandis qu’elle tentait de saisir son cou, de frapper son visage contracté. Elle parvint à l’atteindre à la pommette et à la mâchoire, et à griffer son nez, mais ses coups n’eurent pour effet que de décupler la vigueur de Romickéo.

Son torse pesant de tout son poids contre le buste de Gaëlla, il immobilisa alors ses poignets d’une main, et les coinça dans le creux de son coude. Braillant si fort que les veines de son cou paraissaient sur le point d’éclater, la jeune fille intensifia encore ses efforts pour se dégager, mais la pression qu’il exerçait sur elle était trop forte et tous ses membres étaient bloqués.

Sentant qu’elle commençait à suffoquer, elle cessa de hurler et de remuer, pour préserver son souffle, puisqu’elle se savait de toute manière incapable du moindre mouvement pour reprendre le dessus. Résister était vain.

Voyant qu’elle s’épuisait, Romickéo, hors d’haleine, raffermit l’étreinte de son coude autour de ses poignets, et commença à fouiller la pièce autour d’eux de sa main libre, tandis qu’il maintenait sa prise sur elle de l’autre.

Dans la pénombre que seuls éclaircissaient les contours lumineux de la porte, il se saisit d’un chiffon, et entreprit de l’enfoncer dans la bouche de Gaëlla. Cette dernière tenta de bouger la tête et de sceller ses mâchoires, mais il exerça une pression sur son menton qui réveilla la douleur de son hématome, et elle se mit à hurler à la mort.

Romickéo profita de l’occasion pour fourrer le morceau de tissu dans sa bouche grande ouverte, puis retourna à sa fouille du local de sa main de nouveau libre. Il trouva de plus longs chiffons, et se mit à attacher les poignets de la jeune fille entre eux. Gaëlla eut beau essayer de remuer les bras, elle se retrouva ligotée en un instant.

Un goût âcre de produit chimique lui piquait la langue et le palais, et le tissu dans sa bouche lui donnait envie de vomir. Des larmes de rage et de détresse roulèrent sur ses tempes.

Je vais mourir, pensa-t-elle, dévastée. Si mon heure n’était pas venue au moment de l’attentat, c’est maintenant qu’elle se présente…

En quelques gestes fébriles, de la sueur baignant son front plissé par la concentration, Romickéo noua un autre tissu autour de ses chevilles. La griffure que Gaëlla lui avait fait sur le nez saignait sur son sweat sombre, et sa pommette avait viré au grenat.

Croisant son regard anéanti par le chagrin et l’angoisse, le jeune homme se figea un instant au-dessus d’elle. Ses propres traits exprimaient l’accablement le plus profond. Des larmes jaillirent à leur tour au coin de ses yeux verts, mais il se détourna aussitôt en étouffant un sanglot ; et se redressa sur ses cuisses.

Après une expiration dans laquelle transparaissaient son désarroi autant que son épuisement, il sembla marmonner quelque chose à lui-même, et se leva péniblement pour sortir du local.

Lorsque la porte se referma dans un bruit lugubre sur son passage, tel un funeste augure, Gaëlla songea fatalement :

Quand il va revenir, ce sera pour m’abattre. Pitié, faites que ce soit rapide, que je n’aie pas à souffrir trop longtemps…

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