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Plusieurs minutes s’écoulèrent. Dans le silence infernal de l’étroit local, Gaëlla tentait de ramper malgré les liens qui enserraient ses membres, pour fouiller l’espace autour d’elle, à l’aide de coups de tête effrénés.
Laborieusement, elle dégagea de son passage une ribambelle de produits ménagers et d’ustensiles d’entretien, inspectant chaque objet qui l’entourait, dans le but de trouver un outil tranchant.
Si elle n’avait rien qu’une seule main libre, elle pourrait se saisir d’une bouteille de produits chimiques particulièrement corrosifs, surprendre Romickéo en lui aspergeant le visage lorsqu’il reviendrait dans la pièce, puis se servir des manches à balais pour le frapper, avant de l’étrangler, se dit-elle…
La fureur et la frustration se mêlèrent à son désespoir croissant, et de nouvelles larmes coulèrent sur ses joues, tandis qu’elle continuait à se démener fébrilement pour repérer le moindre ustensile coupant.
Hélas, quelques instants plus tard, la lumière extérieure s’engouffra dans le petit local, annonçant le retour de son agresseur. Gaëlla ne cessa pas ses recherches pour autant et s’acharna plus ardemment encore, déterminée à ne pas se laisser tuer sans lutter jusqu’à son dernier souffle. Mais aucun outil dans la pièce ne semblait faire l’affaire pour servir d’arme, ou tout du moins d’un moyen de défense…
Elle poussa un cri de rage, étouffé par le tissu dans sa bouche, lorsqu’elle se sentit soulevée de terre, sans être capable de résister. Comme si elle n’avait été qu’une poupée de chiffon, Romickéo la plaça sur son épaule, maintenant ses jambes d’une main. Dans l’autre, il tenait la mallette de son EC. La jeune fille remarqua qu’il avait mis son manteau.
Il ne compte pas m’éliminer tout de suite, comprit-elle, mais s’il a l’intention de me trimballer dans la rue comme ça, je ne vais pas laisser passer ma chance d’attirer l’attention !
Soudain, pour la première fois depuis le début de leur lutte, il s’adressa à elle :
– J’aurais vraiment préféré que les choses se passent autrement, crois-moi, dit-il d’une voix où perçait une peine sans égale.
Ouais, c’est ça, espèce d’ordure ! fulmina intérieurement Gaëlla, à défaut de pouvoir le lui hurler en face. T’es qu’un salopard, une merde, tu mérites de crever comme le rat que tu es…
Même si tout avait pris une forme bien plus concrète, réelle en l’espace de quelques minutes, la jeune fille ne parvenait toujours pas à réaliser qu’elle côtoyait depuis des mois l’un des terroristes de l’entité rebelle qui mettait le pays à feu et à sang, sans rien soupçonner.
Elle se rappela cette nuit, après avoir fait plus ample connaissance avec lui, où elle s’était fait la réflexion qu’il avait le profil d’un révolutionnaire, membre d’un groupe obscur de conspirationnistes… Pourquoi n’avait-elle pas écouté son intuition, à ce moment-là ? Parce que je ne pouvais pas imaginer tout ça, évidemment, rationnalisa-t-elle, bouillonnante de rage. Et maintenant, voilà comment je vais finir…
Ils avaient quitté le local technique. Romickéo, la maintenant sur son épaule de sa main libre, avait entrouvert la porte du bar de l’autre, et jetait des coups d’œil nerveux à l’extérieur.
La jeune fille se forçait à rester docile, économisant le reste de ses forces pour tout donner une fois qu’ils seraient dans la rue. Elle ne voyait pas comment il s’en sortirait pour passer inaperçu dans cette situation, même en pleine nuit…
Après plusieurs minutes d’attente, resserrant sa prise sur Gaëlla, il ouvrit brusquement la porte, et se précipita sur le trottoir illuminé par un simple réverbère. Sa proie ne patienta pas plus longtemps pour se déchainer, et tenter de pousser des hurlements pour donner l’alerte ; cependant le chiffon, qu’elle ne parvenait toujours pas à cracher, étouffait une fois de plus sa voix.
– Désolé, murmura Romickéo, alors qu’il courait dans la rue plongée dans la pénombre et vraisemblablement déserte.
Avant qu’elle ne comprenne ce qui lui arrivait, la jeune fille se sentit chuter dans un conteneur aussi large qu’elle. Elle atterrit sur une surface amortie. Une odeur pestilentielle envahit aussitôt ses narines.
L’enflure ! enragea-t-elle, réalisant qu’elle avait été balancée aux ordures comme un vulgaire sac poubelle.
Le visage de Romickéo apparut au-dessus d’elle, à l’extérieur du large bac en plastique. Son expression affligée et ses cheveux en bataille disparurent de la vision de Gaëlla un instant plus tard, lorsqu’il rabattit le couvercle du conteneur à déchets, la plongeant dans l’obscurité.
L’humiliation et une colère sans limite envahirent la jeune fille, tandis qu’elle ressentait les vibrations du sol indiquant qu’il trainait le conteneur à roulette sur la route.
Malgré ses efforts pour se débarrasser du chiffon coincé entre ses mâchoires, bloquant sa langue contre son palais, elle ne parvenait qu’à se donner encore plus envie de vomir, et l’odeur nauséabonde des ordures autour d’elle n’arrangeait rien.
Elle se contenta alors de pousser des cris étouffés – bien que consciente qu’avec le bruit sourd des roulettes sur le goudron, elle pouvait aussi bien s’évertuer à chanter l’hymne national –, et de donner des coups dans la surface en plastique, de ses deux pieds liés.
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