40

4 minutes de lecture

Le trajet lui parut durer des heures, mais elle ne faiblit pas, portée par l’énergie du désespoir, et l’adrénaline que lui octroyait son instinct de survie.

Même si ça l’avait répugnée, elle avait tenté de percer les sacs poubelle qui l’entouraient de ses ongles, dans l’espoir de mettre la main sur un morceau de verre, ou le couvercle acéré d’une boite de conserve, mais ses doigts fébriles n’avaient rencontré que des surfaces molles et souillées. Au pif, elle avait imaginé qu’il s’agissait de couches-culottes sales, mais préférait se persuader que ce n’était qu’un mauvais tour de ses sens. Les relents qui émanaient des sacs étaient tous mélangés, après tout.

Sa préoccupation première restait néanmoins de se faire repérer, en cognant aussi fort que le lui permettaient ses liens, contre les parois du conteneur, mais plus le temps passait, plus elle désespérait qu’on lui vienne en aide, à ce stade de la nuit.

Elle avait espéré qu’à force de remuer, les nœuds qui retenaient ses membres finiraient par se détacher, mais Romickéo semblait les avoir serrés avec une poigne herculéenne, et la pression sur ses poignets et chevilles était très douloureuse.

Enfin, alors qu’elle commençait à se demander s’il ne valait pas mieux qu’elle trouve un moyen de se suicider à la première occasion, pour éviter la mort lente et douloureuse que risquait de lui faire subir son ravisseur, le bac à ordures s’immobilisa.

Le roulement caverneux et continu qui avait vrillé dans ses oreilles pendant ce qu’elle avait estimé durer deux heures, cessa du même fait. Gaëlla saisit cette opportunité de silence pour renforcer plus virulemment que jamais ses chocs contre les parois qui l’emprisonnaient au milieu des poubelles.

Le large couvercle s’ouvrit soudainement, découvrant le ciel brillant d’étoiles. La tête de Romickéo apparut au-dessus du bac. Son regard était triste et vide, il paraissait désœuvré. Les légères blessures que lui avaient infligé Gaëlla s’étaient atténuées, pourtant il semblait quand même souffrir.

– Je n’avais pas le choix, dit-il dans un souffle.

Gaëlla ignorait s’il s’adressait plus à elle qu’à lui-même, et se jura de le faire payer à la moindre occasion. Elle se laissa soulever par les épaules, lorsqu’il se pencha pour l’extraire du conteneur, et posa prudemment ses pieds au sol.

Un peu chancelante, elle sentit le tournis la désorienter un instant. Lorsqu’elle regarda autour d’elle, elle constata que ses derniers coups furieux contre le bac étaient vains : ils étaient au beau milieu d’une immense décharge à ciel ouvert.

Par terre, des boulons, des ressorts rouillés jonchaient une allée jalonnée de vieilleries en tout genre, de matériel de mécanique cassé, d’appareils électroménagers désuets et hors d’usage. Des monticules de ces reliques du passé, et des tas de ferraille de plusieurs mètres les entourait.

Le lieu parfait pour se débarrasser d’un corps…, songea sombrement Gaëlla, plus terrassée par le désespoir que jamais.

Si elle n’avait réussi à alerter personne sur leur chemin, ce n’était pas dans un endroit aussi isolé qu’elle risquait d’être entendue, ou vue. À l’horizon, elle distinguait les gratte-ciels de la ville, à plusieurs kilomètres de loin.

Elle supposa qu’une fois qu’il l’aurait achevée – sans doute à coups répétés de glacière usagée ou d’autres ustensiles abandonnés –, Romickéo éparpillerait les morceaux de son corps aux quatre coins de la décharge. Et personne ne lui viendrait en aide à temps, il était trop tard, désormais…

Pourtant, elle ne pouvait toujours pas se résoudre à baisser les bras, à définitivement perdre foi, en dépit de la situation plus que catastrophique.

Tout ce qu’elle espérait, c’était que l’enregistrement de la caméra de surveillance du Bitonio soit rapidement visionné, lorsqu’on se rendrait compte de sa disparition. Si on la remarquait…

Une pointe douloureuse traversa le cœur de la jeune fille lorsqu’elle se demanda qui, parmi ses proches, serait susceptible de donner l’alerte. Sans doute pas Rob, qui était désormais habitué à ses absences en cours, ni ses autres camarades… Hona la contacterait-elle prochainement, et s’inquièterait-elle si elle ne lui répondait pas ? Mais combien de temps lui faudrait-elle alors pour songer à prévenir les secours, si toutefois cette pensée lui venait à l’esprit ? Elle songerait probablement que Gaëlla avait juste envie d’être seule, plongée dans une nouvelle phase de déprime.

Au cours de la route, bringuebalée dans le conteneur à ordures, Gaëlla avait à de nombreuses reprises tenté d’activer son e-wrist, mais ses mains liées, opposées l’une contre l’autre, l’en avaient empêché. Elle n’avait même pas cherché à le déverrouiller avec son nez, ou une autre partie de son corps : seules ses empreintes digitales, sous la pulpe de ses doigts, fonctionnaient pour utiliser son ­e-wrist, afin d’éviter les manipulations involontaires dues à d’éventuels frottements, dans ses mouvements quotidiens.

Romickéo, qui la retenait en la soutenant sous les épaules, la mallette de son EC dans une main, se racla soudain la gorge, puis déclara :

– Je te préviens, ce n’est pas le luxe, mais je vais tout faire pour que tu ne sois pas trop mal installée. En tout cas, même si ce n’est pas dans les meilleures conditions, bienvenue chez moi…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hedwige et sa plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0