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Lorsque Gaëlla ouvrit les paupières, elle se demanda d’où provenait cette légère odeur de moisi qui emplissait ses narines, et où elle se trouvait.
Puis les flashs de ses découvertes de la veille, la lutte avec Romickéo, son enlèvement jusqu’à la décharge et la cabane, lui revinrent en un éclair.
La lumière qui filtrait de la fenêtre fissurée tombait en rayons dans la petite pièce. Elle s’empressa de dégager la couverture qui la recouvrait d’un mouvement de ses bras toujours liés, aussitôt en alerte.
Elle ne pensait pas s’être endormie, et la panique la saisit à l’idée qu’elle avait été plus vulnérable que jamais en présence de…
Romickéo la fixait d’un regard endormi, avachi sur sa chaise, posté devant la porte comme un garde en faction.
– Tu n’as pas eu trop froid ? l’interrogea-t-il d’une voix enrouée.
Gaëlla l’ignora. Elle baissa les yeux sur ses poignets endoloris par la pression exercée par le torchon noué.
– Ma circulation est coupée, dit-elle d’un ton sec, tu comptes me laisser perdre mes membres à petit feu ?
Des tas de questions se bousculaient dans son esprit. Qu’attendait-il d’elle ? Pourquoi ne s’était-il pas encore débarrassé d’elle ? Quel était son dessein, s’il en avait un ?
– Désolé, je peux chercher un meilleur moyen… des chaînes, peut-être ? Il doit y en avoir dans la décharge.
– T’es un grand malade, le rembarra-t-elle, les yeux emplis d’un dégoût infini.
Romickéo se passa une main sur son visage chiffonné par la fatigue et s’essuya les yeux en soupirant. Gaëlla profita de son inattention pour explorer l’espace désormais baigné de lumière du regard.
Une manche de pull dépassait du placard en face du matelas. Derrière elle, la bougie était posée sur la table poussiéreuse, à côté de la mallette contenant l’EC de Romickéo. Une poignée de couverts dépassait d’un étroit bac en plastique troué, près de l’évier. Si elle pouvait se saisir d’un couteau…
Son estomac émit un puissant gargouillis qui la ramena à son corps. Elle avait refusé de manger plus tôt, dans la nuit, mais elle était si affamée qu’elle se sentait proche du malaise, et regrettait désormais de ne pas avoir croqué une carotte à son tour.
Elle était étonnée d’être parvenue à trouver le sommeil, malgré sa panique, sa faim, le froid humide de la cabane, et sa vigilance pour ne pas lâcher Romickéo du regard. L’adrénaline retombée, le contrecoup des événements avait dû avoir raison d’elle au cœur de la nuit…
Romickéo, qui avait entendu son ventre gargouiller, se pencha vers le placard d’où il avait tiré sa carotte et lui tendit une miche de pain, une cuillère et un pot de confiture.
Cette fois, Gaëlla ne rechigna pas. Elle coupa le pain avec ses mains ligotées, étala la confiture sur une demi-douzaine de tranches inégales, et avala les tartines les unes après les autres.
Une fois repue et une indécente dose de sucre dans le sang, elle demanda à Romickéo où se situaient les toilettes, puisqu’elle n’en voyait pas dans la cabane.
– La forêt, se contenta-t-il de répondre.
– Je voudrais aussi prendre une douche, dit-elle d’un ton abrupt, ne me dis pas que c’est que quand il pleut ?
– Non, mais je récupère l’eau de pluie. Il y a une cuve reliée à un tuyau, un peu plus loin, dans les fourrés.
Il l’aida à descendre l’échelle de corde, puis lui indiqua le chemin et détacha ses liens. Gaëlla l’insulta lorsqu’il resta planté devant les buissons, qui lui arrivaient au cou.
– Quoi ? répliqua-t-il. Je ne vois que ta tête !
La jeune fille continua à le maudire tout bas, mais se déshabilla et fit couler l’eau fraîche du tuyau sans chercher à négocier. Elle frémit à son contact, mais retint son souffle et la laissa ruisseler sur son corps endolori. Les marques sur ses poignets et chevilles la brûlaient. Elle s’empressa de se savonner, puis de se rincer.
Un instant, elle songea à fuir en courant, à présent qu’elle était libre de ses mouvements. Mais elle se sentait trop faible pour cela, et ne se voyait pas s’élancer hors du buisson nue comme un ver… De toute façon, Romickéo était trop proche, il la rattraperait aussitôt, se raisonna-t-elle en serrant les dents. Plus tard, elle trouverait le bon moment…
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