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Sa robe à volants empestant les ordures, son ravisseur lui avait proposé de prendre des vêtements propres de son armoire, aussi se vêtit-elle d’un pull noir trop long et d’un pantalon de jogging qui lui tombait sur les pieds.
Lorsqu’elle émergea des buissons, frissonnante de froid dans l’humidité de la forêt, elle ne put s’empêcher de remarquer à quel point les lieux étaient paisibles. La décharge, un peu plus loin, gâchait à peine l’harmonie que dégageait le bosquet.
Le tapis de mousse et de feuilles qui l’entourait craquait dans un doux murmure sous ses pas, les branches des arbres, encore empreintes de rosée, bruissaient au rythme de la brise matinale.
C’est beaucoup trop calme et paumé pour que quelqu’un passe dans le coin par hasard…, se fit-elle la réflexion avec amertume.
Romickéo tendit vers elle une corde et dit en faisant la grimace :
– Ce n’est pas l’idéal, mais ce sera mieux que les chiffons.
Elle ne se gêna pas pour le traiter de tous les noms, mais elle savait que résister ou fuir était inutile. Elle pesta en se retrouvant à nouveau pieds et poings liés.
Romickéo l’escorta jusqu’à la cabane, puis, une fois installé sur sa chaise, devant la porte, et elle sur le matelas moisi, il lui dit :
– Il faut qu’on parle.
– Oui, j’avais compris que tu y tenais vraiment, ironisa Gaëlla.
Elle lui accorda un regard rempli de mépris.
– Je sais que j’ai une grande culpabilité, commença-t-il d’une voix étouffée, mais j’espère que les précisions que je pourrais t’apporter t’aideront à mieux comprendre la situation…
– Mais qu’est-ce que j’en ai à faire, de mieux te comprendre ? aboya Gaëlla. Je sais ce que j’ai vu, hier, c’est tout ce que j’ai besoin de comprendre !
– Tu as vu le groupe de discussion, les messages échangés, n’est-ce pas ?
– Oui, tu fais partie du groupe de terroristes qui ont fait sauter le Centre des Séances d’Approche ! Les rats qui sont aussi sûrement à l’origine de tous les bugs électroniques dans le pays depuis des semaines !
Le souvenir du jour où elle avait discuté de ces problèmes généralisés avec le jeune homme lui revint en mémoire.
– « Moi, j’ai que de l’eau froide », cita-t-elle d’un ton moqueur en reprenant ses paroles à ce moment-là. Ouais, je comprends mieux, tu vis comme un ermite, à l’écart du monde, et tu as planifié toutes ces horreurs avec d’autres rats dans ton genre, pour vous venger de ne pas en faire partie !
Romickéo avait le visage fermé et ne croisait pas son regard.
– C’est ça, hein ? insista-t-elle, les traits déformés par la haine. Parce que vous êtes juste des déchets de la société, comme la décharge où tu vis, vous avez décidé de tout foutre en l’air et de vous défouler sur des innocents ! Les Édiles de l’Ombre, tu parles ! Vous êtes même pas dignes qu’on vous traite comme des cafards !!
Elle lui cracha à la figure, le tirant de sa torpeur. Il s’essuya la joue sans un mot, puis soutint enfin son regard.
– S’il te plait, murmura-t-il d’une voix brisée, laisse-moi juste… te donner le contexte, t’expliquer le pourquoi…
– J’ai rien d’autre à faire, le coupa-t-elle, alors je vais te laisser gaspiller ta salive, mais ne compte pas sur moi pour te plaindre et compatir à ton récit. Qui doit être déchirant, n’est-ce pas ? Tu as été battu toute ton enfance, ou un truc comme ça, alors ça te donne la légitimité de faire subir les autres ? C’est ça, ton contexte, ton excuse ?
Elle vit Romickéo serrer les dents.
– Non, dit-il. Je veux juste… Peu importe. Je ne pourrais jamais te forcer à voir mes justifications comme une défense valable. Parce qu’il n’y en a pas pour ce que j’ai participé à faire.
Il prit une inspiration sous le regard glacé de Gaëlla et se lança.
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