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 Les minutes s’écoulèrent, sans que ni l’un ni l’autre ne prenne la parole. Romickéo contemplait le parquet élimé et rongé par les insectes, l’air accablé, et Gaëlla fixait le vide, l’esprit envahi par le néant. Si elle avait su quel genre de personnage était ce type qui « faisait de la programmation » dans son coin au Bitonio

« Un projet de logiciel en développement », se rappela-t-elle avec fureur en repensant au mensonge servi par Romickéo lorsqu’elle l’avait interrogé sur ses occupations.

– Gaëlla…, tenta le jeune homme en relevant à-demi la tête pour la regarder en face.

– Quoi que tu aies voulu faire, tu fais partie du groupe de terroristes, le remballa-t-elle. Et je me fous de tes excuses bidon de bonne volonté, de tes histoires d’endoctrinement… Ça ne change rien à l’issue des événements. Ni à ma situation actuelle.

Il ne renchérit pas et le silence retomba. Gaëlla, tremblante de hargne, aurait volontiers retourné chaque objet dans la cabane, avant de les lui jeter en pleine figure.

Malgré l’humidité de la petite pièce, la fureur qui bouillonnait dans son ventre maintenait une chaleur sournoise en elle.

Méritait-elle son sort ? Elle ne s’était sûrement pas toujours bien comportée dans sa vie, mais cela faisait-il d’elle une mauvaise personne pour autant ?

Non, certainement pas ! C’est injuste !

Elle décida qu’elle tenterait de fuir avant la tombée de la nuit. Elle ne comptait pas moisir dans cette bicoque jusqu’à ce que mort s’en suive, aux côtés de ce timbré de Romickéo !

Mais pour mettre toutes les chances de son côté, elle ne devait rien laisser paraître jusqu’à saisir la bonne occasion…

Romickéo se leva alors. Gaëlla frissonna, l’adrénaline traversa son corps dans une décharge instinctive.

– Je vais couper du bois, annonça-t-il, avant de sortir de la cabane.

Dès qu’il fut au pied du chêne, Gaëlla guetta chacun de ses mouvements, fébrile.

Allez, va ramasser des branches dans la forêt ! l’encouragea-t-elle mentalement.

Mais l’ermite ne s’éloigna pas et dégaina une hache rouillée d’un abri à bois proche, où s’entassaient des bûches. Impossible de descendre de la cabane sans qu’il ne s’en aperçoive… Au grand dam de la jeune fille, il passa les deux heures suivantes à fendre les rondins, entre claquements du métal contre le bois et grognements d’effort.

Alors qu’elle commençait à somnoler, le bruit de la hache cessa. Un Romickéo écrevisse passa le pas de la porte quelques instants plus tard, sans lui accorder un regard.

Il s’approcha de l’évier craquelé de la cabane, fit couler une eau brunâtre plusieurs secondes, avant qu’elle ne soit remplacée par un mince filet trouble, et s’en aspergea la face avec vigueur.

Gaëlla faillit lui faire remarquer que son hygiène était comparable à celle d’un Bouvier Bernois – pour ce qu’elle savait de cette espèce éteinte –, mais se ravisa juste à temps. Afin de l’amener à baisser sa garde, elle songea qu’elle avait tout intérêt à aller dans son sens et brosser le clébard dans le sens du poil.

– C’est pas trop dur, de vivre dans ces conditions ? l’interrogea-t-elle plutôt, d’un ton faussement compatissant. Depuis quand es-tu installé ici, d’ailleurs ?

Romickéo se racla la gorge et cracha dans l’évier quelque chose que Gaëlla préféra ne pas regarder, avant de répondre :

– Ça va faire six ans. Je capte l’électricité de temps en temps, avec de vieux panneaux solaires dans la décharge, alors je m’en sors, mais avant c’était la vraie misère.

– Quoi, plus précaire que ça ?

Le terroriste essuya son visage rougi de sa manche souillée de sueur, et Gaëlla réprima une grimace de dégoût.

– Oh oui, bien plus. J’ai vivoté une partie de mon adolescence en bossant dans tous les bouisbouis qui voulaient bien de mon aide et en dormant sous des ponts, jusqu’à tomber sur cette décharge, à mes seize ans.

– Ça a dû être… terriblement dur, feignit de s’émouvoir la jeune fille.

Romickéo lui jeta un regard soupçonneux et ne lui répondit pas.

Je vais devoir être plus subtile, si je veux m’en tirer…, se réprimanda-t-elle. S’il se doute de ma manœuvre pour l’amadouer, c’est mort.

– Il va falloir prévoir notre repas du soir, déclara-t-il alors. Je ne peux pas te laisser seule dans la cabane, tu comprends… Donc tu vas devoir m’accompagner pour la chasse.

Le cœur de Gaëlla s’accéléra. Une sortie dans la forêt ! C’était sa chance vers la liberté…

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