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Ils évoluaient en silence au milieu des arbres depuis vingt bonnes minutes. À chaque pas, Gaëlla faisait de son mieux pour ne pas trébucher sur une pierre ou une racine, en dépit de ses liens. Romickéo progressait à allure mesurée, quelques mètres devant elle.

En quittant la cabane, une bouffée d’espoir l’avait envahie en s’imaginant semer son ravisseur au cœur des bois pendant leur sortie, mais avait vite déchanté lorsqu’il avait sorti un vieux fusil tordu du placard.

– Y a aucun animal, dans ce coin, râla-t-elle d’une voix forte, frustrée de ne pas pouvoir marcher plus vite.

– Chut ! Évidemment qu’il n’y en a pas, vu le boucan que tu fais depuis tout à l’heure…

– Quoi ? s’insurgea-t-elle. Si j’avais les pieds libres, je pourrais être bien plus discrète, espèce de…

Elle s’interrompit, choisissant de conserver sa stratégie de ne pas s’opposer au terroriste. Peut-être finirait-il même par la libérer de ses entraves par dépit ou compassion ?

– Tu rêves si tu penses que je vais rentrer dans ton jeu, rétorqua Romickéo sans se retourner.

La jeune fille serra les dents et jura en son for intérieur. Pour s’empêcher de l’insulter, elle tenta de se concentrer sur ses pas.

Au bout d’une demi-heure infructueuse supplémentaire, ils s’immobilisèrent au centre d’une clairière. Romickéo paraissait exaspéré, ce qui la fit jubiler secrètement.

– Bon, ça ne sert à rien, décréta-t-il. Ce n’est pas toi, je sais, moi aussi je serais gauche avec des attaches aux pieds…

Une fois de plus, elle prit sur elle pour ne pas répliquer vertement. Elle n’en pouvait plus d’avancer à la même allure qu’une limace, ce qui la fatiguait d’autant plus et tirait sur ses mollets. À ce rythme, ils auraient du gibier dans leur assiette pour le réveillon, si toutefois ils étaient de retour à la cabane avant…

– Et qu’est-ce que tu manges, quand tu rentres bredouille de la chasse ? s’enquit-elle. Tu jeûnes ?

– Je fais pousser quelques trucs près de la cabane, et sinon je me débrouille pour avoir toujours quelques provisions d’avance. J’achète des boîtes en ville, surtout l’hiver, où les proies se font rares.

Il contempla son vieux fusil d’un air dépité, puis dit :

– J’ai posé des pièges aux quatre coins de la forêt hier matin, on va faire le tour, même si jusque-là sur notre chemin, aucun n’avait été déclenché. Ça va, tu tiendras le coup ?

Gaëlla grommela une vague réponse, et ils se remirent en route tant bien que mal, plus lentement que jamais.

Le soleil avait décliné lorsqu’ils trouvèrent enfin un collet dans lequel une martre s’était faite prendre. Romickéo décrocha la pauvre bête d’un mouvement habile, un rictus triomphal aux lèvres.

– Et ça se mange, ce truc ? demanda Gaëlla, peu impressionnée.

Son ravisseur fourra leur prise dans une besace qu’il portait en bandoulière, du côté opposé de son arme, puis remit le collet en place avec précaution.

– Ce sera toujours mieux que rien. Allez, on continue, il reste quelques pièges à vérifier.

La jeune fille soupira mais masqua son agacement. Ils reprirent leur fastidieuse avancée dans les fourrés, tandis que les ombres des arbres s’étiraient autour d’eux.

Après quelques minutes de marche, Gaëlla sentait qu’elle faiblissait. Son écart avec Romickéo, qui ne décélérait plus pour l’attendre, se creusait de plus en plus au fil de leur progression.

Songeant que le moment était venu pour tenter de fuir, elle ralentit encore davantage la cadence, en faisant le moins de bruit possible.

Le fusil se balançait dans le dos de son ravisseur, au rythme de ses pas. La jeune fille estima que si elle parvenait à le distancer suffisamment sans qu’il s’en aperçoive, il n’aurait sans doute pas le temps de la viser au milieu des arbres, dans le crépuscule.

Saisissant son courage à deux mains, elle jeta un dernier regard devant elle. Dix bons mètres la séparaient du terroriste, qui poursuivait toujours sa marche sans se soucier de son retard. C’était le moment ou jamais.

Elle tenta un pas en arrière. Un deuxième. Une branche craqua sous son pied. Elle se figea aussitôt, pétrifiée. Après un court instant d’effroi où elle s’imagina criblée de balles, elle constata avec soulagement que Romickéo semblait n’avoir rien entendu.

Pressée par l’urgence de déguerpir tant qu’il avait le dos tourné, elle s’empressa de reculer derrière le buisson qu’elle venait de dépasser. Une fois à couvert, elle ne perdit pas une seconde et se contorsionna pour tenter de défaire les cordes qui enserraient ses genoux. Elle était consciente qu’elle serait incapable de s’en sortir avec les foulées ridicules qu’elle était en mesure de faire dans sa condition. Courir était son unique salut. Avec de la chance, les ombres se confondraient dans l’obscurité qui plongeait sur la forêt, et Romickéo ne la retrouverait pas.

Elle força sur les nœuds de la corde jusqu’à les sentir se délier entre ses doigts tremblants, et se dépêtra dans des mouvements que la panique rendait désordonnés. La corde tomba à ses pieds. Libre ! Elle se redressa derrière le buisson, prête à prendre ses jambes à son cou, mais ses yeux rencontrèrent une ombre imposante lorsqu’elle releva la tête, et elle poussa un cri. Dressé face à elle de l’autre côté du buisson, Romickéo la tenait en joue.

– Tu crois que je ne m’étais pas aperçu de ton manège ?

L’affolement la saisit. Son instinct de survie ne parvenait pas à se décider entre laisser ses jambes courir et s'incliner face à la menace de l’arme. Ses genoux se dérobèrent au moment où elle choisit la fuite. Elle se retrouva au sol, tremblante de la tête aux pieds.

Romickéo la somma de se relever. Elle tenta de balbutier une excuse pathétique, et dût mettre toute la volonté du monde pour parvenir à se remettre debout. Ce fut blême et chancelante qu’elle fut contrainte de reprendre la marche, mais surtout le moral plus bas que jamais.

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