48

4 minutes de lecture

Gaëlla n’en menait pas large tandis qu’ils rentraient à la cabane ; elle devant, Romickéo derrière, le canon du fusil pointé dans son dos.

Sa tentative d’évasion ratée avait singulièrement jeté un froid, et ils étaient restés silencieux tout le reste du trajet.

Une fois la porte branlante refermée derrière elle, Gaëlla se sentit comme la martre dont le piège avait scellé le sort.

Aussitôt débarrassé de son arme, qu’il déchargea et rangea dans le placard, Romickéo dégaina une lame et entreprit de dépecer leur unique prise.

– Je vais préparer le feu, en bas. Autant te dire qu’on ne va pas manger tout de suite…

Gaëlla acquiesça d’un hochement de tête et s’affala sur le lit moisi, lessivée. Elle attendit que son ravisseur lui apporte son dîner : un morceau de martre de la taille d’un poing d’enfant, dur comme du bois, assorti d’une carotte cuite aux braises et d’une tranche de pain sec.

– Je préfère trop cuire ce genre de bestioles que choper une cochonnerie, grommela Romickéo lorsqu’elle lui fit la remarque que sa viande était brûlée.

Une fois leur portion avalée, un long silence s’abattit sur la cabane. Seuls les bruits de la nature par-delà la fenêtre au carreau craquelé troublaient la quiétude apparente des lieux, tandis que l’obscurité achevait de gagner la forêt.

Romickéo finit par allumer une bougie. La flamme vacillante fit étinceler ses yeux verts et la tristesse qui les animaient. Leur regard se croisa, puis il se recula dans l’ombre pour s’assoir contre la cloison de bois, un genou fléchi, l’autre jambe tendue sur le parquet taché d’humidité.

– Pourquoi j’ai bu cette bière en poudre ? soupira-t-il soudain.

Gaëlla leva la tête pour le fixer, sans laisser transparaitre la moindre émotion.

– Si je n’avais pas ouvert ma grande bouche ce soir-là, tu n’aurais pas voulu en savoir plus sur mes idées de marginal…

– Et alors ? répliqua la jeune fille. Ça n’aurait rien changé, l’attentat aurait quand même eu lieu.

– Oui, mais on serait des inconnus l’un pour l’autre, puisqu’on n’avait jamais vraiment échangé avant. Et je ne t’aurais pas embarquée dans ce cauchemar…

Après un instant d’hésitation, Gaëlla choisit de mettre sa rancœur et sa fierté de côté.

– Pourquoi tu as décidé de te livrer sur tes opinions clandestines, quand j’ai insisté pour développer le sujet ? Tu étais sobre, cette fois-là. Tu as pris le risque de m’entrainer dans tout ça, lui reprocha-t-elle.

Elle sut qu’elle avait touché un point sensible, car elle vit le terroriste s’agiter nerveusement.

– J’aurais voulu te préserver… Mais face à ton obstination et ton enthousiasme, je…

– Ne me remets pas la faute de ton mauvais choix sur le dos, le coupa-t-elle avec froideur.

– Non, pardon. C’est que… je comptais camper sur mes positions et ne rien te dévoiler, comme je l’ai toujours fait. Mais j’avais l’impression que tu étais différente, qu’au fond de toi, sans en être vraiment consciente, tu pensais comme moi.

– Retire ça tout de suite, l’illuminé ! Comment oses-tu nous comparer, se révolta Gaëlla, tu n’es qu’un terroriste, peu importe qui t’as manipulé, ça ne t’excuse pas !

– Je n’ai pas voulu le tourner comme ça, tu comprends ce que j’entends par là. C’était la première fois que je pouvais être utile en partageant mon point de vue, la première fois que j’avais trouvé quelqu’un de sincère et de désintéressé, je l’avais compris en creusant tes motivations.

– Oui, la première fois, répéta-t-elle, à part celle où tu as fait la même chose avec des types qui t’ont retourné le cerveau, tu veux dire. Tu les croyais sincères aussi, c’était bien ta « famille », non ?

Romickéo se renfrogna et ne réagit pas tout de suite. Il tritura un copeau de bois qui dépassait de la cloison, puis répondit à voix basse :

– Tu as raison. Ne va pas croire que j’essaye de jouer la victime dans cette histoire, mais je suis conscient de ma naïveté. Elle vient elle-même de mes efforts désespérés pour combler ce privilège dont j’ai été privé : une famille, justement. Sauf que ça m’amène à faire n’importe quoi. Et c’est comme ça que j’ai fait les pires erreurs dans ma vie…

– Tu ne joues pas la victime, c’est clair, ironisa Gaëlla.

Depuis que sa tentative de fuite avait échoué, elle avait conclu qu’il était inutile de chercher à l’avoir par les sentiments pour l’amener à baisser la garde.

– Je sais que personne, depuis la Guerre Propre, n’a de véritable famille, dit Romickéo, mais dans l’injustice de notre système, la plupart des enfants atterrissent tout de même dans un foyer, plus ou moins aimant je te l’accorde, mais une famille quand même.

– Qu’est-ce que tu veux dire par « la plupart des enfants » ? Tous les nourrissons quittent le Quartier des Pouponnières à trois mois, pour être élevés par un couple éleveur.

Le jeune homme secoua la tête en émettant un ricanement désabusé.

– Eh bien, c’est peut-être un peu tard, mais quand j’ai évoqué les inégalités cachées entre les citoyens, lors de notre premier échange, c’était avant tout à ça que je faisais référence. Le gouvernement ne l’affiche pas publiquement, mais il arrive qu’il y ait des bugs dans la répartition des enfants. Le système a beau être une machine bien huilée, sur une masse aussi énorme de citoyens, il y a toujours quelques soucis de temps en temps.

– Quelques soucis ? Comme quoi ?

Après un soupir résigné, Romickéo répondit, sans la regarder :

– Je ne sais pas si ça t’intéresse de savoir ça, mais quelques semaines après ma naissance, je suis tombé très malade, au point qu’on m’a déclaré mort et… jeté. À ce jour, je ne sais toujours pas si c’est arrivé parce qu’on m’a réellement cru décédé par erreur médicale, ou si j’ai été estimé inapte à servir la société, et qu’on s’est débarrassé d’un maillon faible.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hedwige et sa plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0