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Gaëlla l’arrêta d’un geste de la main, perplexe.

– Attends, quand tu dis que tu as été jeté, c’est-à-dire ? Et comment ça, les enfants malades sont supprimés… ?

– Je ne sais pas si c’est le cas, justement. Et concernant mon élimination, oui, on m’a balancé dans une boîte, en guise de sépulture. Le destin a fait que j’ai été retrouvé par des zoneurs, qui s’introduisaient régulièrement dans les locaux du Quartier des Pouponnières, pour voler du lait et le revendre – tu sais à quel point c’est une matière première précieuse –. J’ai donc grandi sans parents éleveurs, avec une poignée de marginaux.

Gaëlla tenta de masquer sa surprise face à ce témoignage et rétorqua, après quelques secondes de silence :

– Mais du coup, de quoi tu te plains, puisque tu as été recueilli ?

– Ils n’avaient pas pris une bouchée supplémentaire à charge par pure charité, au départ je te rappelle que c’étaient des bandits, qui tentaient juste de s’en tirer. Disons qu’ils n’étaient pas les plus tendres, et avec leurs diverses addictions, je ne les ai pas beaucoup connus sobres, ni avec toute leur tête. Plus de neurones ravagés par les drogues que de sains, malheureusement… J’ai quitté leur bande au début de mon adolescence, pour me débrouiller seul. Un choix que je n’ai jamais regretté, figure-toi. Je sais que la plupart sont morts aujourd’hui, de toutes les façons atroces imaginables.

Gaëlla sentit une bourrasque traverser la fenêtre à la vitre brisée et frissonna.

– Comment tu as fait pour survivre ?

– Pour m’en sortir après mon départ, j’ai rapidement appris à utiliser les outils technologiques. J’étais un bug du système, alors devenir hackeur était une voie toute tracée, même si j’ai découvert mes origines plus tard, en piratant justement le système pour retracer mon histoire. Tu comprends peut-être mieux pourquoi je le hais autant, après ce qu’il m’a fait, et toutes les failles qu’il cache. Et je ne suis pas un cas isolé…

Le jeune homme s’avança dans la lumière de la bougie, qui projetait des ombres tremblotantes sur les parois de la cabane, et remonta ses genoux contre son torse. Sa voix se fit plus rauque lorsqu’il poursuivit son récit.

– Mais si je n’ai jamais pu m’insérer dans la société, si je suis contraint de payer avec une vulgaire carte de crédit, si je suis exclu partout, c’est parce qu’il me manque quelque chose que tout le monde, ou presque, possède.

– De la dignité ? se moqua Gaëlla.

Romickéo balaya l’insulte d’un mouvement de la tête et précisa :

– Quelque chose qui régit la vie des citoyens, qui représente et condense tout ce qu’ils sont dans quelques millimètres de matière.

Il pointa du doigt le poignet de la jeune fille.

– Et qui se loge juste là.

Gaëlla baissa machinalement le regard sur son avant-bras.

– Tu n’as pas de puce, dit-elle.

Le silence en retour fut sans équivoque.

– Parce qu’on l’implante aux nourrissons quelques mois après la naissance, pour qu’ils soient ensuite confiés à des couples éleveurs. Et qu’on t’a écarté avant, déduisit-elle encore. Tu n’es répertorié, référencé, recensé… nulle part.

– Oui. Je suis un fantôme. Un bug dans la société, une erreur aux yeux de l’Etat.

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