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Son sang ne fit qu’un tour en s’imaginant rester barricadée dans cette masure avec le terroriste jusqu’à la fin de ses jours. À bas la discrétion, il fallait qu’elle sorte de là !
Sans bruit, elle se pencha au sol, où des bris de verre étaient tombés, et se saisit de l’un d’eux pour tenter de rompre ses liens.
Plusieurs minutes s’écoulèrent jusqu’à ce que la corde qui maintenait ses poignets céda.
Parfait, maintenant dénouer les chevilles ! Doucement…
En quelques mouvements, Gaëlla parvint à délier les nœuds autour de ses jambes, puis elle tira doucement la table à elle, centimètre par centimètre. Le bruit caverneux se perdait par chance dans les ronflements de Romickéo, mais la jeune fille ne voulait pas se précipiter, au risque de faire un mouvement brusque. Une goutte de sueur perla sur sa tempe lorsqu’elle monta sur la table pour se retrouver à hauteur de la fenêtre.
Avec toute la fermeté dont elle était capable, elle balança son poing recouvert de tissu à travers ce qui restait du carreau, qui se brisa avec bruit, et prit appui sur le rebord de la fenêtre avec son pied, recroquevillée dans l’encadrement, prête à basculer dans le vide.
Une exclamation derrière elle lui indiqua que Romickéo s’était réveillé, mais elle n’avait pas le temps de se retourner pour évaluer leur écart. Elle visa une épaisse branche du chêne, près de deux mètres en dessous d’elle, et sauta.
La sensation de chute ne dura pas. Dans un cri, Gaëlla atterrit sur la branche mais ne parvint pas à se stabiliser, et se sentit culbuter en avant.
Elle se réceptionna sur un tapis de feuilles mortes qui amortit quelque peu le choc, et resta étourdie quelques instants.
Elle entendit Romickéo crier son nom depuis la fenêtre, mais ne leva pas la tête et s’empressa de se relever. Un vif élancement lui traversa le genou lorsqu’elle prit ses jambes à son cou dans l’obscurité. Elle se précipita en direction de la décharge, tentant de faire abstraction de la douleur et de sa panique. Dans sa vision périphérique, elle perçut une forme s’élancer à sa poursuite au pied de l’échelle de corde de la cabane.
Comme électrisée, la jeune fille redoubla d’ardeur, repoussant les limites de son corps éprouvé, pour se ruer au milieu des dunes de déchets.
Si je le sème en zigzaguant entre les allées, il me perdra de vue et j’aurai une chance de m’en tirer, s’encouragea-t-elle.
Elle bifurqua ainsi à droite à la première intersection, puis à gauche à la suivante. Les monticules de vieilleries autour d’elle la protégeaient, et déjà, elle n’entendait plus les pas précipités de Romickéo derrière elle.
Elle enchaina plusieurs brusques virages supplémentaires pour brouiller les pistes, puis songea :
Maintenant, je dois gagner le couvert des arbres, en direction de la ville, le plus vite possible !
Elle parvint à la lisière de la décharge en quelques minutes, et s’autorisa enfin à jeter un coup d’œil en arrière. Romickéo n’avait pas pu suivre ses changements de direction, mais elle savait qu’il ne tarderait pas à rattraper son retard, avec l’avantage de sa connaissance des lieux.
Sans ralentir sa course, Gaëlla parcourut les derniers mètres qui la séparaient de la sécurité relative du bois, à l’horizon duquel se dessinaient les gratte-ciels de la ville dans la nuit claire.
Une fois au cœur du bosquet, la jeune fille décéléra légèrement l’allure pour reprendre son souffle et prendre garde à ses pas au milieu des racines. Elle n’avait pas l’intention de se tordre une cheville après tous ses efforts pour s’échapper…
Son sang bouillonnait dans ses veines, la blessure de sa chute la tiraillait, tout son corps protestait, mais elle ne devait pas s’arrêter.
Elle concentra ses efforts pour ne pas se laisser distraire par les dizaines de pensées qui l’assaillaient, et courut sans relâche jusqu’à voir une route apparaitre loin devant elle.
À cette vision, ses muscles relâchèrent la pression et elle trottina en zigzag pour rejoindre la coulée de goudron salutaire.
Ses pieds rencontrèrent la surface inflexible. Ce n’était pas un mirage.
Un rire nerveux, incontrôlable et dément, l’envahit alors.
Le cauchemar prenait fin.
Elle était sauvée.
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