Première anecdote
Il avait été adoubé localement grâce à son mariage corse. Il plaisantait avec tout le monde, pas de préférence, le café le matin à l’auberge du Col, l’apéro à midi à l’auberge des Aiguilles ; mais attention, "bon flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute" .
Un jour, Bébert descendit à la maison d’Arza.
- Dis-moi Mighé, tu es bien installé ici ?
- Oui Bébert.
- Et ça te plaît ici ?
- Bien sûr Bébert. C’est vraiment beau Bavella
- C’est pas faux… Et ta femme, Marie-Napoléone, elle se plaît ici ?
- Bien sûr Bébert, c’est un endroit magnifique.
- On le dit…Et ton fils, Marc-Antoine, pourquoi il est parti sur le continent ?
- Pour ses études, Bébert.
- Ah, pourquoi ? Il y a bien un lycée agricole à Sartène, non ? Alors… ?
- Pour une histoire de spécialité en production animale.
- Aïo, certainement... à Sartène il l’avait pas, cette spécialité… Mais dis moi, tu sais Mighé, cette maison elle en a vu passer des gardes… Il y en a eu des bien et des moins bien, comme partout… Tu sais Mighé, le temps passe mais c’est toujours différent… c’est vrai, c’est jamais pareil… Eh bien, il y a longtemps, du temps du chef de district Piétri, un bon garde celui-là...
- J’ai pas connu.
- Non, bien sûr Mighé. Mais à l’époque les temps étaient durs, il fallait s’entraider, tu sais.
- …
- Eh bien tu vois, ici il y a de l’espace…
- Oui… ?
- C’est vrai, regarde c’est grand.
- C’est vrai Bébert, le terrain de service, comme dans toutes les maisons forestières.
- Ah bon ? Mais Arza, c’est une maison forestière corse.
- …
- Et tu as vu, ici dans la forêt il y a des vaches…
- Mmm, comme dans beaucoup de forêts corses. Alors… ?
- Alors tu vois, en hiver c’est dur pour elles. Alors si je te laissais à l’automne quelques balles de fourrage, ça pourrait les aider. Il y a la place, ça serait bien ?
- Pourquoi, elles sont à toi les vaches ?
- On peut pas le dire… Disons que je les connais.
- Ça me gêne un peu Bébert.
- Pourquoi ? Ça rend service, c’est important.
- Oui mais si je fais ça pour toi, je serai obligé de faire autre chose pour quelqu’un d’autre. Et puis comme tu dis, je ne suis pas chez moi.
- Aïo, écoute, les autres c’est pas important. Et puis, au printemps, je te laisse un veau, tout découpé. Tu vois, il faut s’entraider. C’est bien, non ?
- Non Bébert, c’est une maison de l’administration, je préfère qu’il n’y ait pas d’interférence ; si tu comprends ce que je veux dire.
- Oïmé Mighé, tu es dur en affaires ! C’est bon, je te laisse deux veaux…
- C’est non Bébert. Jusqu’à preuve du contraire, c’est l’ONF mon employeur, et je ne souhaite pas être ton obligé. Et puis tu sais comment ça s’appelle ta proposition ?
- Dis moi, Mighé ? J’ai dit quelque chose qui t’a froissé ?
- Non... mais c’est de la prévarication.
- C’est quoi ça ? Comment tu me parles ? Je n’ai pas été désobligeant, tu me l’as dit. Alors ?…
- C’est le détournement de l’argent public pour des profits personnels.
- Oïmé !! Décidément Mighé, avec toi on ne peut pas discuter ! Tant pis. Mais peut-être qu’un jour tu reviendras sur ta décision, alors je serai là pour t’écouter. Mais ce sera à mes conditions.
- Merci Bébert. Mais je souhaiterais qu’on en reste là.
- C’est ton choix. Si tu as le temps, tu montes boire un café. Si je n’y suis pas, il y aura Auguste, tu sais, mon frère. Il sera au courant. Embrasse Marie-Napoléone pour moi.
- C’est ça. Merci Bébert. Au revoir Bébert.
La pression sourdait, tout doucement, elle n’était pas encore vraiment palpable.
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