Ô rage, Ô désespoir
Le dimanche 31 octobre 1993, au petit matin, rendez-vous était donné au café-tabac de l’Alta Rocca à Zonza. C’était un rendez-vous de chasseurs, avec Doumé et Michel entre autres. Il pleuvait un peu, le temps était vraiment trop maussade pour faire courir les chiens dans le maquis du Rizzanese. Ils burent deux cafés, trois cafés, plusieurs chasseurs de Zonza et Quenza n’étaient toujours pas là. On attendait en parlant de la dernière battue… neuf heures, toujours personne « mi, on annule, il fait vraiment trop mauvais, et puis il manque la moitié des gars ». Bien leur en pris. Après deux jours de déluge, le mardi 2 novembre on pouvait lire dans Corse-Matin :
« Crue du Cavu à Sainte-Lucie de Porto-Vecchio.
D'après la Protection Civile on dénombrait au total 6 victimes (4 en Haute-Corse et 2 en Corse du Sud). Sur le seul département de Haute-Corse, 129 communes sont sinistrées, et 6 villages sont totalement isolés, parfois pendant près de 10 jours. Plus de 800 interventions des pompiers seront recensées, et plus d'une centaine de personnes seront secourus, parfois par hélitreuillage comme seul moyen possible. Les ponts du Travu et de la Solenzara (tous deux sur la commune même de Solenzara) seront détruits par les flots, tandis que l'aéroport de Bastia et la centrale thermique de Lucciana sont inondés.
En Corse du Sud, les vallées du Rizzanese et de la Solenzara sont rendues totalement inaccessibles (notamment via 5 ponts emportés au-dessus du Rizzanese) isolant là également certains villages. De très nombreux dégâts sont visibles dans les exploitations agricoles, et certains campings sont détruits. L'aérodrome de Propriano est même fortement endommagé par ces crues dévastatrices jamais observées sur cette région depuis un siècle ».
Le Fiumicicoli et le Rizzanese, prenant leur source dans le massif de Bavella, ont aussi connu une crue dévastatrice, la plus forte depuis un siècle. Il était tombé au col de Bavella 60,8 mm entre midi et une heure de l’après-midi le dimanche 31 octobre (60 litres/m²) 69,1 mm le lendemain entre 13 et 14 heures (70 litres/m²)
Pendant six mois, des travaux routiers et forestiers s’enchaînèrent les uns après les autres. On ne revint à la normale que peu après Pâques. On retrouva à ce moment là le corps de l’un des deux morts, celui de Solaria, la femme d’Antoine des bains de Caldane sur le Rizzanèse, échoué sur les côtes de Sardaigne !
Et puis un jour, dans le Corse-Matin du lundi 3 février 1997 : « le FLNC-Canal historique a revendiqué hier, 56 attentats et 5 tentatives commis entre 4h et 5h30 dimanche matin. La Haute-Corse a subi l'essentiel de la vague terroriste, avec 43 attentats et 4 tentatives, dont 15 à Bastia. En Corse-du-Sud, la «nuit bleue» a été marquée par 13 attentats et 1 tentative à Porto-Vecchio, Propriano, Bonifacio, Sartène, Porticcio et Sarrola-Carcotino. Ces actions ont visé des établissements bancaires, perceptions, bureaux de poste, locaux d'EDF, direction départementale de l’Équipement et France Télécom. Le FLNC-Canal historique a revendiqué 150 attentats sur l'île et 10 sur le Continent depuis le 29 septembre dernier ». Méfi ! L’ingénieur divisionnaire était aussi visionnaire ! Conservons un profil bas. Et quand bien même la tempête de décembre 1997, pour les vingt et un an de Marc-Antoine – lequel était parti depuis cinq ans au lycée agricole de Noirétable en Auvergne - n’avait fait que souffler sur la montagne Corse (quelque vieux pins ayant été brûlés par les embruns marins au col de Bavella à 1200m d’altitude!) Michel restait vigilant. Il se rappelait si bien la tirade de César à Marius, quand ce dernier lui disait qu’il partait naviguer comme océanographe pour mesurer le fond des océans : « Et surtout, quand viendra la tempête, laisse un peu mesurer les autres ».
Cependant, la vie continuait paisiblement et sans heurts apparents, Marie-Napoléone était amoureuse. Elle discernait et comprenait la soif de liberté et de justice qui tourmentait Michel, gémissant et pestant sous le poids des contraintes incessantes de ses compatriotes. Malgré tout, elle avertit Michel qu’il ne fallait pas aller trop loin, qu’il se comportait un peu comme les mouflons qui frappent leurs cornes dans des joutes frontales, ils frappent, ils frappent, mais à terme, avec les corses, c’est lui qui perdrait.
En février 1998, suite à l’assassinat de Claude Erignac, préfet de Corse, L’Office désarma ses agents. Les armes de service seraient mieux au coffre à la Direction Territoriale à Ajaccio plutôt que dans les maisons forestières. Michel constatait que "la France" perdait du terrain, que le service public partait en déliquescence. Et les choses commencèrent à se dégrader doucement. Les cochons de Pierre-Marie Lucciani, neveu de Bébert, commencèrent à s’égayer dans la nature. Michel monta au col et demanda avec politesse que les cochons soient ferrés au groin afin qu’ils évitent de fouir et dégradent l’environnement. Si l’on montrait patte blanche, c’était accordé. Dans le même temps, les dossiers européens de financement du Grand Ajaccio, dont l’aménagement de Bavella faisait partie, aboutissaient. Michel avait participé largement aux réunions, tant à la sous-préfecture de Sartène qu’à la préfecture d’Ajaccio. Ravi de pouvoir enfin aménager des structures d’accueil sur le col, on lui fit comprendre très rapidement que les subventions FEOGA (fonds européen d'orientation et de garantie agricole) n’étaient pas pour lui, que l’on n’avait plus besoin de lui, et que cette manne européenne était pour la Corse et pour les corses. Donc, au grand dam de l’Office, malgré les courriers du Directeur Territorial, l’aménagement de Bavella : exit ! Il est vrai que la France, puis l’Europe avait déjà financé le nouvel hôpital d’Ajaccio à trois reprises sans que l’on retrouve encore aujourd’hui la pose de la "première pierre". Il fut reproché par les habitants de Bavella au technicien forestier Bouillane sa légèreté quant au suivi des dossiers, voire le manque à gagner pour la collectivité ! La DT lui demanda de consigner ces récriminations dans son registre d’ordre, on ne sait jamais… « Tu t’es fait avoir. Mi, t’es pas sérieux alors ?! »
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