Cacophonie intérieure
[John Lingard – The foreign hearts forest for the trees]
Il ne sert à rien de feindre,
Reste toi-même.
Ainsi tu verras qui te porte rancœur,
Et qui te porte dans son cœur.
Au matin, le stress était palpable. Il l'était tel que je n'avais pas faim, une fois de plus j'avais l'estomac beaucoup trop serré, acide, douloureux. Je n'ai quasiment rien mangé – plus « rien » que « quasiment », d'ailleurs. Par sécurité – et plus pour me rassurer que pour réellement manger plus tard – j'ai pris une petite compote de pomme à boire et un ou deux gâteaux en plus d'une bouteille d'eau dans mon sac. Ainsi prête, mais le moral dans les chaussettes, j'ai pris mes affaires de travail et je suis partie au bureau, en avance, afin de préparer la voiture.
Enfin, j'espérais être en avance par rapport à toi, mais ce n'était pas le cas. Je n'ai même pas eu le temps de préparer quoi que ce soit, ni de me changer les idées que tu attendais déjà devant, au chaud dans ta voiture – avec la musique à fond, comme toujours. Je me suis demandée pendant un instant si tu étais arrivé en avance délibérément pour me voir plus tôt. Puis, j'ai secoué la tête. Tu étais plus sérieux que cela, probablement que tu n'avais pas envie d'arriver en retard. Je t'ai souris tranquillement en te saluant, comme pour tenter de me rassurer. J'étais trop fatiguée d'ailleurs pour être autre chose que simplement cordiale. Heureusement, tu semblais l'être aussi. Je me suis alors dis que le voyage serait peut-être plus calme que lors de notre aller et retour en Charente. Et puis, nous allions travailler, peut-être serions nous plus sérieux, plus distant.
Je suis aller chercher les clés de la voiture, et te les ai laissée afin que tu démarre et fasse chauffer le véhicule. Puis je suis aller vérifier si je n'avais pas de message sur mon bureau, ni aucun enregistrement à vider dans l'ordinateur. Je suis aussi passé à la cuisine, pensant me faire un café afin d'effacer ce brouillard mental qui m'entourait. Mais même en étant arrivée en avance, je n'avais plus le temps. Tant pis. Et puis, cela ne ferait pas de mal à mon estomac de ne pas en prendre ce matin. J'ai fini par te rejoindre, fermant la porte, le portail et tout ce qui s'ensuit, puis je suis monter dans la voiture, à côté de toi, après avoir déposé mes bottes et autres affaires de travail à l'arrière. Vue mon état de fatigue, je préférais que cela soit toi qui conduise que moi, par simple sécurité – me disant que je conduirais au retour en compensation. En échange, je servait de copilote et t'indiquais la route avec le GPS – tout en essayant de bavarder avec mon amie par message, afin de me rassurer.
C'était étrange de se retrouver là avec toi. Tu semblais si distant et pourtant si proche. Notre complicité était enfouit sous un tas de sérieux et de concentration – ce qui était censé me rassurer, me stressait en fait d'autant plus. Cependant, tu restais tout aussi attentif : tu avais bien vue ma tête déconfite du matin. Tu m'as demandé pourquoi j'étais si bizarre et probablement un peu pâle. J'ai préféré t'épargner les détails et te dire que ce n'étais que passager, à cause de la chaleur, le soleil, toutes ces choses que je ne supporte pas en été. Je n'allais pas te dire que c'était notre relation très étrange qui me mettait dans cette état, m'empêchait de dormir correctement, me créait des insomnies, m'empêchait d'avoir de l'appétit, tout ça parce que je réfléchissais trop. Pour changer de conversation, et pour ne plus avoir ce vide et cette froideur dans la voiture, j'ai fini par mettre la radio – même si je savais qu'au vue du chemin que nous prenions, à moitié dans les bois, nous n'allions pas la capter tout le temps. J'espérais intérieurement te stimuler, te faire de nouveau chantonner, te faire sourire. Pourquoi ? Peut-être parce que j'espérais que cela me détendrait, au risque de me rapprocher encore de toi. Et puis cela me rendait moins morose lorsque l'ambiance n'était pas aussi pesante.
En fait, à la place que tu ne te mette à chantonner, ce fut moi qui le fit. Car, à ma grande surprise, tu n'écoutais pas tant que cela la radio, et tu connaissais encore moins les musiques qui pouvaient y passer. Évidemment, je comprenais qu'on ne puisse pas aimer tous les styles de musiques qui y passer, et que tu préférais écouter tes musiques personnelles, comme dans ta voiture. Mais j'ai tout de même essayé de t'en faire écouter quelques une, de te lancer, de rire avec toi, de bavarder et de détendre l'atmosphère du matin. Cela prit du temps – peut-être parce que tu n'étais pas plus réveillé que moi – et puis tu n'étais pas un grand bavard encore une fois. Ensuite, ce fut à mon tour de faire ma grande timide : voyant que tu ne chantonner pas avec moi, ou quasiment pas, j'ai fini par abandonner. Préférant comme toujours regarder le paysage, je cherchais des sujets de conversation, tentant de nous occuper. Il y avait un bon côté tout de même à avoir allumé la radio, cela avait détendu l'atmosphère. Je te sentais et te voyais plus détendu, plus calme. Nous écoutions toujours la radio et les émissions du matin qui servent à mettre de bonne humeur et à faire sourire un peu. Évidemment, au fils des sujets et de mes propres réflexions, j'ai fini par sortir des bêtises. Je ne voulais pas parler de sujet sérieux, ni me remettre sur une pente glissante au risque de mettre une mauvaise ambiance entre nous pour la journée – comme celui qui avait gâché la soirée lorsque tu m'avais ramené de notre week-end. Alors j'ai abordé des sujets légers – peut-être même un peu trop. Comme le fait que je n'avais jamais fait l'amour dans une voiture – sujet qui était abordé à la radio elle-même, en fait. Sur le coup, tu m'as regardé avec des yeux ronds. Je me suis demandée si c'était à cause de la légèreté de ma phrase, ou à cause du sujet abordé, ou encore à cause du fait que je n'avais réellement jamais fait l'amour dans une voiture. J'avais vraiment des sujets de conversation étrange – même à mon goût. Pourtant, malgré ces gros yeux surpris que tu m'as lancé, tu t'es mis à en discuter légèrement, pas plus choqué que cela. Ensuite, tu m'as avoué que ce n'était pas particulièrement confortable. J'ai souris en voyant que l'on pouvait vraiment parler de n'importe quoi avec toi. Après cela, l'atmosphère ne pouvait pas être plus détendue. Cependant, en mon fort intérieur, je me faisais des remontrances. Mon amie m'avait dit de ne pas ma rapprocher de toi outre-mesure, et je faisais tout l'inverse. Et pourtant, tout ce que je souhaitais, c'était rester amie avec toi, simplement.
Vers la fin du voyage, la fatigue est revenue de plein fouet. J'étais plus calme, et bavardais beaucoup moins. Pourtant, je savais que la journée aller être encore plus fatigante, il fallait que je trouve une solution. Mais nous arrivions déjà. Nous sommes descendu après que tu ais tant bien que mal essayé de te garer. Nous avons mis nos bottes et sommes aller voir si nous ne trouvions pas quelqu'un. Finalement, nous avons fini par trouver les deux pisciculteurs qui nous encadrerait pendant la journée. Évidemment, celle-ci commença relativement calmement : nous avons été invité à boire un café au chaud, et à prendre notre temps pour nous préparer. Toujours aussi fatiguée, j'ai fini par en boire un, de café – même si je savais que c'était une mauvaise idée au vue de l'état de mon estomac, mais il me fallait quelque chose pour me réveiller. Pour mieux faire passer le liquide, j'ai manger quelques gâteaux. Dans le bureau où nous attendions, tu étais debout, loin de moi, contre un placard, alors que tu m'avais laissé la seule chaise ayant quatre pieds et qui n'étais pas trop bancale. J'observais, attendant qu'on nous explique et qu'on se mette au travail – je savais qu'ainsi, je ne penserais plus à rien, et surtout pas à toi, dû moins je l'espérais.
Après le café, on nous ne fit même pas visiter la pisciculture, on nous présenta le matériel et comment cela allait se passer. Cela ne me dérangeait pas vraiment de commencer le travail directement. En fait, cela avait l'air plutôt simple comme tâche. La mission était assez simple : marquer les alevins de saumon. J'étais à la première étape, celle consistant à poser les saumons sur les tamis où ils seraient marqués. L'un des pisciculteurs les marquaient. Tandis que toi, tu les nettoyais, les remettais dans l'eau et tu nettoyais les tamis. Enfin, tu me donnais les tamis qui tu venais de nettoyer. Et ainsi de suite. Ce n'était pas très compliqué. Le plus difficile était de trouver le bon rythme pour tout le monde. Au début, cela se fit dans le silence et la concentration, ou presque. Car notre collègue pisciculteur était quelque peu bavard – voire totalement indiscret. Au début, ses questions furent des plus banales. Quelle était notre formation, pourquoi nous étions en stage, d'où nous venions, qu'est-ce qui nous intéressait, depuis combien de temps on se connaissait. Mais après, ses questions se firent moins fines, et ses remarques moins agréables – du moins, pour moi. Je pouvais deviner que certains pisciculteurs étaient un peu bourrins et parfois indiscrets pour en avoir fréquenté quelques un lors de mon année de formation. Mais, ceci dit que celui-ci était particulièrement direct. Et je fut tout autant surprise de ma propre réaction que de la tienne. Lorsqu'il nous posa la question depuis combien de temps nous étions amoureux l'un de l'autre, j'avoue n'avoir pas ressenti grand-chose, j'étais un peu trop concentré par mon travail. Cependant, cela m'a surprise par la franchise des paroles. A ce moment là, nous nous sommes mutuellement regardé, et rien ne s'est passé, ni dans ton regard, ni dans le mien. A l'unisson, nous avons secoué la tête – comme si cette idée était saugrenue – puis nous avons répondu que nous n'étions pas ensemble. Il n'y avait rien, et cela se voyait, non ? Ou alors je te regardais un peu trop. Après, tu étais le seul repère que je connaissais dans ce lieu. J'étais en territoire inconnu, et avoir un regard familier me rassurait, moi, une grande timide. Mais les questions gênantes ne se sont pas arrêtées là.
Ta seconde mission, en tant qu'homme fort et trop gentil pour dire non, était de transporter les poissons marqués d'un bassin à un autre. Pendant cette période d'attente, que j'appréciais comme une petite pause, le pisciculteur et sa délicatesse légendaire me tenait compagnie. Je ne sais pas s'il souhaitait juste me mettre la pression ou s'il avait véritablement remarqué un regarde de trop de la part de l'un de nous. Quoi qu'il en soit, plusieurs fois au cour de la matinée il me souffla – plus qu'il ne me posa réellement la question – que tu étais mignon et me demanda comment je te trouvais. Je lui répondit, dans la simple sincérité que je ressentais. Tu étais mignon, et aucune fille de mon âge ne pouvait le nier ou le réfuter. Toutefois, je n'étais probablement pas la seule fille à te trouver mignon, sympathique et gentil. C'était trop facile de me mettre la pression, étant la seule personne du sexe opposé dans les environs. Mais cela me suffit pour me poser des questions. Est-ce que cette attirance physique, ce regard agréable que j'avais sur toi, était-il dû à des sentiments qui étaient enfouit en dessous ? Non, je ne ressentais rien et j'en étais persuadée.
A partir de cet instant, le calme revint, et les questions gênantes ne firent plus leur apparition. Cependant, la journée n'était pas encore fini, et je le savais pertinemment. Le pire était peut-être à venir en vérité.
La matinée passa relativement vite. Après avoir trouvé notre rythme, le travail était rapide et facile. L’ambiance était moins pesante étant donné que le pisciculteur faisait essentiellement de l’humour et n’essayait plus de nous taquiner avec ses questions gênantes. Très vite, se fut l’heure de la pause de midi, et on nous invita au restaurant. On nous demanda a plusieurs reprise si on avait des préférences, mais en réalité, ni toi ni moi ne semblions décidé à choisir quoi que ce soit. Et puis, tant qu’on se nourrissait, c’était déjà pas mal. Surtout me concernant. J’avais l’estomac dans les chaussette, voire même en dessous tellement il me faisait mal. Et je n’étais pas sûre de pouvoir me nourrir correctement. J’avais eu l’occasion de penser à autre chose malgré que tu n’étais pas très loin. Cependant, mon estomac me rappelait ma diète matinale avec douleur.
Nous sommes donc partis au restaurant, au centre du village juste à côté de la pisciculture. Il ne fallait pas non plus que l’on prenne deux heures à manger, il restait du travail. Tu étais à l’arrière, coincé sur une place exiguë, et moi à l’avant. Était ce par galanterie que tu m’avais ainsi laissé la place la plus confortable ? Peu importait car la route n’était pas très longue. Et puis, je n’avais pas le temps de me soucier de cela. Monsieur délicatesse légendaire était de retour avec ses questions bizarres. D’abord ils nous demanda si l’on avait des petits ou petites ami(e)s. Je lui ai répondu que oui, et toi tu lui as répondu que non. Ensuite c’est revenu à la normal, nous demandant plutôt ce qu’on souhaitait faire après les études. Il m’angoissait quelque peu, et l’idée de ne pas être bien au restaurant aussi en réalité. Mais il fallait que je me calme et que je pense à autre chose. Et ce n’est qu’au restaurant que j’ai réussi à le faire.
Il y avait des gens, du bruit, la route, les voitures, du bruit, des choses à regarder, autres que toi. Il y avait d’autres sujets aborder : principalement ce qu’on allait choisir à manger et à boire. Et, que m’a-t-il pris ? J’ai choisi des pâtes carbonara et une bière ! Pourquoi avais-je fait ce choix ? Surtout la bière, car je savais très bien que je ne tiendrais pas grand-chose avec l’estomac vite. Mais je l’ai fait quand même. J’avais fait ce choix comme pour montrer que je n’avais peur de rien, et qu’une limonade était trop facile. Je savais pourtant que j’allais déchanter après manger. Heureusement, l’attente fut courte, et l’on eut pas à subir d’autres assauts d’indiscrétion de la part de notre encadrant. Et puis, pourquoi toutes ces questions ? Oui, pour faire la conversation, mais je ne comprenais pas cette curiosité forte en indiscrétion. Le repas est arrivé, ainsi que les boissons dont ma bière. Et même en commençant à la boire, j’ai d’autant plus compris que j’avais fait une grosse erreur. Alors je me suis rattraper sur mon assiette. Sachant parfaitement que mon corps allait me faire rapidement payer une trop grosse gourmandise, j’ai essayé de manger doucement afin de calmer la fin et la crise d’acidité qui se faisait dans mes organes. Heureusement, j’avais mangé un peu de pain en attendant le repas, peut-être cela avait-il déjà calmé quelque peu la crise. Ainsi, le repas passa calmement, même si j’avais beaucoup de mal à boire ma foutu bière. La conversation resta normal, entrecoupée de trous de silence que je passais à observer. Le paysage, la rue, les gens… Mais toi aussi. Et je me sermonnais mentalement à ne pas m’attarder, à ne pas trop te regarder. Évidemment, pendant les conversations je le faisais, mais j’évitais de m’attarder sur le seul repère familier que j’avais. En réalité, je me sentais comme un animal un peu perdu.
Finalement, je n’ai ni fini mon assiette, ni fini ma bière. Les pâtes sont donc resté tristement dans l’assiette et la bière… et bien c’est toi qui l’a gentiment fini pour moi. Autant dire qu’en me levant, je n’étais pas fière. Tentant tant bien que mal de cacher ma mollesse, mon ralentissement mental pour aller jusqu’au comptoir pour payer, j’ai vite compris que même avec un plat conséquant, l’alcool avait fait son effet. Et cela n’était pas du à la faim, mais tout simplement à la fatigue. Et c’est tout particulièrement lorsque nous sommes retourné à la voiture, pendant que notre indiscret encadrant était au téléphone, que tu as du t’en douté. Déjà, à cause de mon rire bien nié, de ma démarche peu sûre et sûrement de mon état second. Autant dire que le nuage nébuleux qui m’avait poursuivit tout le long de la route le matin était de retour. Autant dire adieu au café, il fallait que je mange quelque chose pour reprendre mes esprit et retourner au travail normalement.
Nous avons finalement embarqué de nouveau de la voiture, comme à l’aller. Et comme à l’aller, le retour des questions gênantes s’est fait sentir, quoi qu’elles étaient moins insidueuses – peut-être dû à la digestion. Notre encadrant poursuivit donc en demandant ce qu’on aimait faire un peu en dehors du travail. Je lui explique en première que j’aime lire, dessiner, ce genre d’activités un peu banales pour une fille. Tandis que toi, tu as assumé tes activités jusqu’au bout. Ainsi as-tu raconté qe tu aimais jouer aux jeux vidéo. A partir de ce moment là, le pisciculteur était parti dans tout un tas de cliché. Les geeks – ou garmers, ou nerds, peu importe véritablement comment on nous appelle – étaient donc pour lui des asocials incapables de sortir et d’aller voir le monde. Même si je ne voulais pas véritablement afficher mon côté geek également, j’en ai eu assez de l’entendre de taquiner et déblatérer des bêtises sur ma communauté. Alors j’ai finalement expliqué que moi aussi une joueuse, et que j’étais en couple, que cela ne m’empêchait pas non plus d’avoir des amis et de sortir. Et finalement cela l’a quelque peu refroidi sur ses apriori. Quoi qu’il en soit, je commençait à avoir hâte que cette journée se termine. Entre mon état physique et mental qui n’était pas le plus optimal, et les réflexions indiscrètes et parfois déplaisantes de notre encadrant, mon stress redevenait présent.
Arrivé à la pisciculture, nous avions un peu de temps avant de reprendre le travail. Je suis donc aller à notre véhicule de fonction pour prendre quelques forces avec mes compotes et mes petits gâteaux et réduire mon état nébuleux. Après quelques instants à me regarder galérer à mettre mes bottes – évidemment, je n’étais même plus foutu de tenir un peu en équilibre – tu m’as demandé si tout allait bien. J’ai avoué que la bière avait été qulque peu excessive et que j’étais fatiguée. Pas la peine de te révéler qu’en plus notre indiscret de service me mettait mal à l’aise, je pense que tu le ressentais également. Tu m’as demandé si je voulais m’allonger dans la voiture, et je t’ai répondu gentiment que je préférais prendre l’air. Alors nous sommes parti pendre des photos de la pisciculture afin d’avoir de la matière pour nos rapports. Tout en discutant beaucoup plus légèrement qu’avec la pression de notre encadrant derrière, j’ai fini par retrouver celui que tu avais été pendant cet aller et retour en Charente. J’ai retrouvé cette complicité, et la distance s’est atténuée. Peut-être un peu trop. Et encore une fois, c’était trop facile, trop simple de se rapprocher.
Après avoir pris des photos, nous avons repris rapidement le travail. Notre encadrant nous a proposé de changer d’emplacement. Toi, tu as refusé, moi j’ai accepté de découvrir autre chose. Non pas que je sois lassée, mais j’étais plus curieuse qu’autre chose. J’avais également un nouvel avantage, j’étais plus sereine et les effets de l’alcool s’atténuait petit à petit. Plus sereine d’esprit, j’avais bien envie de montrer à tout ce petit monde ce que je valais véritablement. Alors ai-je pris la place du peintre. Après m’être équipée en conséquence, j’ai pris le « karcher » à poissons – comprenons par là une sorte de pistolet à peinture adapter aux petites poissons, ni trop puissant, ni pas assez afin que la peinture de marquage reste sous les écailles. Je le pensais moins puissant qu’il n’était en réalité, j’ai été quelque peu surprise de sa puissance, surtout pour le petit gabarit que j’étais. Pour autant, je ne me suis pas laissé faire très longtemps et avec les encouragements du pisciculteur qui donnait le rythme et ses conseils, j’ai fini par trouver ma cadence et la bonne technique à adopter. Beaucoup plus dans l’action, j’avais beaucoup moins de temps pour laisser mon regard flâner sur tout ce qui m’entourait – dont toi. Plus concentrée, je faisais surtout attention à n’être ni trop rapide, ni pas assez. Garder le rythme afin d’effectuer la mission qu’on nous avez donné était ma priorité. Mais après avoir trouvé le bon timing, j’ai tout de même fini par perdre mon temps à te regarder, à regarder ton travail, et à te taquiner également lorsque tu étais trop long. Le matin, je m’étais permis de te faire quelques remarques gentilles, taquines, mais j’avais eu l’impression de parler dans le vent, que tu étais trop pris par ton travail. Et puis, notre indiscret de service n’aidait pas particulièrement à se mettre à l’aise. Oui, peut-être que, finalement, ma bière du repas m’avait-elle aidé à me mettre à l’aise – après les premiers effets néfastes, les effets plus avantageux se faisait sentir, comme la redoutable bonne humeur. Notre encadrant le remarqua aussi quelque peu, et nous tapa de nouveau la discussion – décidément, c’était un vrai bavard. Restant toutefois correct, il parla plus de poissons et de ce qu’on faisait comme mission dans l’organisme, ce qu’on avait également vue, ce qu’on avait pu découvrir d’autre. Dans la légèreté et la sincérité, nous lui avons gentiment répondu. Passant ainsi le reste de l’après-midi, entre discussions plus légère et travail un peu plus stressant.
L’après-midi se fini ainsi, plus rapidement que ce que j’aurais cru. Tant mieux. Cela me rassurait de m’éloigner du personnage exubérant qu’était notre encadrant. Et en même temps… Dommage. Cela voulait dire que j’allais rentrer chez moi, seule, et m’éloigner de toi, et me renfermer dans mes angoisses et mes questions. Mais je n’ai pas eu trop le temps de penser à tout cela sur le chemin de retour. En effet, tu étais déjà plus bavard qu’à l’allée, peut-être plus réveillé aussi. Nous avions presque retrouvé notre complicité, mais il restait tout de même quelques traces du sérieux de la journée. C’est moi qui choisit de conduire pour le retour, voyant que j’étais encore en forme et que cela puisse également être équitable. Curieusement, les sujets que j’abordais en voiture étaient toujours aussi étranges. J’ai, par exemple, choisi de revenir sur le fait que tu savais que faire l’amour en voiture était inconfortable, et j’ai eu l’aimable curiosité de te demander comment cela se faisait que tu pensais cela ? Pas plus choquée outre mesure, tu as répondu que tu avais eu une ex-petite amie, avec qui tu avais eu l’occasion de tester. Évidemment. Qu’est-ce que cela aurait pu être d’autre ? Un garçon charmant comme toi devait bien avoir des conquête. En même temps, je n’étais pas surprise et d’autre part, j’avais un triste regret. Pourquoi ? Aucune idée, comme si je comprenais que ton cœur appartenait à quelqu’un d’autre. Pourtant, ce n’était pas ce que tu avais dis.
Plus calme – ou du moins plus refroidi sur ma motivation à rentrer chez moi –, nos conversations se tinrent sur des sujets plus abordables, mais la complicité resta. Jusqu’à l’arrivée, étrangement. Et toi comme moi, nous nous sommes transformés en taupes silencieuses et morose à l’approche de la fin du voyage. Quelque chose en moi me disait de ne pas rentrer, de fuir ailleurs, d’aller m’amuser quelque part, de me changer les idées. Mais je ne voulais pas rentrer pour être seule. Pourtant, je savais très bien que mon aimé m’attendrait derrière l’ordi. Enfin… S’il daignait répondre à mes appels. Les conversations étaient compliquées, fluctuantes en semaines, froides, distantes… Comme notre relation que j’avais pourtant tenter de transformer en vrai relation de couple pendant une longue année… Sans voir de résultat. Je pensais que c’était dû à mes études, la distance, le temps d’adaptation à la vie à deux sûrement. C’était compliqué. Surtout en restant seule à regarder le plafond tous les soirs en espérant retrouver quelqu’un au lever, dans son lit, et sourire à la personne qu’on aime. Mais non, il n’y avait personne à m’attendre.
Nous avons rentré la voiture de fonction, nos affaires, fermé la porte du bureau, la grille également. J’ai bazardé mes bottes dans ma voiture et il est venu le moment de se dire au revoir. Tu étais hésitant, comme moi. Le moment de la bise n’est tout simplement pas venu. En réalité, je t’ai expliqué que je n’avais pas envie de rentrer, que je n’étais pas très bien, et que ma connexion internet était pourri. En plus, il faisait encore chaud, et que j’avais envie de me changer les idées, que j’allais sûrement sortir. Je m’étais confié à toi sur le chemin du retour, trop longtemps d’ailleurs. Je me confiais encore à toi à l’instant. Et encore une fois, c’était trop simple, trop facile, comme inné. Tandis que ce qui a été inné pour toi était de venir vers moi et de me faire une contre-proposition à ma solitude. Autant être seul à deux, dans une piscine ou même devant un écran d’ordinateur. Pourquoi pas ? Illuminée d’une si bonne idée, j’ai accepté. Mais qu’avais-je accepté alors ? Je me suis sermonnée dés que je suis rentré dans ma voiture pour retourner dans mon petit logement chercher mes affaires de piscine – après tout nous avions trempé dans l’eau fraîche et les poissons toutes la journée, alors pourquoi ne pas se baigner une bonne fois pour toute ? De plus, j’avais mes affaires sous la main, au cas où je trouve la motivation d’aller nager toute seule – ainsi que mon ordinateur. Un orage se préparait à l’horizon, alors nous avons opter pour cette solution de replie si le ciel se faisait trop menaçant.
Nous nous sommes suivi jusqu’à mon logement. Tu t’es garé à l’extérieur, m’attendant, tandis que je stationnais ma « titine » dans mon emplacement de garage, à l’abri. Je me suis précipité dans la maison, ai saisit mes affaires de piscine, vérifiant rapidement que j’avais un peu près tout à l’intérieur. Je me suis également saisit de mon ordinateur, et pas besoin de vérifier que tout était dedans cette fois, j’étais minutieuse le concernant – l’avantage d’être une geek et de préserver son outil de jeu. Je suis sortie, un peu chargée et t’ai tenue tête pour mettre moi-même mes affaires dans ton coffre. J’avais l’impression de partir à l’aventure ainsi, dans l’inconnu total. Et c’était… vrai. Je fonçais royalement dans le un abîme immense d’inconnu, de désespoir profond, de rancœur envers moi-même, et pourtant… Une petite voix en moi, en regardant tes yeux lumineux, joyeux, comme heureux en réalité, me chuchotais doucement « On s’en fout, fonce ! ». Ce que je fit en fermant la porte de ta voiture, bleu, à rayure blanche, raisonnant déjà de ta musique entraînante.
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